R. c. Turgeon, 2017 QCCQ 9100

 

 L’accusé par la voie de son avocat prétend que ses droits constitutionnels énoncés aux articles 78 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés auraient été violés par ces deux précédents agissements des agents de la paix. Il estime que lors de l’intervention des agents de la paix, des éléments de preuve (les résultats obtenus à l’ivressomètre) ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à ses droits garantis par la Charte, et qu’ils devraient être écartés, car leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[3]. Telles sont les questions soumises à l’appréciation du tribunal.

 

  1. B)          La fouille (Article 8de la Charte canadienne des droits et libertés)

[57]    Le tribunal est bien conscient que le travail des agents de la paix, lorsqu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions, n’est pas toujours facile voire même à certains moments dangereux. Certaines décisions doivent être prises après un court moment de réflexion et parfois ils doivent fournir une réponse très rapide à une situation qui prend une tangente imprévue. Les agents de la paix patrouillent souvent en solo et couvrent de vastes territoires. Le district judiciaire de Montmagny où surviennent les présents événements, en est un bel exemple.

[58]    Ainsi, le contexte des présents événements doit être considéré, car il a une importance considérable.

[59]    L’accusé prétend que l’État, par les agissements des deux agents de la paix, a violé deux de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Il aurait été détenu arbitrairement par les représentants de l’État (article 9) après avoir été l’objet d’une fouille abusive (article 8).

[60]    Le 15 novembre 2014, l’accusé s’est présenté à un « barrage » qui était en train d’être installé par deux agents de la paix. C’est dans une certaine précipitation que finalement l’agent St-Hilaire avec sa lampe de poche, intime l’ordre à l’accusé de stationner son véhicule. L’agent de la paix, par ses constatations, a acquis des motifs raisonnables de soupçonner que l’accusé a dans son organisme de l’alcool.[44]

[61]    Indépendamment de la tenue ou non d’épreuves de coordination de mouvements, l’accusé a reçu un ordre de l’agent St-Hilaire de fournir immédiatement un échantillon d’haleine. L’accusé collabore : « J’ai ordonné à ses ordres (sic) »[45]. L’accusé est donc détenu pour les fins d’une enquête liée à l’article 253 du Code criminel. C’est le législateur, par l’article 254 (2), qui permet à l’agent de la paix d’agir ainsi : « peut lui ordonner » à une personne, « et, au besoin, de le suivre » pour les fins de cet article. Mais le suivre où?

[62]    Or, à la suite de cet ordre (dont la formulation n’a pas été ici contestée dans le présent dossier) durant la période de détention pour les fins de cette enquête, l’État « prend » une autre « décision » : celle de soumettre l’accusé à une fouille.

[63]    Le tribunal a déterminé que c’est l’agent St-Hilaire qui a procédé à la fouille de l’accusé. Même si la preuve a été contradictoire quant à l’auteur de la fouille, les trois témoins reconnaissent qu’elle a été faite.

[64]    L’agent St-Hilaire déclare qu’il ne l’a pas faite mais il sait qu’elle a été faite. Selon ses propos, il n’aurait pas pris part à un processus décisionnel pour cette étape des événements. L’accusé dit, et c’est ce que le tribunal retient, qu’elle a été faite par l’agent St-Hilaire et il n’a pas été informé des motifs de la tenue de celle-ci. Or, si le tribunal avait retenu la thèse de la poursuivante que la fouille avait été faite par l’agent Allard, elle devrait tout autant satisfaire aux exigences de la jurisprudence énoncée dans le Traité général de preuve et de procédure pénales[46] qui concernent notamment l’arrêt R. c. Mann[47] et R. c. MacDonald[48] de la Cour suprême du Canada :

