Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Phung c. R., 2013 QCCA 811, est une illustration du principe selon lequel la maison d’habitation est un lieu hautement protégé par les valeurs consacrées dans la Charte.

Voici les passages pertinents relativement au para. 24 (2) de la Charte :

[18]        Il convient d’abord de rappeler que la poursuite reconnaissait la violation. Voici comment s’exprime le procureur de la poursuite à ce sujet : 

En fait, j’admets qu’il y a une partie de la fouille qui a été abusive, en ce sens que par rapport à la plantation elle-même, je ne prétends pas que la fouille a été abusive cette preuve-là existait plain view. Pour ce qui est du reste, au niveau des papiers, vous serez à même de regarder les photos, on va dans le tiroir, je pense qu’il est difficile de prétendre, en tout cas, je ne sais pas quelle sorte d’oeil il faut avoir pour pouvoir voir quelque chose dans… mais je n’ai pas besoin de m’étendre là-dessus, là, je pense qu’on est tous d’accord avec ça. Je prétends que la partie de la fouille qui a permis de trouver des éléments, en fait, qui reliaient les accusés à cette plantation-là parce qu’il n’y a personne sur les lieux, la plantation en tant que telle, la fouille, elle est légale, aurait été autorisée par un… c’est ça, aurait été autorisée par un mandat, mais pour ce qui relie les accusés ici présents à cette maison-là sur les lieux, oui, je prétends, je suis d’avis que ça peut être considéré…

PAR LA COUR

La fouille, la saisie peut être abusive…

PAR LA DÉFENSE

Oui.

[19]        Il faut convenir qu’il n’y avait ni urgence, ni danger que les éléments de preuve puissent disparaître. Un mandat de perquisition était nécessaire[7].

[20]        Notre Cour a eu l’occasion d’analyser une situation semblable dans l’arrêt L’Espérance[8]. Le juge Rochette écrit, en regard de la gravité de la conduite attentatoire de l’État que[9] :

[53]      À mon avis, l’étude de cet élément donne un résultat neutre. Les policiers ont agi de bonne foi mais ils n’ignoraient pas que leur intervention s’effectuait dans une maison d’habitation, un lieu hautement protégé par les valeurs consacrées dans la Charte. La violation ne peut être banalisée. La bonne foi n’est qu’un élément de l’analyse et elle doit être considérée en relation avec les facteurs touchant à la gravité de l’atteinte. Enfin, rien ne donnait à penser qu’il était nécessaire d’agir instanter en raison d’un risque élevé de disparition de la preuve ou pour assurer la sécurité des policiers.

[Références omises]

[21]        Il ajoute, en analysant l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte[10] :

[55]      L’examen de cet élément milite en faveur de l’exclusion de la preuve. La fouille et perquisition de la résidence des appelants, une maison d’habitation où l’attente raisonnable en matière de vie privée est très importante, doit être qualifiée de grave, même si elle n’a pas été effectuée dans un contexte qui porte atteinte à la dignité individuelle.

[Référence omise]

[22]        Il termine son analyse du troisième facteur en précisant[11] :

[58]      En l’espèce, l’utilisation des éléments de preuve recueillis dont l’importance et la fiabilité ne sont pas questionnées servirait l’intérêt de la société que l’affaire soit jugée au fond et que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice. Mais cela est vrai dans tous les cas qui seraient apparentés au nôtre. En revanche, la production de cannabis pratiquée par les appelants est loin du plus haut niveau de gravité. Il me semble que les répercussions négatives qu’aurait, sur la considération dont jouit l’administration de la justice, l’utilisation des éléments de preuve recueillis à la suite de la fouille abusive pratiquée ici dépassent largement celles qu’aurait leur exclusion.

[Référence omise]

[23]        Lorsqu’il procède enfin à la mise en balance de ces facteurs, en regard des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Harrison, le juge Rochette écrit[12] :

[60]      Cet exercice qualitatif m’amène à conclure qu’ici, l’utilisation des éléments de preuve recueillis chez les appelants serait susceptible, à long terme, de déconsidérer l’administration de la justice. La conduite attentatoire à la vie privée demeure grave, même si les policiers ont agi de bonne foi. Ceux-ci auraient pu raisonnablement agir autrement et demander un mandat de perquisition par télécommunication, alors que leur sécurité n’était pas menacée et qu’aucun élément tangible ne faisait craindre la disparition de la preuve. Enfin, les circonstances de la perpétration des infractions ne permettent pas de les situer en haut de l’échelle de gravité.

[24]        La Cour suprême enseigne aussi que les cours d’appel devraient faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de la décision rendue dans l’appréciation et la mise en balance de ces facteurs.à

[25]        Toutefois, ici, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et de la violation admise par la poursuite, la Cour est d’avis, pour paraphraser le juge Rochette, que la juge de première instance « […] commet une erreur de principe en banalisant, en définitive, la portée et le caractère très attentatoire à la vie privée de la fouille de la résidence des appelants. L’incidence de la violation est conséquemment mal évaluée. Enfin, le juge erre de façon manifeste en qualifiant de « grave » à tous égards l’infraction reprochée aux appelants, […] »[13].

[26]        Il convient de rappeler que les policiers ne se trouvaient pas dans une situation urgente et que leur sécurité n’était aucunement en danger. La recherche d’un suspect était aussi illusoire. Il leur était alors facile d’obtenir un mandat de perquisition compte tenu des stupéfiants qu’ils venaient de découvrir. Ils se sont plutôt crus justifiés de continuer leur enquête et leur fouille des lieux, en cherchant des éléments qui pourraient leur permettre d’identifier les producteurs de la substance trouvée.

[27]        C’est ainsi qu’ils ont mis la main sur un certificat de location automobile au nom de l’appelant et de sa co-accusée, un contrat de location automobile au nom de M. Phung et des autocollants relatifs à des médicaments prescrits à leur fils X. Ils ont aussi fouillé le réfrigérateur et ont utilisé les clés qui se trouvaient sur les lieux afin de vérifier leur concordance avec le véhicule stationné à l’arrière de l’immeuble. Ils ont pu ainsi constater que ce véhicule était immatriculé au nom de Mme Thi Nguyet Le. Tous ces éléments leur ont ensuite facilement permis d’établir un lien entre les substances trouvées au 7080, De Lorimier, l’appelant et sa co-accusée. Il s’agit là d’éléments de preuve matérielle sans lesquels un verdict de culpabilité n’aurait pu être prononcé.

[28]        Ainsi, l’utilisation de la preuve recueillie dans les circonstances établies en l’espèce pourrait amener une personne raisonnable à penser que les droits individuels ont peu de poids dans notre société et, en conséquence, serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[29]        La Cour ajoute, en terminant, qu’il est particulièrement étonnant, et tout autant inadmissible, de constater que des policiers, et particulièrement ceux qui sont expérimentés et spécialisés dans un domaine aussi pointu que celui des stupéfiants, n’aient pas encore réalisé, plus de 30 ans après la mise en œuvre de la Charte canadienne des droits et libertés, l’importance du respect de la loi et des modalités de sa mise en œuvre.

[30]        La requête en exclusion de la preuve des appelants aurait dû être accueillie et la preuve illégalement recueillie exclue. Un verdict d’acquittement aurait en conséquence été prononcé.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[31]        ACCUEILLE l’appel;

[32]        CASSE et ANNULE les verdicts de culpabilité prononcés contre M. Van Hoa Phung;

[33]        ACQUITTE l’appelant de chacun des chefs de l’acte d’accusation porté contre lui.