R. c. Paterson, 2017 CSC 15

*Voir aussi ici où on traite de la règle des confessions

Les fondements de la règle des confessions

[14]                          La règle des confessions traduit le souci du droit pour le « caractère volontaire » d’une déclaration obtenue grâce à une technique d’enquête policière. Elle fait obstacle à l’admission en preuve au procès de la déclaration d’un suspect à un policier ou à une autre personne en situation d’autorité, sauf si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que la déclaration était volontaire (S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (2011), p. 272 et R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, par. 17). Identique à celui qui lui incombe en ce qui concerne la culpabilité même de l’accusé, le fardeau de preuve qui pèse sur ministère public à cet égard fait ressortir le rattachement de la règle des confessions au principe juridique voulant qu’une déclaration involontaire [traduction] « ne soit pas une affirmation de culpabilité fiable » (S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst., The Law of Evidence in Canada, (4e éd. 2014), §8.24, p. 444; Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), p. 609; Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262; Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, p. 653‑654, le juge Estey, dissident)[1]. Comme le reconnaît la Cour dans l’arrêt Hodgson (au par. 19), la déclaration obtenue par la force, par la menace ou grâce à des promesses est intrinsèquement non fiable.

[15]                          Toutefois, la Cour reconnaît également que la non‑fiabilité éventuelle d’un aveu involontaire n’explique qu’en partie l’exclusion de la preuve par application de la règle des confessions. Ainsi, dans R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, la Cour affirme que cette règle repose sur les notions fondamentales que sont l’équité procédurale et (à la p. 173) « l’idée qu’une personne assujettie au pouvoir de l’État en matière criminelle a le droit de décider librement de faire ou non une déclaration aux policiers », jumelée au « souci de préserver l’intégrité du processus judiciaire et la considération dont il jouit ». Elle ajoute (à la p. 175) que ces préoccupations sous‑tendent le privilège de ne pas s’incriminer et appuient l’assimilation du droit de la personne détenue de garder le silence à un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7  de la Charte . En tant qu’exigence visant à limiter la portée des techniques d’enquête policière, le « caractère volontaire » est donc largement associé au principe voulant que, pour préserver l’intégrité du processus judiciaire et la considération dont il jouit, le ministère public doive établir la culpabilité sans l’aide de l’accusé (Hodgson, par. 23, citant le Rapport du Groupe de travail fédéral‑provincial sur l’uniformisation des règles de preuve (1982), p. 195).

[16]                          Ces raisons d’être de la règle des confessions ne sont pas formulées clairement et, comme le fait observer la Cour dans plus d’un arrêt, « il n’a pas toujours été facile de justifier la règle des confessions par autre chose que la fiabilité des déclarations » (R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, par. 73; Hodgson, par. 23). Il suffit de signaler en l’espèce que le ministère public doit prouver le caractère volontaire de la déclaration d’un accusé avant de l’invoquer au procès pour obtenir une déclaration de culpabilité et que cette règle intervient pour garantir l’équité procédurale et empêcher qu’un accusé soit déclaré coupable à partir d’un témoignage forcé et donc intrinsèquement non fiable. Même si cette règle vaut donc uniquement au procès, l’appelant soutient que son [traduction] « objectif général » devrait jouer de manière à obliger le ministère public à prouver, lors d’un voir‑dire, le caractère volontaire d’une déclaration à quelque fin que ce soit, « même simplement pour établir l’existence de motifs raisonnables d’effectuer une fouille ou une perquisition ». Selon lui, ne faire porter l’examen judiciaire du caractère volontaire de la déclaration que sur la preuve offerte au procès confère à la police « un avantage injuste [. . .] sur la personne handicapée ou atteinte de troubles mentaux », ce qui « crée un déséquilibre systémique au détriment de ceux qui ont besoin des protections juridiques les plus importantes ». En outre, l’appelant tient pour « incriminante » toute preuve susceptible d’aider le ministère public de quelque manière, de sorte qu’il faudrait selon lui démontrer que la déclaration invoquée pour justifier une fouille ou une perquisition a été faite volontairement. Dès lors, un élément de preuve non fiable comme un aveu involontaire ne pourrait être invoqué pour justifier une fouille ou une perquisition.

