R. c. Lanthier, 2018 QCCQ 1425

Chaque échantillon d’haleine a-t-il été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise?

[5]         Dans la décision Simard c. R.[4], l’honorable juge Alexandre Boucher résume l’état du droit sur la notion de « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » prévue à l’article 258(1)c)ii) du Code criminel :

[18] L’al. 258 (1) c) du Code criminel prévoit une présomption pour faciliter la tâche de la poursuite à cet égard. Si la poursuite établit les faits énoncés aux sous-al. (ii) à (iv) de cette disposition, dont le prélèvement des échantillons d’haleine dès que matériellement possible selon le sous-al. (ii), les résultats des analyses sont tenus comme démontrant l’alcoolémie de l’accusé tant au moment des analyses qu’au moment où l’infraction a été commise, ceci à moins que l’accusé ne présente une preuve, avec certaines restrictions, soulevant un doute raisonnable sur le bon fonctionnement ou l’utilisation correcte de l’alcootest (R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57 (CanLII), [2012] 3 RCS 187; R. c. Gibson, 2008 CSC 16 (CanLII), [2008] 1 RCS 397; R. c. Boucher, 2005 CSC 72 (CanLII), [2005] 3 RCS 499; R. c. St. Pierre, 1995 CanLII 135 (CSC), [1995] 1 RCS 791).

[20] Bien évidemment, le fardeau d’établir les prérequis à l’application de la présomption, mentionnés aux sous-al. 258 (1) c) (ii) à (iv), incombe à la poursuite (R. c. Burwell, 2015 SKCA 37 (CanLII), par. 93; R. c. O’Meara, 2012 ONCA 420 (CanLII), par. 28; R. c. Vanderbruggen (2006), 2006 CanLII 9039 (ON CA), 206 CCC (3d) 489 (CAO), par. 8 à 17; R. c. Maroussis, 2016 QCCS 209 (CanLII), par. 29 et 30).

[21] […] En effet, dans ce contexte, l’enjeu n’est pas l’admissibilité en preuve des résultats de l’alcootest, mais plutôt les effets de ceux-ci. Il n’est pas non plus question de déterminer si les échantillons d’haleine ont été obtenus en vertu d’un ordre valide au sens du par. 254 (3) du Code et des droits garantis par la Charte, c’est-à-dire un ordre qui est notamment fondé sur des « motifs raisonnables de croire ».

[22] L’arrêt ontarien Vanderbruggen, précité, aux par. 12 et 13, expose, dans les termes suivants, le droit relatif à l’exigence de la prise d’échantillons d’haleine dès que matériellement possible:

[12]      That leaves the question that is at the heart of this appeal—the meaning of as soon as practicable.  Decisions of this and other courts indicate that the phrase means nothing more than that the tests were taken within a reasonably prompt time under the circumstances. (…) There is no requirement that the tests be taken as soon as possible. The touchstone for determining whether the tests were taken as soon as practicable is whether the police acted reasonably.  (…)

[13]      In deciding whether the tests were taken as soon as practicable, the trial judge should look at the whole chain of events bearing in mind that the Criminal Code permits an outside limit of two hours from the time of the offence to the taking of the first test.   The “as soon as practicable” requirement must be applied with reason.  In particular, while the Crown is obligated to demonstrate that—in all the circumstances—the breath samples were taken within a reasonably prompt time, there is no requirement that the Crown provide a detailed explanation of what occurred during every minute that the accused is in custody. (…)   –   [Citations omises]

[6]         La notion de « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » doit être appliquée en considérant l’ensemble de la preuve et pour ce faire, le Tribunal doit évaluer si les policiers ont agi de manière raisonnable. En effet, contrairement à plusieurs décisions de jurisprudence consultées, la présente affaire ne concerne pas un « délai inexpliqué » étant donné que les policiers ont expliqué l’ensemble de leurs interventions. Aux fins d’analyse, le Tribunal considère les délais suivants :