[961] Lors d’une arrestation, l’absence de mandat est atténuée par l’exigence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, ce qui n’est pas le cas lors d’une détention aux fins d’enquête. Le policier exerce alors un pouvoir orienté vers la protection de la vie et des biens, un devoir reconnu en common law, et ce contexte permet parfois de fouiller par palpation la personne. Par contre, il n’y (sic) pas toujours une correspondance entre le devoir et les pouvoirs dont ils disposent. Ce pouvoir dépend essentiellement du contexte de l’intervention policière. Le pouvoir de fouille n’existe donc pas de manière autonome puisque « le policier doit croire, pour des motifs raisonnables, que sa propre sécurité ou celle d’autrui est menacée » et que cette « fouille de sécurité » est raisonnablement nécessaire pour écarter une menace imminente à la sécurité du public ou des policiers. Si on accepte que les policiers soient souvent placés dans des situations où ils doivent réagir rapidement, ils doivent néanmoins « agir à partir d’inférences raisonnables et précises fondées sur les faits connus se rapportant à la situation », sur des faits vérifiables. Des inquiétudes vagues, l’instinct ou l’intuition ne suffisent pas. Puisque l’objectif de l’opération vise la sécurité des personnes, le policier ne saurait aller plus loin qu’une fouille par palpation […]. Par conséquent, « pour que l’atteinte soit justifiable, la conduite des policiers doit, eu égard à l’ensemble des circonstances, être raisonnablement nécessaire à l’accomplissement du devoir en question ». Elle sera raisonnablement nécessaire selon l’importance du devoir policier pour l’intérêt public, de la nécessité de cette atteinte pour l’accomplissement de ce devoir et de son ampleur. Autrement dit, pour déterminer si une fouille de sécurité est nécessaire, c’est-à-dire autorisée par une règle de droit, on doit placer en équilibre le devoir et le droit en cause en soupesant : « 1. l’importance que présente l’accomplissement de ce devoir pour l’intérêt public; 2. la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir; 3. l’ampleur de l’atteinte à la liberté individuelle ». […] (Notes omises).

[65]    Lors de son interrogatoire, l’agent Allard énonce les motifs pour la tenue de la fouille sommaire de l’accusé. Elle est effectuée à l’égard d’une personne inconnue « pour notre sécurité pis aussi parce qu’on va travailler dans un espace clos dans le véhicule autopatrouille »[49]. Selon la preuve, l’accusé et les deux agents de la paix ne se sont jamais rencontrés.

[66]    Or, dans les extraits du contre-interrogatoire de l’agent Allard et précédemment reproduits[50], la preuve démontre sans ambiguïté, qu’il n’y a aucun processus décisionnel préalable à la tenue de ce type de fouille : « À toutes les fois », « systématiquement », « on présume toujours le pire », « on doit se préparer à toutes éventualités ». L’avocat de l’accusé parle même d’une « directive » et le témoin répond par l’affirmative. Dans une réponse qui ne lui est pas suggérée et donc de sa propre initiative l’agent Allard déclare : « Nous c’est, c’est une procédure, on fait tout l’temps une fouille par palpation ».

[67]    Pour le tribunal, il est clair par l’aveu même de l’agent de la paix Allard qu’il n’a, ou qu’ils n’ont, jamais considéré raisonnablement l’ensemble de la situation. Aucune inférence raisonnable et précise concernant la sécurité fondée le moindrement sur des faits n’est présente. Au contraire, la preuve démontre que l’accusé a toujours coopéré et qu’il n’y a jamais eu d’animosité tout au long de l’intervention. Les deux agents de la paix ne se contredisent pas sur ce point. Rien ne leur suggère une fouille.

[68]    De plus, l’agent de la paix St-Hilaire ne s’est jamais opposé à la tenue de la fouille, si elle a été tenue par son collègue Allard. Il est clairement évasif sur ce point. Il est bien conscient de son éventuelle survenance et il ne s’y oppose pas.

[69]    Pour le tribunal, il est évident qu’il y a une coopération entre ces coéquipiers, une complémentarité sans se soucier des raisons de leurs actions. L’agent Allard s’exprime bien souvent à la forme impersonnelle « on ».

[70]    En raison du témoignage de l’accusé concernant le témoignage de l’agent St-Hilaire, ce dernier n’avait certainement pas à « introduire ses mains » dans le portefeuille de l’accusé. Dans la manière, cette fois, la fouille est intrusive et envahissante, donc abusive. L’ampleur de l’atteinte n’est pas minime.

[71]    Lorsque les agents de la paix ont des devoirs, ils ont aussi des pouvoirs de la loi ou de la common law, qu’ils peuvent exercer en conformité avec la loi ou de la common law en raison des circonstances.

[72]    Pour le tribunal, les agents de la paix n’ont pas respecté les enseignements de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Mann et MacDonald dont certains extraits sont reproduits dans la note infrapaginale[51] :

[73]    Il est indéniable qu’il est important que les agents de la paix soient vigilants concernant les conducteurs en état d’ébriété et qu’ils utilisent même des moyens créatifs et légaux pour les démasquer. Les barrages sont l’un de ces moyens et aident à protéger les Canadiens d’accidents où il y a même des blessures ou la mort. Or, dans l’accomplissement de leur devoir, les agents de la paix St-Hilaire et Allard n’avaient pas de motifs raisonnables d’agir comme ils l’ont fait en soumettant l’accusé à une fouille. Les agents ne cherchaient pas des armes et/ou ne craignaient pas pour leur sécurité. Il n’était pas nécessaire ici qu’il y ait une atteinte notamment à la vie privée de l’accusé pour l’accomplissement des devoirs de chacun des agents de la paix[52]. Le contexte précis au moment de l’intervention doit être considéré par l’agent de la paix qui décide d’exercer un pouvoir de fouille.

