Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Gignac c. R., 2013 QCCA 752 est une excellente source rappelant les principes applicables en matière de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. 

Voici les passages pertinents :

[18]        Dès 1984, la Cour suprême décide que la protection garantie à l’article 8 de la Charte est vaste et générale :

[…]  L’article 8 est une disposition constitutionnelle enchâssée.  Les textes législatifs ne peuvent donc pas empiéter sur cet article de la même façon que sur la protection offerte par la common law.  En outre, le texte de l’article ne le limite aucunement à la protection des biens ni ne l’associe au droit applicable en matière d’intrusion.  Il garantit un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

[19]        Dans l’affaire Dyment, la plus haute Cour précise que le droit à la vie privée est protégé par cette disposition.  Commentant l’arrêt Southam, le juge LaForest écrit, pour la majorité :

17       Le point de vue qui précède est tout à fait approprié dans le cas d’un document constitutionnel enchâssé à une époque où, selon ce que nous dit Westin, la société a fini par se rendre compte que la notion de vie privée est au coeur de celle de la liberté dans un État moderne; voir Alan F. Westin, Privacy and Freedom (1970), aux pp. 349 et 350.  Fondée sur l’autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien-être.  Ne serait-ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l’ordre public.  L’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique.

18.      Naturellement, un équilibre doit être établi entre les revendications en matière de vie privée et les autres exigences de la vie en société, et en particulier celles de l’application de la loi, et c’est justement ce que l’art. 8 vise à réaliser.  Comme l’affirme le juge Dickson, dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, aux pp. 159 et 160 :

La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu’une attente raisonnable.  Cette limitation du droit garanti par l’art. 8, qu’elle soit exprimée sous la forme négative, c’est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies « abusives », ou sous la forme positive comme le droit de s’attendre « raisonnablement » à la protection de la vie privée, indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi.

[Soulignement ajouté]

[20]        Dans les arrêts Duarte et Wong, la Cour suprême a abordé la question des enregistrements vidéo au regard du droit à la vie privée garanti à l’article 8 de la Charte.  Dans la première de ces analyses, en janvier 1990, le juge LaForest reprend la plume.  Après avoir affirmé qu’il est « inadmissible dans une société libre que les organes de l’État puissent se servir de cette technologie à leur seule discrétion », il écrit, pour la majorité :

Je ne vois aucune logique dans cette distinction entre la surveillance électronique par un tiers et la surveillance participative.  Déterminer si la surveillance électronique non autorisée de communications privées va à l’encontre d’une attente raisonnable quant au respect de la vie privée ne peut, selon moi, tenir à l’endroit où le microphone est caché.  Que le microphone soit caché dans le mur ou sur la personne d’un interlocuteur, pour décider si l’enregistrement clandestin est attentatoire à la vie privée, il faut se demander si la personne dont les propos ont été enregistrés a parlé dans des circonstances où elle pouvait raisonnablement s’attendre que ses propos ne soient entendus que par les personnes auxquelles elle les adressait.  Selon moi, lorsqu’une personne a des motifs raisonnables de croire que ses communications sont privées au sens exposé ci‑dessus, l’enregistrement électronique clandestin non autorisé de ces communications doit forcément être considéré comme la violation d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée.

Cette norme établie par la Charte doit, à mon avis, s’appliquer uniformément.  Pour ne pas être vide de sens, elle doit s’interpréter comme offrant une protection contre l’enregistrement arbitraire de communications privées dans tous les cas où nous nous attendons à ce que nos propos ne soient entendus que par la personne ou les personnes auxquelles nous les destinons.  L’article 8 de la Charte garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.  […]

[21]        Dans Wong, la Cour pousse plus loin cette analyse et mentionne que les principes énoncés englobent tous les moyens technologiques de l’époque.  C’est encore le juge La Forest qui écrit, pour la majorité :

L’arrêt R. c. Duarte était fondé sur la notion selon laquelle il existe une distinction cruciale entre le fait de s’exposer au risque que l’on surprenne notre conversation et celui de s’exposer au risque beaucoup plus dangereux que nos propos soient enregistrés électroniquement en permanence à la seule discrétion de l’État.  Si l’on transpose cette notion pour l’appliquer à la technologie en cause en l’espèce, il s’ensuit nécessairement qu’il existe une différence importante entre le risque que nos activités soient observées par d’autres personnes et le risque que des agents de l’État, sans autorisation préalable, enregistrent de façon permanente ces activités sur bande magnétoscopique, une distinction qui, dans certaines circonstances, peut avoir des conséquences en matière constitutionnelle.  Refuser de reconnaître cette distinction, c’est refuser de voir que la menace à la vie privée inhérente à la vie en société, dans laquelle nous sommes soumis à l’observation ordinaire d’autrui, n’est rien en comparaison avec la menace que représente pour la vie privée le fait de permettre à l’État de procéder à un enregistrement électronique permanent de nos propos ou de nos activités.  Voilà donc un facteur important à considérer lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu violation d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée dans des circonstances données.