[17]                          En ce qui a trait à la procédure qui devrait être suivie, l’appelant soutient que le caractère volontaire d’une déclaration qui mène à une fouille ou à une perquisition policière — telle sa déclaration concernant les mégots — devrait être établi avant la tenue d’un voir‑dire sur la légalité de la mesure. À titre subsidiaire, il avance qu’un voir‑dire mixte portant sur plusieurs aspects pourrait avoir lieu. En l’espèce, puisque ni le juge du procès, ni les avocats n’abordent la question du caractère volontaire de sa déclaration et que celle‑ci aurait pu être jugée involontaire, il prétend qu’un nouveau procès s’impose.

La règle des confessions ne devrait pas s’appliquer aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel.

[18]                          À mon avis, la portée de la règle des confessions ne devrait pas être accrue comme le préconise l’appelant. Plus particulièrement, et pour les raisons qui suivent, la règle ne devrait pas s’appliquer aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel.

[19]                          Premièrement, les prétentions de l’appelant méconnaissent l’objet de l’examen auquel se livre le tribunal lors d’un voir‑dire constitutionnel et le fait que cet objet se distingue de celui d’un procès criminel, lequel se soucie de la culpabilité ou de la non‑culpabilité de la personne accusée d’une infraction, alors que le voir‑dire constitutionnel ne s’attache pas à la culpabilité de l’accusé, mais plutôt au respect ou non de ses droits constitutionnels. Le voir‑dire constitutionnel suppose donc l’analyse de la totalité des circonstances connues du représentant de l’État et sur lesquelles ce dernier s’est fondé au moment de prendre la mesure en cause. Plus précisément, seuls sont considérés l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État à ce moment précis, et la véracité de la déclaration à partir de laquelle il a agi ne l’est pas. C’est pourquoi la véracité d’une déclaration n’a pas d’incidence sur son admissibilité; l’examen s’attache plutôt à la question de savoir s’il était raisonnable que le représentant de l’État voie dans la déclaration un motif justifiant la mesure.

[20]                          L’importance de cette distinction entre l’objet du voir‑dire constitutionnel et celui du procès vaut également pour l’admissibilité d’autres types de preuve, dont le ouï‑dire, la preuve de mauvaise moralité ou de conduite antérieure indigne, le renseignement obtenu d’un indicateur anonyme, le renseignement protégé par un privilège ou, comme dans R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, aux par. 61‑62, l’opinion personnelle basée sur la formation et l’expérience. Ces types de preuve suscitent tous des craintes concernant soit la fiabilité, soit le respect de considérations de politique générale, de sorte qu’ils sont assujettis à des règles de preuve strictes qui font partiellement ou totalement obstacle à leur admissibilité au fond lors du procès. Cependant, de telles craintes n’entrent pas en jeu dans le cas d’unvoir‑dire constitutionnel étant donné l’utilisation restreinte de l’élément de preuve, lequel ne porte en effet que sur l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État, non sur la fiabilité de l’élément de preuve pour statuer ultimement sur la culpabilité de l’accusé. Il s’ensuit qu’admettre en preuve une déclaration de l’accusé en vue d’une telle utilisation restreinte, sans établir au préalable son caractère volontaire, n’est pas contraire aux raisons d’être de la règle des confessions. Le souci qui sous‑tend celle‑ci, à savoir assurer l’équité du procès et éviter qu’une personne soit déclarée coupable à partir d’éléments de preuve intrinsèquement non fiables, n’entre tout simplement pas en jeu à l’étape du voir‑dire.

[21]                          En résumé, l’admission en preuve de la déclaration d’un accusé afin de statuer sur la constitutionnalité d’une mesure de l’État, et non sur la culpabilité de l’accusé, ne fait pas entrer en jeu la raison d’être de la règle des confessions. Appliquer cette règle aux éléments de preuve présentés lors d’un voir‑dire constitutionnel reviendrait à dénaturer aussi bien la règle que sa raison d’être.