[74]    De la preuve présentée, à aucun moment, il n’y a eu le moindrement de révélations de la présence de motifs raisonnables que la sécurité des agents de la paix a été considérée en raison du contexte présent le 15 novembre 2014. La réalité de la personnalité de l’accusé, détenu et non arrêté rappelons-le, est totalement éloignée des appréhensions non objectives révélées par l’agent Allard.

[75]    Après avoir soupesé globalement l’importance du devoir des agents de la paix, la nécessité d’une atteinte aux droits (à la liberté et à la vie privée) et l’ampleur de celle-ci, le tribunal conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisque l’accusé a fait l’objet d’une fouille abusive durant sa détention pour les fins d’une enquête déterminée et spécifiquement liée à l’article 253 du Code criminel. Ici, clairement, l’attente raisonnable de vie privée de l’accusé a été violée par les agissements tant de l’agent St-Hilaire que ceux prétendument faits, selon la poursuivante, par l’agent Allard.

 

  1. C)             Le confinement de l’accusé dans l’autopatrouille (Article 9de la Charte               canadienne des droits et libertés)

[76]    Toujours pendant la période de détention pour les fins de cette enquête déterminée, l’État « prend » une autre « décision » : celle de placer l’accusé à l’intérieur de l’autopatrouille qui n’a aucune grille protectrice. Il est assis sur le siège arrière, non menotté et les portes sont verrouillées.

[77]    Dans son témoignage, l’agent St-Hilaire prétend qu’il a lui-même pris la décision qui aurait finalement été mise en œuvre par l’agent Allard. Y a-t-il eu véritablement un processus décisionnel?  Rappelons que pour la fouille, il n’y en pas eu. Mais pour le confinement momentané de l’accusé dans l’autopatrouille qu’en est-il?

[78]    L’accusé n’a eu aucune discussion sur le sujet avec l’un ou l’autre des agents. Il a simplement obéi.

[79]    Sur le sujet, l’agent Allard déclare : « et puis c’est toujours comme ça qu’on fait, on installe en arrière, sur la banquette arrière ».[53]

[80]    L’agent St-Hilaire, lors du contre-interrogatoire, ne nie pas qu’un test pour obtenir un échantillon d’haleine avec un appareil de détection approuvé peut être exécuté à différents endroits « si on est sécuritaire », « y peut pas rien arriver », donc là ben on se met en position de faire ça sécuritaire ».[54]

[81]    L’agent St-Hilaire déclare qu’il a pris « la décision de l’amener effectuer l’ADA »[55]. Pourtant, dans les secondes précédentes relativement à la fouille, il déclare : « y’a personne qui décide, y’a personne vraiment qui décide, quand on est, on travaille à deux (2) souvent […] ».[56]

[82]    De l’examen de la preuve, il y a, entre les deux agents, une complémentarité qui tend vers une routine. C’est ce que le tribunal a constaté. Malgré les propos contraires de l’agent St-Hilaire[57], le tribunal conclut qu’il n’y a jamais eu de décision sur le sujet (indépendamment du témoignage de l’agent Allard qui confirme cette conclusion d’ailleurs). Il est beaucoup plus commode pour des agents de la paix de faire un test avec un appareil de détection approuvé dans une autopatrouille. Tout est à proximité (l’appareil, la documentation, l’éclairage la nuit, la personne détenue, etc.). Or, il est ici question non pas d’une arrestation qui exige des motifs raisonnables mais d’une détention, en somme de la liberté des citoyens (article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés).

[83]    Dans le processus décisionnel, le contexte doit être considéré. Dans la présente affaire, on note que c’est la nuit, que c’est éclairé, qu’il s’agit d’une route provinciale dont la limite de vitesse est de 90 km/h, avec peu de circulation à cette heure, qu’il y a présence d’un accotement, que la température est sous le point de congélation et qu’il y a présence de vents.

[84]    Concernant l’environnement, la présente intervention ne se déroule pas (en dehors des embouteillages), par exemple dans les échangeurs d’un pont achalandé comme le pont Pierre-Laporte ou sur l’autoroute Jean-Lesage à Lévis. Les événements ne surviennent pas durant l’hiver, lorsque la largeur de certaines voies de circulation n’est plus la même en raison des accumulations de neige. Ce n’est pas pendant une tempête de neige ou de pluie forte où la visibilité n’est plus la même et ainsi lorsque les dangers augmentent en nombre et en importance.

