Procès devant jury : il est possible pour la défense de présenter son exposé immédiatement après celui de la poursuite.

Voir aussi Proulx c. R., 2012 QCCA 1302 aux para. 27 et ss.

[1]               Monsieur est accusé d’avoir, le ou vers le 17 novembre 2001, agressé sexuellement E.H.  Lors de la conférence préparatoire, son avocat a donné l’assurance au président du Tribunal qu’il entendait faire témoigner son client qui soutiendra avoir eu une relation sexuelle consensuelle avec la plaignante.

[2]               La défense demande la permission à cette Cour, de s’adresser au jury immédiatement après l’exposé de la poursuite.

[3]               La défense soutient que cette façon de procéder serait plus équitable pour le requérant si les jurés connaissaient, dès le départ, la position respective de chacune des parties.

[4]               La poursuite réplique que l’article 651(2) du Code criminel rend impératif le fait que cet exposé de la défense soit fait immédiatement avant que ne soient interrogés les témoins de la défense.

[5]               Subsidiairement, compte tenu de la jurisprudence partagée sur le sujet, le substitut concède que pareille ordonnance n’est rendue que dans le cas de procès complexes.

[6]               Le Tribunal note d’abord la position de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, exposée dans R c Bekar, 175 C.C.C. (3d) :

42    The Criminal Code provides for the order of closing addresses in s. 651.  It does not provide for opening statements, but tradition has enshrined the practice.  The practice is for the trial judge to permit an opening statement by the Crown before he or she opens the case for the Crown and an opening by the defence before he or she begins the defence case.  The trial judge has discretion to permit the defence to provide an opening after the Crown opens and before the first Crown witness testifies if fairness requires it.  Factors that a trial judge will consider include the complexity of the issues at trial and the length of the trial.

[7]               Le seul autre tribunal d’appel à s’être prononcé est la Cour d’appel de l’Alberta dans R. c Paetsch[1993] A.J. No 366:

… the established practice in jury trials is that the opening address of for [sic] the accused be after the Crown case has closed and at the start of the defence case.  While a judge may have power to direct otherwise, this power should only be exercised in special circumstances.  In our view, those circumstances did not exist in this case.

[8]               Cette Cour retient de ces deux décisions qu’elle a discrétion pour rendre pareille ordonnance et que les facteurs dont le juge peut tenir compte, dans l’exercice de sa discrétion, ne sont pas limités à ceux mentionnés dans l’arrêt Bekar précité.

LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE LA PRÉSENTE AFFAIRE

[9]               Après la tenue de la conférence préparatoire, il saute aux yeux que la présente affaire sera décidée par le jury, essentiellement sur des questions de crédibilité.  L’accusé, le Tribunal le répète, s’est engagé formellement, par la voix de son procureur, à se faire entendre et il a dévoilé l’essence de sa défense.

[10]            La poursuite soumet qu’accorder la présente requête lui causerait un préjudice, alors que la défense soutient qu’y consentir ne ferait que mettre les deux parties sur un pied d’égalité.  Dans R c Barrow48 C.C.C.(3d) 308, le juge Nathanson de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse écrit :

…it will be helpful to a jury to know near the beginning of the case what evidence will be given both in direct examination and cross-examination by the Crown witnesses. Any conclusions to which members of the jury may have jumped after hearing the statement by Crown counsel can be offset in a timely manner by the opening statement made immediately thereafter by counsel for the accused.

[11]            Avec égards, le Tribunal ne voit pas quel préjudice pourrait subir le poursuivant, si l’on procède comme le suggère la défense.  Permettre que les deux avocats exposent, successivement, la preuve qu’ils entendent soumettre, ne peut qu’aider la bonne gestion du procès en permettant au jury de comprendre, dès le départ, le cheminement de chacune des parties, R c K.T.D., [2001] O.J. No. 2893 :

That vital credibility issue may be brought front and center by consecutive opening statements. Awareness in the minds of jurors from the outset will enable understanding of the significance of developing evidence.

[12]            De plus, cette façon de faire a l’avantage, non négligeable pour la poursuivante, de connaître, à l’avance, la défense de son adversaire ce qui, de l’opinion du Tribunal, compense amplement pour l’hypothétique préjudice invoqué par le substitut.  Le Tribunal considère que pareille décision est conforme aux principes de gestion de l’instance en matière pénale, tel qu’énoncés récemment, dans une décision unanime de la Cour d’appel de l’Ontario, rédigée par le juge Marc Rosenberg, R. c. Felderhof, décision du 10 décembre 2003, docket C39168.

[13]            Bien que la règle traditionnelle ne doive pas être écartée de façon systématique, elle doit cependant, quand l’équité et la bonne gestion du procès l’exigent, céder le pas à une approche qui fasse en sorte de mieux respecter l’équilibre entre les parties, tout en aidant le jury à remplir sa tâche;

[14]            En terminant, le Tribunal tient à rappeler aux avocats, qui le savent, évidemment, qu’un exposé de cause n’est pas une occasion additionnelle de plaider. Plusieurs avocats semblent oublier facilement cette règle et se permettent d’aller beaucoup plus loin que de relater la preuve qu’ils entendent soumettre à l’attention des jurés.  Le président du Tribunal, compte tenu d’expériences antérieures, préfère signaler, dès maintenant, qu’il se verra malheureusement dans l’obligation d’intervenir si l’exposé de l’une des parties ne respectait pas les principes reconnus en la matière et ce, même si, interrompre un avocat lors de son exposé ou de sa plaidoirie, est un geste fort désagréable à poser pour celui qui préside une audience.

R. c. Barrow48 C.C.C. (3d) 308.

R. c. Bekar75 C.C.C. (3d) 97

R. c. Boucher[2003] J.Q. N15317

R. c. Church of Scientology of Toronto[1992] O.J. N3756

R. c. Dickhoff[1996] S.J. No 547

R. c. Edwards31 C.R.R. 343

R. c. Gervais2001 CanLII 28428 (ON SC), [2001] O.J. N4942

R. c. J.C.[2001] O.J. N4042

R. c. Johal[1995] B.C.J. No 3012

R. c. K.T.D.[2001] O.J. N2893

R. c. MacDonald[1999] O.J. N5444

R. c. Murrin[1999] B.C.J. N3129

R. c. Paetsch[1993] A.J. No 366

R. c. Rojas, [2003] B.C.J. No 1632

R. c. Sood[1997] O.J. N5285

R. c. Vitale40 C.C.C. (3d) 267