R. c. Ouimet, 2017 QCCM 136

 

[2]        Dans le cadre d’un voir-dire, le Tribunal est saisi d’une requête en exclusion de la preuve, en vertu des articles 89 et 24(2) de la Charte Canadienne des droits et libertés.

[3]        Plus précisément, le requérant demande l’exclusion de la preuve pour le motif que ses droits protégés par la Charte des droits et libertés ont été violés en raison d’une arrestation arbitraire. Il prétend que les policiers qui ont procédé à son arrestation n’ont pas respecté le délai de 15 minutes avant de lui administrer un test avec un appareil de détection approuvé (ADA).

 

L’ordre de fournir un échantillon d’haleine était-il valide?

 

[33]      L’article 254(2) du Code criminel prévoit ce qui suit :

254(2) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précédentes, elle a conduit un véhicule (…), peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues à l’alinéa a), dans le cas où il soupçonne la présence de drogue, ou aux mesures prévues à l’un ou l’autre des alinéas a) et b), ou aux deux, dans le cas où il soupçonne la présence d’alcool, et, au besoin, de le suivre à cette fin :

a) subir immédiatement les épreuves de coordination des mouvements prévues par règlement afin que l’agent puisse décider s’il y a lieu de donner l’ordre prévu aux paragraphes (3) ou (3.1);

b) fournir immédiatement l’échantillon d’haleine que celui-ci estime nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un appareil de détection approuvé.

[34]      Lors des arrêts R. c. Bershaw 1995 CanLII 150 (CSC)[1995]  1 R.C.S. 254 et R. c. Woods 2005 CSC 42 (CanLII)[2005] 2 R.C.S. 205, la Cour suprême a reconnu que les tribunaux devaient interpréter le mot «immédiatement» avec une certaine flexibilité  dépendamment des circonstances particulières à chaque dossier.

[35]      Par contre, lorsque les policiers ont des motifs de croire qu’il y a eu consommation récente d’alcool, ils doivent attendre un délai de 15 minutes avant d’administrer le test sinon le résultat pourrait être faussé.

 

[36]      L’arrêt de principe, sur ce point, est l’arrêt Bershaw précité. Le juge Sopinka s’exprime ainsi :

« Si la preuve scientifique établit que l’appareil de détection est loin d’être fiable en présence de certaines conditions et si un policier sait, par exemple à cause de la formation qu’il a reçue, que l’appareil donnera des résultats inexacts dans le cas où un suspect a pris une consommation dans les 15 minutes avant le test, comment ce policier peut-il affirmer dans son témoignage qu’il croyait sincèrement que les facultés de cette personne étaient affaiblies, s’il n’existe pas d’autres signes d’ébriété. De toute évidence, le fait qu’un policier est au courant de la non-fiabilité du test de détection viendrait annihiler toute croyance subjective à l’existence de motifs raisonnables lui permettant de croire à la perpétration d’une infraction à l’article 253 du Code».

[37]      L’arrêt Mastromartino  [2004] CanLII 28770 (ON SC) résume en huit points les questions relatives au délai de quinze minutes de la façon suivante :

1.1.       Les policiers qui requièrent un test de détection (ADA) doivent se demander si oui ou non ils obtiendront une lecture fiable en administrant le test sans un bref délai;

1.2.       Si les policiers ne peuvent ou ne pourraient raisonnablement pas compter sur l’exactitude des résultats du test, ces résultats ne peuvent servir à déterminer s’il y a des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation;

1.3.       Les policiers qui requièrent un test de détection (ADA) peuvent retarder brièvement l’administration du test si, à leur avis, il y a une preuve crédible qui les amène à douter de l’exactitude des résultats du test si l’administration n’est pas retardée;

1.4.       Les policiers ne sont pas tenus d’attendre avant d’administrer le test, dans tous les cas où un conducteur ait été dans un bar peu avant d’être arrêté. La simple possibilité qu’un conducteur puisse avoir consommé de l’alcool dans les quinze minutes précédant l’administration du test n’empêche pas un policier de compter sur la précision de l’ADA;

1.5.       Si oui ou non les policiers doivent attendre avant d’administrer le test de détection (ADA) relève d’une analyse au cas par cas, centrée sur la croyance du policier quant à l’exactitude des résultats du test si le test était administré sans délai, et le caractère raisonnable de cette croyance;

1.6.       Le fait que le conducteur ait été observé sortant d’un bar est une circonstance pertinente pour déterminer s’il était raisonnable pour le policier de retarder l’administration du test afin d’obtenir un échantillon précis. Cependant, les policiers ne sont pas requis de demander au conducteur à quand remonte leur dernière consommation d’alcool;

1.7.       Si le policier décide de retarder l’administration du test et que ce délai est contesté au procès, le Tribunal doit décider si le policier a honnêtement et raisonnablement estimé qu’un délai assez court était nécessaire pour obtenir une lecture fiable;

1.8.       Si le policier décide de ne pas retarder l’administration du test de détection (ADA) et que cette décision est contestée au procès, le Tribunal doit décider si le policier a honnêtement et raisonnablement cru qu’il pouvait se fier aux résultats du test si l’échantillon était pris sans délai.

[38]      Après avoir analysé et apprécié le témoignage du requérant, le Tribunal retient l’admission du requérant qu’il a consommé 6 bières de 18h30 à 23h30. Il déclare avoir pris la décision de partir à 23h30 et il aurait quitté à 23h40.

[39]      La preuve semble révéler que la dernière bière aurait été consommée à 23h30 soit au moment où le requérant décide de partir.

[40]      Le test d’échantillon d’haleine a été administré à 23h54 soit 24 minutes après la dernière consommation.

[41]      Selon la chronologie des policiers, le véhicule du requérant a été aperçu à 23h39 venant du centre-ville de Saint-Jérôme. Comme le requérant a admis avoir pris 4 minutes  pour se rendre au stationnement où était garé son véhicule, il serait sorti du «VieuxShack» à 23h35, ce qui donne un délai de19 minutes.

[42]      Dans les circonstances révélées par la preuve, le délai de 15 minutes a été respecté et les policiers pouvaient honnêtement et raisonnablement croire que le résultat était fiable, selon les critères d’appréciation de l’arrêt  Mastromartino.

 

7.   DISPOSITIF

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[43]      REJETTE la présente requête en arrêt des procédures