R. c. Brunelle, 2021 QCCA 1317

Le délai à l’intérieur duquel les policiers doivent donner à la personne détenue la possibilité raisonnable d’exercer son droit varie, quant à lui, selon l’ensemble des circonstances que le policier doit analyser lorsqu’il est appelé à décider s’il permet à la personne arrêtée d’exercer son droit à l’avocat sur-le-champ.

[65] Le délai à l’intérieur duquel les policiers doivent donner à la personne détenue la possibilité raisonnable d’exercer son droit varie, quant à lui, selon l’ensemble des circonstances que le policier doit analyser lorsqu’il est appelé à décider s’il permet à la personne arrêtée d’exercer son droit à l’avocat sur-le-champ[28]. Des impératifs de sécurité, de confidentialité, d’intégrité de la perquisition en cours, de préservation de la preuve sont des éléments pouvant justifier de retarder l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat, tout comme l’absence d’outil de communication.

[66] Ainsi, la décision qui doit être prise par le policier est importante et implique, souvent, que plusieurs éléments soient pris en compte, dont certains peuvent être liés à la sécurité des policiers, des suspects et des personnes présentes sur les lieux de l’intervention. Dans la mesure où ces circonstances ne sont pas connues d’avance, ce n’est qu’au moment où ils procèdent à une arrestation que les policiers peuvent prendre une décision éclairée.

[67] Dans l’arrêt Taylor, la Cour suprême précise que « [l]e policier qui procède à l’arrestation a […] l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé » et qu’il « incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances »[29].

[68] Cette démonstration était donc au cœur de la question que devait résoudre le premier juge à l’égard de chacun des accusés pour bien mesurer, le cas échéant, la portée de la violation de leurs droits constitutionnels.

[69] À cet égard, je remarque que le juge d’instance n’avait pas le bénéfice de l’analyse nuancée contenue dans les décisions récentes de notre Cour, notamment dans les affaires R. c. Tremblay et Freddi c. R.[30]

[70] Dans cette dernière affaire, le juge Doyon résume le droit applicable de la manière suivante :

[40] Je réitère la règle plus amplement décrite dans Tremblay, arrêt auquel il faut se référer : les policiers ne sont pas obligés de laisser la personne détenue appeler son avocat, sur place, à l’aide d’un cellulaire. Ils doivent néanmoins tenir compte de cette possibilité en déterminant quand sera la première occasion raisonnable pour permettre au détenu d’avoir accès à un avocat. Leur devoir consiste à considérer l’ensemble des circonstances pour prendre leur décision, et des motifs purement théoriques, sans lien avec l’affaire, ne peuvent suffire. Or, c’est manifestement ce que la juge de la Cour du Québec a conclu.

[41] Dans Tremblay, j’écrivais, pour résumer la situation :

[78] J’insiste : le problème ici n’est pas d’avoir refusé de laisser l’intimée téléphoner à son avocat avec son cellulaire. Le problème consiste à ne pas avoir même considéré cette possibilité alors que cela était la responsabilité des deux policiers. Et pourquoi n’ont-ils pas considéré cette possibilité? En raison de l’absence de directive le leur permettant. Voilà où entre en jeu la responsabilité du système, qui induit une conduite systémique, évidemment susceptible de se répéter, ce qui aggrave la situation. Tout cela, vingt ans après les arrêts Clarkson [1986 CanLII 61 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 383] et Manninem [1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233], cinq ans après Archambault [2012 QCCA 20] qui exige des circonstances exceptionnelles pour retarder l’accès à l’avocat, cinq ans après le premier d’une série de jugements de la Cour du Québec qui reprochent aux policiers de ne pas avoir laissé la personne détenue utiliser son cellulaire et trois ans après Taylor qui rappelle que le devoir de faciliter l’accès à un avocat prend naissance immédiatement après que le détenu a demandé à lui parler, ce qui signifie à la première occasion raisonnable. Autrement dit, les policiers n’ont pas rempli leur devoir, bien connu, et ce, non pas en respectant une directive, mais en refusant de le faire en raison de l’absence de directive. Cette situation ne peut être tolérée.

[42] Ces mots s’appliquent, avec les adaptations de circonstances quant aux années, si ce n’est le fait qu’ici, il y a non pas absence de directive, mais bien, selon le policier, une directive selon laquelle c’est au poste de police que l’appel téléphonique doit être fait. Cela démontre l’existence d’une conduite systémique qui consiste à ne pas tenir compte de l’ensemble des circonstances, contrairement aux obligations des policiers et contrairement à R. c. Taylor, précité, paragr. 31 à 33. Il faut des circonstances importantes ou exceptionnelles pour retarder l’accès à l’avocat : R. c. Archambault, précité, paragr. 36, et R. v. La, 2018 ONCA 830, paragr. 39. Par ailleurs, c’est le fardeau de la poursuite, non celui de l’accusé, de démontrer que le délai était raisonnable. Ce caractère raisonnable du délai constitue une question de fait : Taylor, paragr. 24.

[71] Il n’est pas certain que le juge de première instance aurait évalué le témoignage de l’enquêteur Toussaint de la même façon s’il avait eu le bénéfice des observations du juge Doyon.