[85]    Concernant l’accusé, il est calme, poli, triste et coopératif.

[86]    Aucun des témoignages présentés ne discute d’un réel risque concret, ni même d’observations concrètes démontrant la moindre possibilité d’une tentative de fuite ou d’actes d’opposition ou de violence. C’est tout le contraire.

[87]    Rappelons à nouveau que selon le texte du législateur : « L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne […] peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues  […], et, au besoin, de le suivre à cette fin ». Le tribunal doit clarifier l’expression « au besoin » en regard de l’intervention des agents de la paix et du droit à la liberté de l’accusé.[58]

[88]    Dans l’arrêt R. c. Aucoin[59], rendu le 30 novembre 2012, la Cour suprême du Canada traite notamment de la question suivante : « la question n’est pas de savoir si le policier avait le pouvoir de détenir l’appelant à l’arrière du véhicule de police, mais s’il était justifié d’exercer ce pouvoir comme il l’a fait dans les circonstances de l’espèce »[60]. Dans ce dossier, un agent de la paix a détenu Aucoin, un automobiliste, à l’arrière d’un véhicule de patrouille après l’avoir intercepté sur la route pour une infraction pénale et la découverte d’une seconde après un test de détection de l’alcool.[61]

[89]    Comme l’accusé Jérôme Turgeon, Aucoin est confiné sur la banquette arrière du véhicule de patrouille après avoir fait l’objet d’une fouille par palpation. Selon le juge Moldaver : « Cette décision avait pour effet de restreindre davantage la liberté de [Aucoin] et ajoutait une atteinte à son droit à la protection de sa vie privée. Ces facteurs ont, à mon avis, modifié de façon assez radicale la nature et la portée de la détention »[62], ici dans un contexte de droit pénal.

[90]    Pour la cour, (les juges de la majorité et les dissidents) le critère à appliquer est que la mesure de confinement doit être « raisonnablement nécessaire » pour contrer le risque. Le juge Moldaver écrit :

J’estime toutefois que dans le contexte de cette affaire, pour qu’il ait été justifié de confiner [Aucoin] sur la banquette arrière de la voiture de police — sachant que cela supposait également une fouille par palpation — il fallait qu’une telle forme de détention de l’appelant soit raisonnablement nécessaire. [En elle-même, la restriction accrue à la liberté de l’appelant qui découle de la décision de le faire monter à l’arrière de la voiture de police devait respecter la norme de la nécessité raisonnable. Au vu du dossier, la fouille par palpation effectuée accessoirement, qui a porté atteinte au droit à la vie privée de l’appelant, constituait un facteur aggravant.] Autrement dit, il faut se demander si l’agent [de la paix] disposait de moyens raisonnables autres que la détention pour empêcher que ne se matérialise sa crainte de voir [Aucoin] se fondre dans la foule.  S’il existait d’autres moyens raisonnables de prévenir une fuite de [Aucoin], on ne pourrait pas alors affirmer qu’il était raisonnablement nécessaire de le détenir dans la voiture de police, et cette détention aurait constitué une détention arbitraire au sens de l’art. 9 de la Charte […]».[63]

[91]    Considérant notamment l’arrivée de deux autres agents de la paix, le juge Moldaver conclut que « les mesures prises par l’agent [de la paix], bien qu’il ait été de bonne foi, n’étaient pas raisonnablement nécessaires »[64] dans un contexte de droit pénal. « Or, je tiens à signaler qu’un autre fondement factuel aurait pu mener à une conclusion de nécessité raisonnable […]. Mais lorsqu’existe une nécessité raisonnable, aucune autre mise en balance n’est exigée ».[65]

[92]    Sur la question des violations, il conclut sans se prononcer précise-t-il « sur la question de savoir si un agent de police dispose en tout temps du pouvoir d’effectuer une fouille par palpation avant de confiner légalement une personne détenue à l’arrière de la voiture de police, et ce, même si aucun élément ne révèle la possibilité d’une menace pour la sécurité de l’agent ou de la personne détenue » :

