Therrien c. R., 2021 QCCA 245

*voir aussi Ferland c. R., 2020 QCCA 1043

L’exigence qu’un accusé soit apte à subir son procès relève de l’équité procédurale et est intrinsèquement liée au droit fondamental de l’accusé « […] de contrôler sa défense et au droit à une défense pleine et entière ».

[15] Dans l’arrêt Ferland[3], la Cour s’est récemment penchée sur la question de l’évaluation de l’aptitude d’un accusé à subir son procès. Il y a lieu de reprendre ici le résumé des principes énoncés à cet arrêt[4].

[16] L’exigence qu’un accusé soit apte à subir son procès relève de l’équité procédurale et est intrinsèquement liée au droit fondamental de l’accusé « […] de contrôler sa défense et au droit à une défense pleine et entière »[5]. Tout accusé étant présumé apte[6], il revient à celui qui l’invoque d’établir son inaptitude par prépondérance des probabilités[7].

[17] La notion d’aptitude à subir son procès se distingue de celle du paragraphe 16(1) du Code criminel (« C.cr. ») concernant la responsabilité criminelle, ou encore de la notion d’inaptitude en vertu du Code civil du Québec[8]. Ainsi, selon l’art. 2 C.cr., l’inaptitude à subir son procès comprend « [l’i]ncapacité de l’accusé en raison de troubles mentaux d’assumer sa défense, ou de donner des instructions à un avocat à cet effet, à toute étape des procédures, avant que le verdict ne soit rendu, et plus particulièrement l’incapacité de : (a) comprendre la nature ou l’objet des poursuites; (b) comprendre les conséquences éventuelles des poursuites; (c) communiquer avec son avocat. ».

[18] L’aptitude à subir un procès commande un seuil relativement bas, comme le signalait la Cour dans J.M. c. R.[9] :

[30] La notion d’aptitude réfère cependant à un seuil relativement bas, soit à la « capacité cognitive limitée de comprendre le processus et de communiquer avec un avocat » sans exiger qu’il « soit en mesure de prendre des décisions rationnelles qui soient avantageuses pour lui » ou « qu’il soit capable de recourir à un raisonnement analytique pour choisir d’accepter les conseils d’un avocat ou pour prendre une décision qui sert au mieux ses intérêts. ».

[Références omises]

[19] Dans l’arrêt Steele, le juge Fish, alors à la Cour, résumait les principes entourant la notion d’aptitude à subir son procès[10] :

From the authorities cited, I derive the following principles:

1. An accused in Canada must be mentally fit to be tried.

2. This right, now protected by s. 615 of the Criminal Code, is rooted in the right to be present at one’s trial, the right to make full answer and defence and other aspects of the requirement of fairness in criminal procedure.

3. An accused is unfit to be tried if, by reason of insanity, he or she is inacapable of conducting the defence.

4. « Insanity », in this context, is different from insanity under s. 16 of the Criminal Code. It differs as well from the test for civil commitment. Under s. 615, insanity includes any « illness, disorder or abnormal condition which impairs the human mind or its functioning ».

5. An accused is incapable of conducting the defence, within the meaning of s. 615 of the Criminal Code, if he or she:

(a) cannot distinguish between available pleas;

(b) does not understand the nature or purpose of the proceedings, including the respective roles of the judge, jury and counsel;

(c) does not understand the personal import of the proceedings;

(d) is unable to communicate with counsel, converse with counsel rationally or make critical decisions on counsel’s advice; or

(e) is unable to take the stand, if necessary.

6. Where there is no reason to doubt the fitness of the accused, as measured by the criteria set out in paragraphs 4 and 5, the trial judge may properly refuse to direct the trial of a special issue.

7. Where there is reason to doubt the fitness of the accused, the trial judge has no discretion: he or she must direct the trial of a special issue, even if neither the prosecution nor the defence applies for it.

8. In deciding whether to direct the trial of a special issue, the judge’s function is to see if there is doubt as to accused’s fitness.

The judge, at this stage, does not determine whether the accused is fit or not. That question is answered by the verdict concluding the trial of the special issue.

9. The issue of unfitness may arise in various ways. It may be « raised at the instance of the prosecution, on behalf of the accused or may simply « appear » to the Court from the history of the proceedings, the evidence adduced, the conduct of the accused or otherwise. » The jury is entitled to consider the accused’s conduct during and after the alleged offence. Psychiatric reports already in the file are, of course, relevant. An affirmation by counsel as to the fitness of the accused is entitled to very serious consideration

10. The trial of a special issue is not an adversary proceeding, but rather an inquiry into the status of the accused. There is an affirmative duty on the part of everyone concerned to contribute impartially to that inquiry. The inquiry itself must be « as thorough as a defence of insanity would be given ».