Quoique la disponibilité d’un téléphone cellulaire, ou d’un autre moyen de communication, soit certes un facteur à considérer lorsque le tribunal est appelé à déterminer si une personne arrêtée a pu exercer son droit de communiquer avec un avocat à la première occasion raisonnable[32], rien, à mon avis, n’impose aux policiers l’obligation de prendre des mesures pour faire en sorte qu’un outil de communication soit à la disposition des personnes qu’ils arrêtent.

[72] Cela étant, il m’apparaît qu’il ne pouvait conclure, sans nuances, que l’absence d’un mot d’ordre pour faciliter l’exercice du droit à l’avocat constituait un problème fondamental[31].

[73] Cette conclusion du juge, et le reproche qu’il fait à l’enquêteur Toussaint, semblent d’ailleurs découler du fait qu’il impose aux autorités policières une obligation plus onéreuse que celle que la loi leur impose (voir Freddi, paragr. 40). Selon lui, les policiers ont l’obligation de prévoir des moyens permettant aux personnes arrêtées de communiquer avec un avocat dès le moment où elles le sont, allant même jusqu’à suggérer que rien ne les empêche de se procurer des téléphones cellulaires et de les prêter aux personnes qu’elles arrêtent pour qu’elles puissent communiquer avec un avocat.

[74] Pourtant l’obligation faite aux policiers de donner à une personne arrêtée la possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat lorsqu’elle indique vouloir le faire ne va pas jusque-là. Quoique la disponibilité d’un téléphone cellulaire, ou d’un autre moyen de communication, soit certes un facteur à considérer lorsque le tribunal est appelé à déterminer si une personne arrêtée a pu exercer son droit de communiquer avec un avocat à la première occasion raisonnable[32], rien, à mon avis, n’impose aux policiers l’obligation de prendre des mesures pour faire en sorte qu’un outil de communication soit à la disposition des personnes qu’ils arrêtent. Le juge commet une erreur en suggérant le contraire.

Le policier qui a dûment informé de son droit à l’assistance d’un avocat la personne arrêtée, n’a pas à prendre de mesures pour lui permettre d’exercer ce droit avant qu’elle ne manifeste le désir de s’en prévaloir.

Il peut d’ailleurs être opportun pour un policier de rappeler à cette personne l’ensemble de ses droits au fur et à mesure que la situation évolue. Cela demeure vrai même lorsqu’elle n’a pas manifesté son intention de s’en prévaloir puisque sa décision est également susceptible d’évoluer. Il en est de même lorsqu’elle a manifesté son intention de communiquer avec un avocat, mais que les circonstances n’ont pas encore permis qu’elle le fasse. Le fait qu’il ne soit pas possible pour elle d’exercer ce droit sur‑le‑champ ne fait pas en sorte qu’il n’y a aucun intérêt à lui rappeler ses droits au fur et à mesure que la situation évolue, dont notamment celui qu’elle a de garder le silence.

[75] Il commet également une erreur lorsqu’il reproche aux policiers d’avoir inversé les rôles en tenant pour acquis que les accusés devaient faire la demande de communiquer immédiatement avec leur procureur alors qu’il leur appartient d’informer les accusés de leur droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, puisqu’il confond alors le premier et le second volet du droit à l’assistance d’un avocat.

[76] Les policiers doivent, certes, informer la personne qu’ils arrêtent de son droit de recourir sans délai aux services d’un avocat et cela dès le moment où ils procèdent à son arrestation. Il s’agit là du premier volet du droit à l’assistance d’un avocat. L’obligation de lui donner une opportunité raisonnable de le faire, qui en constitue le second volet, ne prend pour sa part naissance qu’à compter du moment où la personne arrêtée demande à parler à un avocat ou exprime autrement son désir de le faire[33]. Ainsi, le policier qui a dûment informé de son droit à l’assistance d’un avocat la personne arrêtée, n’a pas à prendre de mesures pour lui permettre d’exercer ce droit avant qu’elle ne manifeste le désir de s’en prévaloir.

[77] Il peut d’ailleurs être opportun pour un policier de rappeler à cette personne l’ensemble de ses droits au fur et à mesure que la situation évolue. Cela demeure vrai même lorsqu’elle n’a pas manifesté son intention de s’en prévaloir puisque sa décision est également susceptible d’évoluer. Il en est de même lorsqu’elle a manifesté son intention de communiquer avec un avocat, mais que les circonstances n’ont pas encore permis qu’elle le fasse. Le fait qu’il ne soit pas possible pour elle d’exercer ce droit sur‑le‑champ ne fait pas en sorte qu’il n’y a aucun intérêt à lui rappeler ses droits au fur et à mesure que la situation évolue, dont notamment celui qu’elle a de garder le silence. Il ne s’agit pas là de deux choses incompatibles.

[78] Ainsi, le juge a également tort de qualifier d’incongru et de reprocher aux policiers le fait d’avoir rappelé à certains des intimés leur droit de communiquer sans délai avec un avocat, sans par ailleurs prendre de mesures pour qu’ils puissent le faire sur-le-champ.