Les délais

  •         Entre l’interception et le premier prélèvement : (3:04 à 4:27) = 1h23;
  •         Entre l’interception et le deuxième prélèvement : (3:04 à 4:49) = 1h45;
  •         Entre l’interception et le départ vers le poste : (3:04 à 3:50) = 46 minutes;
  •         Entre le premier et le deuxième prélèvement : (4:27 à 4:49) = 22 minutes;
  •         Entre l’arrivée de la remorqueuse et le départ vers le poste : (3 :35 à 3 :50) =
    15 minutes;
  •         Entre l’arrivée au poste et l’exercice du droit à l’avocat : (3:55 à 4:08) = 13 minutes;
  •         Entre l’arrivée au poste et le premier prélèvement : (3:55 à 4:27) = 32 minutes.

APPLICATION EN L’ESPÈCE

Le délai entre l’interception (3:04) et le départ vers le poste de police (3:50)

[7]         Le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que les policiers ont agi raisonnablement. En effet, au cours de cette période de temps de 46 minutes, les policiers ont :

  •         Procédé à l’enquête concernant une capacité de conduire avec les facultés affaiblies par l’alcool;
    (3:04 à 3:08);
  •         Procédé à l’arrestation de l’accusé de même qu’à une fouille accessoire (3:08);
  •         Placé l’accusé dans le véhicule patrouille (3:10);
  •         Lu la carte des droits à l’accusé (3:19);
  •         Donné l’ordre à l’accusé de se soumettre à la prise d’échantillon d’haleine (3:21);
  •         Procédé à la fouille du véhicule de l’accusé (3:32);
  •         Attendu l’arrivée de la remorqueuse;
  •         Procédé à l’inventaire du véhicule;
  •         Commencé à remplir les formulaires de saisie.

[8]   En ce qui concerne l’attente de la remorqueuse, le Tribunal est d’avis que l’explication du policier Milardi est raisonnable. En effet, l’agent Milardi mentionne qu’il attend la remorqueuse pour remettre une copie du formulaire au remorqueur et à cause de la possibilité de saisie du véhicule. De plus, il mentionne vouloir assurer la sécurité du remorqueur étant donné la protection offerte par les flèches directionnelles sur le véhicule police et éviter qu’un accident survienne étant donné l’heure tardive.

[9]         Étant donné l’heure et l’endroit où est immobilisé le véhicule de l’accusé, soit la voie de service (voie de droite) d’une autoroute de même que les raisons mentionnées par l’agent Milardi, particulièrement celles reliées à la sécurité routière (sécurité du remorqueur et des autres véhicules), le Tribunal conclut que les actions des policiers sont raisonnables dans les circonstances.

[10]      De plus, le fait pour les policiers d’attendre la fin du remorquage du véhicule de l’accusé avant de quitter vers le poste est tout aussi raisonnable étant donné l’heure et les motifs reliés à la sécurité routière invoqués, de même que la proximité des lieux avec le poste de police. Que l’agent Milardi ne puisse affirmer avec certitude si un autre véhicule patrouille avait été appelé après l’arrestation de l’accusé ne rend pas pour autant déraisonnable la conduite des policiers dans le présent dossier.

[11]        Les faits de la présente affaire diffèrent de ceux de l’affaire R. c. Bernard[5] où peu d’explications sont données par les policiers concernant un délai de 1 heure et 16 minutes entre l’arrestation et le premier prélèvement. De plus, contrairement aux faits dans la cause R. c. Tremblay[6] où le véhicule est stationné dans une entrée privée et ne cause aucun danger pour le public, le véhicule de l’accusé se trouve sur la voie de service (voie de droite) d’une autoroute.

Le délai de 32 minutes entre l’arrivée au poste de police (3:55) et le premier prélèvement (4:27)

[12]      Le Tribunal est d’avis que la conduite des policiers est raisonnable et que le délai de 32 minutes est expliqué. En effet, au cours de cette période :

  •    L’accusé arrive au poste de police (3:55);
  •    L’accusé se rend à la toilette (4:02);
  •    L’accusé se met la main dans la bouche pour se forcer à cracher et plus tard          se faire vomir;
  •    L’accusé parle à un avocat (4:08 – 4:22);
  •    Le technicien débute la séquence de prélèvement (4:24);
  •    Trois essais sont nécessaires pour que le technicien obtienne un résultat      (4:27);
  •    Le technicien attend 15 minutes pour le prélèvement étant donné que l’accusé         a vomi.

