R. c. Desroches, 2017 QCCM 143

 

Le défendeur prétend que son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance de l’avocat de son choix, tel que prévu à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertésaurait été violé.

 

[89]   Une personne qui prétend qu’il y a eu atteinte à l’un de ses droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés a le fardeau de le prouver. Ce fardeau est celui de la prépondérance des probabilités (Collins c. La Reine, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265 et R. c. Cobham 1994 CanLII 69 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 360.).

[90]   Le défendeur prétend que son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance de l’avocat de son choix, tel que prévu à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertésaurait été violé

[91]     L’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés stipule :

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

 [92]      L’une des raisons majeures d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat après avoir été placé en détention tient à la protection du droit de ne pas s’incriminer.

[93]      La personne a alors immédiatement besoin de conseils juridiques, à cette étape initiale de la détention, afin de connaître l’existence du droit de garder le silence et d’être conseillée sur la façon d’exercer ce droit (R.c. Brydges [1990] R.C.S 190)

[94]      Il appartient à celui qui invoque l’alinéa 10 b) de prouver :

1.- soit qu’on ne lui a pas donné l’occasion de réclamer son droit;

2.- soit qu’il l’ait réclamé mais qu’on le lui a refusé;

3.- soit qu’il n’a pas compris lorsqu’on l’a informé de ce droit.

(R. c. Baig 1987 CanLII 40 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 537)

[95]   L’article 10 s’applique en cas d’arrestation ou de détention. Selon l’arrêt R. c. Feeney (1997) 1997 CanLII 342 (CSC), 2 R.C.S. 13, il y a détention au sens de 10 b) lorsqu’un agent de la paix restreint la liberté d’action d’une personne au moyen d’une sommation ou d’un ordre.

Au même effet : R. c. Grant 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353, Rc. Orbanski 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 3

[96]   La Cour suprême a rappelé, lors de l’arrêt R. c. Taylor 2014 CSC 50 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 495 l’objet du droit à l’assistance d’un avocat :

  •       Permettre aux personnes détenues de recouvrer leur liberté;
  •       Les protéger contre les risques d’incrimination involontaire en leur permettant de choisir de façon libre et éclairée de parler ou non aux autorités

[97]   Dans le même jugement, la Cour suprême rajoute que trois obligations incombent aux  policiers, soit :

1)      Information : il s’agit d’informer du droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, de l’existence de l’Aide juridique et des avocats de garde;

 2)      Facilitation : lorsque la personne indique vouloir exercer son droit, les policiers doivent lui donner la possibilité raisonnable de le faire en privé, sauf urgence ou danger, vu que la personne est sous contrôle étatique

 3)      Abstention : les policiers doivent s’abstenir de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à possibilité raisonnable de contacter un avocat, sauf situation d’urgence ou de danger.

[98]   Lors de l’arrêt R c. Willier 2010 CSC 37 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 429, la Cour  suprême avait reconnu, en ces termes, que l’alinéa 10b) incluait le droit à l’assistance de l’avocat de son choix :

  «Si les détenus décident d’exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat précis, l’al. 10b)  leur accorde une possibilité raisonnable de communiquer avec l’avocat de leur choix avant d’être questionnés par la police.  Si l’avocat choisi n’est pas immédiatement disponible, ils peuvent refuser de parler à un autre avocat et attendre pendant un délai raisonnable que l’avocat de leur choix leur réponde.  Ce qui constitue un délai raisonnable dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de facteurs comme la gravité de l’accusation et l’urgence de l’enquête : Black.  Si l’avocat choisi n’est pas disponible dans un délai raisonnable, les détenus sont censés exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l’obligation qui incombe à la police d’interrompre ses questions est suspendue : R. c. Ross, 1989 CanLII 134 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 3; et Black. »

 

[99]   Dans les circonstances révélées par la preuve, le défendeur a-t-il pu bénéficier des conseils de l’avocat de son choix et les policiers ont-ils facilité l’exercice de ce choix ?

[100]   Je suis d’avis que les policiers n’ont pas respecté leur obligation, lors de l’arrestation, de permettre au défendeur de communiquer avec son avocat d’autant plus que les policiers savaient que le défendeur était en possession d’un téléphone cellulaire.

[101]   Lors de l’arrestation du défendeur, la preuve est contradictoire quant  à savoir si le policier Piché-Michaud a offert au défendeur de communiquer avec un avocat. La preuve révèle plutôt que le policier aurait informé le défendeur de son droit au silence seulement.

[102]   Le défendeur aurait réclamé la possibilité de téléphoner à Me Yves Poupart, mais les policiers ont refusé pour des motifs de sécurité et de confidentialité.

[103]   Je ne retiens pas le motif d’absence de sécurité puisque, selon les policiers, le défendeur était coopératif, il n’était pas menaçant et il ne tentait pas de fuir le lieu de l’arrestation.  Au surplus, il y avait 4 policiers qui auraient pu sécuriser les lieux si le défendeur avait fait un appel

[104]   Dans la cause de R. c. Lauzier 2014 QCCQ 11937 (CanLII), 2014 QCCQ11937, le juge LaBrie cite en  ces termes l’arrêt R.c. Bui 2005 BCCA 482 (CanLII) de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique concernant le manque de confidentialité :

De plus, le manque de confidentialité n’est pas une raison pour ne pas offrir à la personne détenue d’exercer son droit de consulter un avocat. Lorsque le manque de confidentialité est une réalité incontournable, il appartient à la personne détenue de choisir si elle désire quand même exercer son droit dans ce contexte ou si elle préfère l’exercer plus tard en toute confidentialité.

[105]  Je suis d’avis que le droit du défendeur d’avoir recours à l’assistance de l’avocat de son choix a été enfreint.

[106]  Je suis d’avis qu’il y a eu une seconde violation du droit à l’avocat au poste de police lorsque les policiers n’ont pas facilité l’exercice de ce  droit. Le policier aurait dû être proactif en tentant de rejoindre Me Poupart surtout que le défendeur savait que celui-ci demeurait à Morin-Heights.

[107]  Le défendeur a été induit en erreur par le policier et, dans les circonstances, il devait suivre les conseils du policier qui, arbitrairement, l’a dirigé vers un avocat de l’Aide juridique. Dans la cause de  D.P.C.P. c. Kumps 2014 QCCQ 2945 (CanLII), mon collègue le juge  Érick Vanchestein a décrit dans quelle position se trouve une personne détenue :

«On ne peut s’attendre à ce qu’un citoyen respectueux de l’autorité qui coopère poliment et pleinement avec les policiers, se retrouvant pour une des premières fois de sa vie détenu à 4h00 du matin, commence à revendiquer ses droits haut et fort relativement à son insatisfaction face aux services juridiques qu’il vient de recevoir».

 [108]   Le fait de communiquer avec un avocat de l’Aide juridique n’est pas une renonciation au droit de s’entretenir avec Me Poupart, ce qui ne constitue pas une critique des conseils qu’aurait reçu le défendeur de l’avocat de l’Aide juridique.