[Soulignement ajouté]

[22]        Le juge Lamer ajoute, dans des motifs concordants, que si une violation est commise, il faut néanmoins appliquer les critères au cas d’espèce :

Je conviens avec mon collègue que la surveillance électronique subreptice non autorisée peut, dans certaines circonstances, porter atteinte aux droits garantis par l’art. 8.  Je conviens qu’une telle surveillance porte atteinte à l’art. 8 lorsque la personne qui en fait l’objet peut raisonnablement s’attendre au respect de la vie privée.  Toutefois, à mon avis, la question de savoir si une personne a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée ne peut être tranchée que dans le contexte factuel particulier de la surveillance, et non en fonction d’une notion générale de respect de la vie privée dans une société libre et démocratique dont une personne jouit en tout temps.  Une personne a le droit, aux termes de l’art. 8, de ne pas être assujettie à une surveillance électronique subreptice non autorisée lorsqu’elle s’attend raisonnablement à ce que les agents de l’État ne surveillent pas ses activités ou ses conversations privées et ne les enregistrent pas.  La question de savoir si une telle attente est raisonnable dépendra des circonstances particulières; une personne ne jouit pas nécessairement de ce droit dans toutes les circonstances.  Il suffit pour régler l’espèce de se demander si l’appelant pouvait raisonnablement s’attendre au respect de la vie privée dans cette chambre d’hôtel qui avait en fait été convertie en maison de jeu publique.  Il n’est pas nécessaire de décider si l’appelant aurait une telle attente en toutes circonstances selon une notion générale du respect de la vie privée.  L’étendue du concept de l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée sera déterminée par les situations de fait qui surviendront dans l’avenir.

[Soulignement ajouté]

[23]        Le lieu où se déroule la surveillance électronique est, personne ne le conteste, un élément important de l’examen de la situation de fait.  Plus un lieu est privé, plus l’attente raisonnable de respect de la vie privée sera élevée.  La maison d’habitation ou le bureau de travail constituent, pour deux exemples donnés, des lieux où l’attente raisonnable de respect de la vie privée est élevée.

[24]        Dans l’arrêt Buhay, la Cour suprême exprimait de nouveau, sous la plume de la juge Arbour, la démonstration requise pour prouver une atteinte à l’article 8 de la Charte :

18               L’article 8 de la Charte garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.  Prouver une atteinte à cette disposition exige d’établir tout d’abord que la personne en cause avait une attente raisonnable de vie privée à l’égard de l’objet visé par la fouille, la perquisition ou la saisie (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 159; Edwards, précité, par. 30).  L’attente raisonnable doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances (voir p. ex. Edwards, par. 31, et R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, p. 62).  Les facteurs à considérer comportent notamment, sans s’y limiter, la présence de l’accusé pendant la fouille, la possession ou le contrôle des biens ou des lieux faisant l’objet de la fouille ou de la perquisition, leur propriété, l’usage antérieur des biens ou des objets, la capacité de régir l’accès au lieu, l’existence d’une attente subjective de vie privée et le caractère raisonnable de l’attente sur le plan objectif (Edwards, par. 45).

19               En l’espèce, la question qui se pose, « en termes plus généraux et plus neutres » (Wong, précité, p. 50), est de savoir si, dans notre société, la personne qui met ses affaires sous clé dans un casier de gare routière a une attente raisonnable de vie privée.

[Soulignement ajouté]

[25]        La juge de première instance a relaté, correctement, des circonstances pertinentes  à l’évaluation contextuelle, en se référant notamment à la doctrine :

[13]      Dans les arrêts Edwards, Tessling et Patrick, la Cour suprême a énuméré une série de circonstances pertinentes à l’évaluation contextuelle à laquelle le Tribunal doit se livrer, que les auteurs Béliveau et Vauclair résument au paragraphe 747 de la 16e édition de leur traité général de preuves et de procédures pénales, en précisant que la liste n’est pas exhaustive :

1)   Est-ce que l’intéressé était présent au moment de la perquisition ?

2)   Est-ce que l’intéressé avait la possession ou le contrôle du bien ou du lieu faisant l’objet de la fouille ou de la perquisition ?  Pouvait-il régir l’accès au lieu, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure autrui ?

3)   À qui appartient le bien ou le lieu ?  L’intéressé possède-t-il un droit direct sur la chose saisie ?

4)   Quel est l’usage historique de la chose saisie ?  Les éléments de preuve recueillis, par leur objet ou leur nature, révèlent-ils des informations privées ?

5)   L’intéressé avait-il une attente subjective en matière de vie privée ?

6)   Considérant notamment les éléments qui suivent, l’intéressé avait-il une attente raisonnable, sur le plan objectif en matière de vie privée ?

a)   L’endroit où a eu lieu la perquisition et, s’il s’agit d’une propriété privée, l’intrusion de l’État a-t-elle une incidence sur l’analyse relative au droit au respect de la vie privée ?

b)   L’information ou l’objet était-il à la vue du public ?

c)   L’information ou l’objet avait-il été abandonné ?

d)   L’information ou l’objet révélait-il des détails intimes sur le mode de vie ou des renseignements d’ordre biographique ?

e)   Des tiers possédaient-ils déjà les renseignements et si oui, étaient-ils visés par une obligation de confidentialité ?

f)     La technique policière a-t-elle porté atteinte au droit à la vie privée ?

g)   La technique de fouille ou de surveillance elle-même était-elle envahissante ou déraisonnable d’un point de vue objectif et si oui, quelle est son incidence sur le droit au respect de la vie privée ?

[Références omises]