R. c. Laplante, 2017 QCCQ 832 :

L’ordre de fournir l’échantillon d’haleine en vertu de l’article 254(3) C.cr. a-t-il été fait dès que raisonnablement possible eu égard aux circonstances?

[49]        Outre la mention aux allégués 23 et 25 de la requête, cette question n’a pas été traitée par les parties. Les allégués se lisent comme suit :

« 23. De plus, l’ordre de l’agent Saint-Surin en vertu de l’article 254 (3) C.cr. n’a pas été fait dès que cela était raisonnablement possibles eu égards aux circonstances;

  1. Cette ordre n’a pas été donné dans « les meilleurs délais » après la naissance des motifs raisonnables et probables (ceux-ci étant toujours démentis) que l’agent Saint-Surin avait raison de croire; »

[50]        Il appartient à celui qui allègue la violation d’un droit d’en faire la preuve selon la balance des probabilités. Il est difficile de cerner les délais véritablement contestés par le requérant. Quoi qu’il en soit, le Tribunal n’a pas une telle preuve.

[51]        Si le délai visé est celui entre l’arrestation et la sommation à le suivre pour l’obtention d’un échantillon dans un alcootest, le délai n’est que de 15 minutes (arrestation à 23 h 10 – sommation de suivre au poste à 23 h 25). Le délai n’a rien d’excessif d’autant plus qu’à la demande du requérant, l’agent a dû l’informer une seconde fois de ses droits.

[52]        Si le délai vise plutôt que les échantillons d’haleine n’ont pas été prélevés à « dès que matériellement possible » tel que l’exige l’article 258 C.cr., il appartient au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable les conditions d’application prévues à l’article 258(1) c) afin de bénéficier des présomptions d’identité et d’exactitude. Par contre, il revient à la défense de soulever, dans le cadre d’une requête en exclusion de la preuve, le non-respect de l’une des conditions d’application[22].

[53]        L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Vanderbruggen[23], maintes fois cité par les tribunaux du pays – dont notre Cour supérieure siégeant en appel[24] – rappelle l’interprétation à privilégier pour l’expression en litige :

« 12     That leaves the question that is at the heart of this appeal — the meaning of as soon as practicable. Decisions of this and other courts indicate that the phrase means nothing more than that the tests were taken within a reasonably prompt time under the circumstances. See R. v. Phillips (1988), 1988 CanLII 198 (ON CA), 42 C.C.C. (3d) 150 (Ont. C.A.) at 156; R. v. Ashby (1980), 57 C.C.C. (2d) 348 (Ont. C.A.) at 351; and R. v. Mudry, R. v. Coverly (1979), 1979 ABCA 286 (CanLII), 50 C.C.C. (2d) 518 (Alta. C.A.) at 522. There is no requirement that the tests be taken as soon as possible. The touchstone for determining whether the tests were taken as soon as practicable is whether the police acted reasonably. See R. v. Payne (1990), 56 C.C.C. (3d) 548 (Ont. C.A.) at 552R. v. Carter (1981), 1981 CanLII 2063 (SK CA), 59 C.C.C. (2d) 450 (Sask. C.A.) at 453; R. v. Van Der Veen (1988), 1988 ABCA 277 (CanLII), 44 C.C.C. (3d) 38 (Alta. C.A.) at 47; R. v. Clarke[1991] O.J. No. 3065 (C.A.); and R. v. Seed1998 CanLII 5146 (ON CA), [1998] O.J. No. 4362 (C.A.).

13     In deciding whether the tests were taken as soon as practicable, the trial judge should look at the whole chain of events bearing in mind that the Criminal Code permits an outside limit of two hours from the time of the offence to the taking of the first test. The “as soon as practicable” requirement must be applied with reason. In particular, while the Crown is obligated to demonstrate that — in all the circumstances — the breath samples were taken within a reasonably prompt time, there is no requirement that the Crown provide a detailed explanation of what occurred during every minute that the accused is in custody. See R. v. Letford (2000), 2000 CanLII 17024 (ON CA), 150 C.C.C. (3d) 225 (Ont. C.A.) at para. 20; R. v. Carter, supraR. v.Cambrin (1982), 1982 CanLII 353 (BC CA), 1 C.C.C. (3d) 59 (B.C.C.A.) at 61-3, and R. v. Seed at para. 7. »

[54]        En l’espèce, le requérant ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver de façon prépondérante le non-respect de l’une des conditions d’application. Il est bien établi que c’est au regard de l’ensemble des circonstances que le délai doit être analysé. De plus, l’expression « dès que matériellement possible » ne signifie pas « aussitôt que possible ». La poursuite n’a pas à expliquer le délai dans le menu détail[25]. Toutefois, comme l’a récemment rappelé la Cour supérieure du Québec siégeant en appel de la Cour des poursuites sommaires, il importe que la poursuite démontre que, selon toutes les circonstances, les échantillons d’haleine ont été prélevés « within a reasonably prompt time »[26]. Dans l’arrêt Maroussi précité, le juge Marc-André Blanchard procède à une intéressante analyse jurisprudentielle qui mène à cette conclusion. Bref, ce n’est pas tant la longueur du délai qui importe, mais l’explication qui justifie un tel délai. Les faits parlent d’eux-mêmes.

[55]        En l’espèce, le délai entre l’arrestation (23 h 10) et le premier prélèvement (0 h 08) est de 58 minutes. À première vue, le délai est long et nécessite une justification.

[56]        Les actions du policier se résument comme suit :

  •       23 h 10 : Mise en état d’arrestation, lecture à deux reprises des droits constitutionnels;
  •       23 h 23 : lecture de la carte des droits;
  •       23 h 25 : sommation de se soumettre à l’épreuve de l’alcootest;
  •       23 h 25 à 23 h 38 : attente de la remorqueuse;
  •       23 h 38 à 23 h 53 : transport vers le poste de police;
  •       23 h 53 : Arrivée au poste de police;
  •       23 h 53 et 0 h 08 : préparation de l’alcootest par l’agent Saint-Surin;
  •       0 h 08 : premier échantillonnage;
  •       0 h 32 : second échantillonnage.

[57]        Outre le délai de l’arrestation à la sommation dont nous avons traité précédemment, les autres délais s’expliquent de façon satisfaisante. D’abord, l’attente de la remorqueuse s’explique par l’application de l’article 209.2.1 du Code de la sécurité routière qui permet à l’agent de la paix de retenir le véhicule routier à compter du moment où il donne l’ordre à la personne de le suivre pour subir l’épreuve d’alcootest jusqu’à la fin de celle-ci. En l’espèce, le remorquage était nécessaire en raison de la position du véhicule sur la voie publique. L’application de la loi constitue sans l’ombre d’un doute une explication raisonnable pour justifier le court délai de treize minutes en vue du remorquage.

[58]        Le transport s’est effectué en quinze minutes. Dans un centre urbain comme Gatineau, ce délai n’a rien d’anormalement long.

[59]        Entre l’arrivée au poste et le premier test, le court délai de quinze minutes afin de permettre la prise en charge du requérant par un autre policier et libérer l’agent Saint-Surin afin qu’il prépare l’appareil représente un délai acceptable, voire nécessaire.

[60]        Compte tenu de l’ensemble des circonstances précédemment décrites, le Tribunal considère que l’échantillonnage s’est fait dès que matériellement possible