[13]      Par conséquent, non seulement la conduite des policiers est raisonnable en l’espèce, mais l’accusé est lui-même responsable d’une certaine période de temps, car il se force à cracher et par la suite, il se fait vomir, ce qui occasionne un délai minimal de 15 minutes suivant le vomissement de celui-ci. De plus, selon le technicien Maheux-Drouin, l’accusé ne souffle pas correctement dans l’alcootest si bien que trois essais sont nécessaires pour obtenir un résultat à 4:27.

Le délai entre les deux prélèvements (4:27 à 4:49)

[14]      Le Tribunal considère que la conduite des policiers impliqués dans le présent dossier est raisonnable, et ce, pour les raisons suivantes :

  •         Contrairement à certains cas énumérés dans la jurisprudence, le délai en l’espèce est expliqué;
  •         Le technicien Maheux-Drouin respecte ce qui lui a été enseigné à l’École   nationale de police, soit 20 minutes entre les deux tests, même s’il reconnait que le délai minimal prévu au Code criminel est de 15 minutes[7];
  •         Entre les deux prélèvements, l’accusé met ses doigts dans sa bouche et les          retire rapidement. L’accusé est avisé à 4:45 d’arrêter sous peine d’arrestation          pour entrave au travail des policiers;
  •         La séquence pour le deuxième prélèvement commence à 4:45, soit 18       minutes après le premier prélèvement.

[15]        Dans l’arrêt R. c. Singh[8], la Cour d’appel de l’Ontario maintient une condamnation en première instance où 28 minutes s’étaient écoulées entre les deux prélèvements sans qu’aucune preuve ne soit produite pour expliquer ce délai :

[14]      That trial judge drew and applied the correct principles from paras. 12-13 of Vanderbruggen. The requirement that the samples be taken “as soon as practicable” does not mean “as soon as possible”. It means nothing more than that the tests should be administered within a reasonably prompt time in the overall circumstances. A trial judge should look at the whole chain of events, keeping in mind that the Criminal Code permits an outside limit of two hours from the time of the offence to the taking of the first test. The “as soon as practicable” requirement must be applied with reason.

[16]        En l’espèce, non seulement l’écart de temps est inférieur à celui sous étude dans la cause de R. c. Singh[9], mais le Tribunal considère qu’une preuve est faite pour expliquer le délai de 22 minutes.

[17]        De plus, dans la décision R. c. Ryan[10], l’honorable juge Hélène Di Salvo rejette l’argument à l’effet qu’un délai de 32 minutes entre les deux prélèvements d’haleine ne respecte pas l’exigence de « dès que matériellement possible de le faire » dans les circonstances où 12 minutes (de 20 à 32 minutes) ne sont pas expliqués par les policiers et où il s’écoule 1 heure et 46 minutes entre l’interception et le deuxième prélèvement.

[18]        Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la conduite du technicien Maheux-Drouin est raisonnable dans les circonstances.

CONCLUSION

[19]        Le Tribunal a examiné la chaîne complète des événements en ayant à l’esprit le délai de deux heures après la commission de l’infraction pour prélever les échantillons d’haleine. Les policiers, dans le présent dossier, ont agi de manière raisonnable et ont fourni plusieurs détails pour expliquer les délais pertinents.

[20]        Par conséquent, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que chaque échantillon d’haleine a été prélevé « dès qu’il a été matériellement possible de le faire ».

[21]        La présomption d’identité prévue à l’article 258(1)c) du Code criminel s’applique si bien que la preuve des résultats des analyses fait foi de l’alcoolémie de l’accusé au moment de la conduite de son véhicule, soit à 3:04.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la requête en non-lieu présentée par l’accusé.