[Renvois omis]

[20] Les conséquences d’une déclaration d’inaptitude à subir son procès sont importantes, tant pour l’accusé que pour le système judiciaire criminel, puisque les procédures sont alors suspendues tant que l’accusé n’est pas jugé apte (art. 672.31-672.33 et 672.81 C.cr.). Il est donc de la nature, mais également de la fin visée par une telle déclaration, de ne pas être immuable et d’être sujette à révision, sauf, évidemment, les cas où l’inaptitude est jugée permanente[11]. Dans cet ordre d’idées et afin de parvenir à ce que l’accusé acquière l’aptitude requise aux fins du procès, le tribunal peut ordonner un traitement, même à l’encontre de la volonté de celui-ci.

[21] Cette démarche constitue une atteinte importante à la liberté et à l’intégrité physique de l’accusé[12]. C’est, entres autres, pourquoi le Code criminel énonce de manière détaillée la procédure à suivre avant de déclarer l’inaptitude d’un accusé à subir son procès et à le soumettre à un traitement contre son gré. La partie XX.1 du Code criminel intitulée « Troubles mentaux » a ainsi comme double objectif la protection du public et le traitement équitable et approprié de l’accusé qui est atteint de troubles mentaux[13].

[22] Ainsi, le tribunal peut, à toute étape de la procédure, rendre d’office une ordonnance d’évaluation de l’aptitude de l’accusé à subir son procès (al. 672.11a) C.cr. et par. 672.23(1) C.cr.). Si l’accusé n’est pas représenté par un procureur, le paragraphe 672.24(1) C.cr. prévoit que le tribunal doit alors lui désigner un avocat d’office. Dans le cas où l’accusé est déclaré inapte à subir son procès, le tribunal peut ordonner son traitement forcé pour une durée maximale de 60 jours, si le ministère public en fait la demande et si ce traitement peut permettre à l’accusé de devenir apte à subir son procès (art. 672.58 et art. 672.59 C.cr.). Après la déclaration d’inaptitude ou après le traitement, le tribunal, ou la commission chargée de ce faire, tient une audition afin de déterminer si l’accusé peut être libéré ou doit être détenu (art. 672.45 et art. 672.47 C.cr.), une telle décision étant prise en fonction, notamment, de la sécurité publique (art. 672.54 C.cr.)[14].

[44] Comme la Cour l’a conclu dans Ferland, l’imposition d’une représentation par avocat vise à assurer que les droits fondamentaux de l’accusé, de même que l’équité procédurale, soient respectés[32] :

[59] L’obligation qu’impose au juge le paragraphe 672.24(1) C.cr. de désigner un avocat à l’accusé, même si celui-ci ne le souhaite pas, constitue une exception au principe que quiconque est libre d’être ou de ne pas être représenté par avocat de son choix devant les instances judiciaires. La raison s’explique toutefois aisément. Puisque des motifs raisonnables de croire qu’une preuve concernant l’état mental de l’accusé est nécessaire afin de déterminer son aptitude à subir son procès existent, motifs qui ont eux-mêmes justifié l’ordonnance d’évaluation, l’imposition d’une représentation par avocat vise à assurer que les droits fondamentaux de l’accusé, de même que l’équité procédurale, soient respectés. […]
[Renvois omis]

[45] Le juge ayant clairement conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était inapte à subir son procès, il devait ordonner une évaluation à cette fin et aussi désigner un avocat pour représenter l’appelant conformément à l’art. 672.24 C.cr. Une évaluation de l’aptitude de l’appelant à subir son procès s’imposait vu l’existence de motifs raisonnables de croire que ce dernier ne comprenait pas la nature véritable du processus. La nomination d’un avocat s’imposait donc aussi. Ainsi, non seulement l’aptitude de l’appelant devait-elle être évaluée, mais l’avocat, s’il avait été nommé, aurait pu s’assurer que cette évaluation soit menée convenablement, qu’un débat loyal soit engagé sur cette question et que, si requis, des contre-expertises soient préparées. Ce sont là les mesures qu’exige le Code criminel afin de préserver l’équité du procès.