[22]                          Deuxièmement, notre procédure pénale répond déjà à la crainte de l’appelant qu’un policier puisse obtenir un renseignement d’un témoin vulnérable par la contrainte. Permettre au ministère public de présenter une déclaration lors d’un voir‑dire constitutionnel sans en prouver le caractère volontaire diffère sensiblement de cautionner la conduite d’un policier qui obtient une déclaration involontaire sous la contrainte. Les prétentions de l’appelant créent une fausse dichotomie, car elles ne tiennent pas compte des autres protections juridiques contre les actes abusifs de l’État. Par exemple, l’obligation du ministère public de prouver que le policier s’est raisonnablement fondé sur la déclaration de l’accusé et qu’il a invoqué les motifs requis pour agir répond déjà à la crainte de l’appelant que les policiers puissent ne pas tenir compte de signes manifestes de non‑fiabilité, telle l’absence d’un état d’esprit conscient. De même, une technique policière coercitive ou par ailleurs abusive visant à soutirer un renseignement à l’accusé contre son gré serait soumise à un examen au regard de l’art. 7 ,  ou 9  de la Charte . La preuve ainsi obtenue pourrait être écartée par application du par. 24(2)  ou entraîner l’arrêt des procédures. En somme, la thèse de l’appelant ne justifie pas la crainte que les droits de l’accusé ne soient pas tout à fait conciliables avec le recours de l’État à une déclaration de l’accusé pour démontrer la constitutionnalité d’une étape de l’enquête.

[23]                          Enfin, appliquer la règle des confessions à la déclaration produite lors d’un voir‑dire constitutionnel aurait l’effet non souhaitable de faire obstacle aux pouvoirs d’enquête à la fois légitimes et nécessaires de la police. À titre d’exemple, et comme le fait remarquer l’intervenant le procureur général de l’Ontario, exiger des policiers qu’ils prouvent le caractère volontaire de la déclaration d’un accusé irait à l’encontre de l’arrêt R. c. Orbanski, 2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3. Dans cet arrêt, la Cour opine que les policiers qui interceptent un conducteur sur la route peuvent, uniquement pour établir l’existence de motifs qui justifient l’ordre de fournir un échantillon dans un appareil de détection approuvé, s’appuyer sur les réponses obtenues de cet automobiliste sur sa consommation d’alcool. Un tel élément de preuve découle forcément, comme le dit la Cour, de la « participation directe et obligatoire » du conducteur (par. 58) (je souligne)[2] et serait inadmissible au procès pour prouver une capacité de conduite affaiblie. Néanmoins, l’objectif restreint de justifier une enquête plus approfondie, ainsi que l’absence de tout souci d’équité du procès et de fiabilité de la preuve, milite en faveur de l’admissibilité de l’élément lors d’un voir‑dire sur la constitutionnalité de l’enquête comme telle et, en particulier, sur le caractère raisonnable des motifs pour lesquels le policier a ordonné la fourniture d’un échantillon d’haleine.

[24]                          En effet, dans certains cas, l’application de la règle des confessions aux déclarations présentées dans le cadre d’un voir‑dire constitutionnel donnerait lieu à des situations absurdes. Les policiers devraient alors s’assurer du caractère volontaire des déclarations de pratiquement toutes les personnes qu’ils rencontrent lors d’une intervention d’urgence, que ce soit au moment de répondre à l’appel au service 9‑1‑1 ou à un autre moment au début d’une enquête, à un stade où l’on peut difficilement départager suspects et simples témoins. Lorsqu’une situation prend naissance et évolue rapidement, les policiers doivent pouvoir, dans les limites fixées par la Constitution, intervenir et enquêter avec diligence. La conséquence logique de la thèse de l’appelant serait la remise en question de pratiques policières élémentaires que nul ne conteste et qui sont tributaires des déclarations des suspects. Les enquêtes policières en seraient paralysées et la sécurité publique compromise, sans compter que la durée et la complexité des voir‑dire s’accroîtraient inutilement, tout cela uniquement, faut‑il le répéter, pour offrir à l’accusé des protections que notre procédure pénale prévoit déjà (comme je l’explique au par. 22).

[25]                          Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que la Cour d’appel a raison de conclure que le ministère public n’avait pas à prouver le caractère volontaire de la déclaration de l’appelant selon laquelle il avait des mégots chez lui pour que cette déclaration puisse être admise en preuve lors du voir‑dire constitutionnel.