R. c. Michaud, 2018 QCCM 104

 

Le défendeur présente une requête en exclusion de la preuve.  Il prétend que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives a été violé.

 

[34]      La jurisprudence établit que l’occupant d’une maison d’habitation autorise implicitement tout membre du public, y compris un policier, à pénétrer sur sa propriété à des fins légitimes. Cette autorisation implicite vaut jusqu’à la porte de la maison.

[35]      L’autorisation implicite a ses limites. L’invitation a frapper à la porte ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il y ait communication convenable avec l’occupant de la maison.

[36]      Lorsque la conduite des policiers va au-delà de ce qui est permis en vertu de cette autorisation implicite, l’auteur de l’activité non autorisée qui s’approche de la maison devient un intrus.

[37]      Comme le souligne l’avocate du défendeur, la Cour d’Appel de la Saskatchewan s’est penchée dans l’arrêt R. c. Rogers 2016 SKCA 105 (CanLII) sur la portée des principes dégagés dans l’arrêt Evans dans le contexte d’une infraction reliée à la conduite automobile.

[38]      Dans cette affaire, les policiers avaient obtenu une information concernant un conducteur en état d’ébriété. En effet, un citoyen a aperçu un véhicule heurter celui de sa conjointe en reculant, lequel était alors stationné. Il a appelé la police, fournissant une description du conducteur et du véhicule, ainsi que le numéro de la plaque d’immatriculation.

[39]      Grâce au numéro d’immatriculation fourni, les agents se sont rendus à l’adresse du propriétaire du véhicule. Sur place, après avoir cogné à sa porte et que celui-ci l’ait ouverte, ils ont constaté qu’il était en état d’ébriété et l’ont placé en état d’arrestation, à la suite de quoi des échantillons d’haleine ont été fournis.

[40]      En première instance, le juge a conclu à une violation de l’article 8 de la Charte et a exclu la preuve sous 24(2), le tout menant à l’acquittement de l’accusé Rogers. Le ministère public a porté la cause en appel devant le tribunal d’appel des poursuites sommaires, lequel a ordonné un nouveau procès. La Cour d’appel a finalement rétabli l’acquittement prononcé en première instance.

[41]      Le 20 avril 2017, la demande d’autorisation d’appel de cet arrêt, présentée par le ministère public, a été rejetée par la Cour suprême.

[42]      La preuve révèle qu’en se rendant chez le défendeur, les policiers désirent identifier le conducteur du véhicule et vérifier sa sobriété. Cette dernière mention à la carte d’appel en plus d’une conduite erratique et le témoignage rendu par l’agent Bélisle amène à conclure que les policiers envisageaient chez le conducteur une conduite en état d’ébriété. Ce faisant, ils contreviennent aux droits du défendeur aux termes de l’article 8 de La Charte :

[43]      L’avocat du défendeur a raison de prétendre que sans être munis d’un mandat de perquisition, les policiers se sont rendus sur une propriété privée, ont interrogé une femme qui se trouvait à l’intérieur de la maison, pour ensuite se diriger vers la porte de la résidence du défendeur, et ce, manifestement afin de recueillir des éléments de preuve en lien avec les informations fournies par le public. L’intention des policiers, comme dans Rogers, était de « gather grounds to make a breath demand ».

[44]      En terminant, mentionnons que le fait que les policiers aient besoin de cogner ou non à la porte, ou le fait que le requérant se trouve à l’intérieur ou non de sa demeure à l’arrivée des policiers, ne modifie aucunement les principes applicables;

[45]      Sans mandat, les fouilles ou perquisitions sont présumées illégales ou déraisonnables. La poursuivante ne s’est pas déchargée de son fardeau.

[46]      Ce qui importe, c’est que les policiers avaient l’intention d’enquêter sur le défendeur, sans mandat, même si celui-ci se trouvait chez lui. Ils ont d’ailleurs cogné à la porte avant de la maison, pour ensuite se diriger derrière, ce qui illustre bien leur intention. Que le défendeur se soit dirigé vers eux ne change rien au fait qu’il se trouvait alors sur son terrain privé, et les agents n’avaient certainement pas une invitation implicite d’y être afin de récolter des éléments de preuve incriminants contre l’occupant.

Analyse sous l’article 24 (2) de La Charte

[47]      Cette violation de La Charte et ses conséquences en regard de l’exclusion de la preuve amènent à l’analyse proposée selon les critères établis dans l’arrêt Grant : ( R c Grant 2009 CSC 32 (CanLII))

1)   La gravité de la conduite attentatoire de l’État :

En s’introduisant sans mandat sur la propriété du défendeur, les policiers sont considérés comme des intrus. Les policiers ne peuvent se présenter sur la propriété privée des gens dans l’espoir d’y recueillir des preuves incriminantes. Cette atteinte est sérieuse. Cet élément milite en faveur de l’exclusion de la preuve.

2)   L’incident de la violation sur les droits du défendeur garantis par La Charte.

Cette fouille ou perquisition a nui considérablement à la vie privée du défendeur, à sa liberté, à sa dignité. Il était chez lui et n’avait pas donné une autorisation à ceux-ci de se présenter à sa porte d’entrée, à la vue du public.

Cet élément milite en faveur de l’exclusion de la preuve.

3)   L’intérêt à ce que le défendeur subisse son procès.

Il est vrai que la société a intérêt à ce que la conduite d’un véhicule à moteur alors que les capacités du conducteur sont affaiblies par l’alcool ou que son taux d’alcoolémie dépasse la limite permise soit sanctionnée; il est vrai que cette situation est considérée comme un fléau sur les routes du Canada.

Il est par ailleurs aussi vrai de prétendre que le défendeur était chez lui lorsque les policiers s’y présentent afin de vérifier sa sobriété.

Les policiers auraient pu obtenir rapidement un mandat de perquisition.

Cet élément milite en faveur de l’exclusion de la preuve.

[48]      En considération des critères ci-dessus, le Tribunal croit qu’admettre la preuve obtenue suite à cette violation de l’article 8 de La Charte déconsidérerait l’administration de la justice.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

DÉCLARE illégales et abusives la fouille, l’arrestation et la détention du défendeur.

EXCLUT la preuve obtenue suite à cette violation.

 DÉCLARE inadmissibles en preuve les déclarations du défendeur.