Dans ce cas-ci, l’agent [de la paix] a choisi de confiner [Aucoin] à l’arrière de la voiture de police et de le soumettre auparavant à une fouille par palpation. N’eût été cette décision, il n’y aurait pas eu de fouille par palpation. Parce que la détention de [Aucoin] à l’arrière de la voiture de police aurait constitué une détention illégale – puisque l’agent [de la paix] disposait d’autres moyens raisonnables d’empêcher [Aucoin] de déguerpir – la détention ne saurait fonder en droit une fouille sans mandat : Collins, p. 278. Par conséquent, la fouille par palpation était abusive au sens de l’art. 8 et constituait une atteinte au droit de [Aucoin] d’être protégé contre les fouilles, perquisitions ou saisies garanti par la Charte[66] […]. [soulignements ajoutés]

[93]    Dans la présente affaire, les raisons invoquées par l’agent St-Hilaire relativement « au besoin », qu’il soit suivi par l’accusé et pour son confinement à l’arrière du véhicule de patrouille, n’étaient pas présentes lors de la « prise » de « décision » puisqu’il n’y en a tout simplement pas eue. La routine ou la coutume, parce que c’est pratique, a guidé les agissements des deux agents de la paix. Ils travaillaient en équipe et il n’était pas nécessaire qu’ils discutent entre eux pour faire progresser leur intervention. Or, cette complémentarité entre l’un et l’autre et leurs actions ont été à l’opposé du respect des droits de l’accusé. Les circonstances présentes liées tant aux agents de la paix, à l’accusé, à la collectivité et à l’environnement ne peuvent être conciliées avec la détention de l’accusé qui n’était pas ici, « raisonnablement nécessaire ».

[94]    Dans la nuit du 15 novembre 2014, le test pour obtenir un échantillon d’haleine pouvait sans difficulté être tenu à l’extérieur de l’autopatrouille dans des conditions sécuritaires pour tous, sans qu’il y ait aussi au préalable une fouille de l’accusé. À l’évidence, les agents de la paix ont agi dans la précipitation s’abstenant ainsi de faire une simple réflexion concernant les conséquences de leurs actions sur les droits à la vie privée et à la liberté de l’accusé. Faire cette réflexion était si simple.

[95]    L’interception n’est pas sur une autoroute ou un boulevard achalandé où les automobilistes sont nombreux et circulent à des vitesses élevées. C’est l’automne et l’endroit de l’interception est éclairé et dégagé. Le véhicule de l’accusé n’avait qu’à être positionné ailleurs ou autrement au début de l’intervention lorsqu’il a été stationné à l’extrême droite de l’accotement, et pouvait certainement être stationné sur une propriété adjacente après les premières constatations d’usage. L’opération planifiée par le sergent Pétrin compte quatre agents de la paix qui peuvent surveiller l’accusé qui aurait pu simplement remettre ses clefs après avoir éteint le moteur de son véhicule. L’agent St-Hilaire a formulé bien des hypothèses qui ne peuvent concrètement être liées aux événements. Il parle même d’un corridor de sécurité[67] alors que le véhicule de l’accusé est stationné… à l’arrière de l’autopatrouille.

[96]    Lorsqu’un agent de l’État décide d’intervenir par ses pouvoirs dans la vie privée et/ou la liberté d’un citoyen, il doit au moins, préalablement, lorsque c’est possible,  préparer son intervention et minimiser l’atteinte aux droits garantis aux citoyens si celle-ci est au départ nécessaire. La notion d’urgence n’est pas présente ici. Il ne s’agit pas d’un braquage d’une institution financière ou d’un appel au 911 pour de la violence conjugale où un agent de la paix ne peut prédire précisément le scénario de son éventuelle intervention. Il est question ici d’un barrage routier qui avait été planifié. Les agents St-Hilaire et Allard devaient prévoir, avant la tenue de l’intervention, ou déterminer pendant celle-ci, l’endroit ou les conditions pour l’obtention d’un échantillon d’haleine.

[97]    L’improvisation n’est pas permise. Il est ici question des libertés et des droits fondamentaux des citoyens.

[98]    Malgré les problématiques possibles et les hypothèses formulées, l’agent St-Hilaire devait prendre une décision et il n’a pas convaincu le tribunal qu’il y a eu un processus décisionnel de sa part, qui a analysé l’ensemble de la situation notamment celle des agents de la paix, celle des autres membres de la collectivité, celle de l’accusé et l’environnement immédiat.

[99]    Ainsi, le tribunal conclut aussi qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés puisque même si l’accusé était détenu conformément à la loi pour les fins d’une enquête (article 254 (2) du Code criminel), cette détention est devenue arbitraire dès l’instant où il fut placé dans l’autopatrouille.[68]

[…]

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la présente requête;

DÉCLARE que les droits fondamentaux de l’accusé Jérôme Turgeon ont été violés contrairement aux articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés;

ORDONNE l’exclusion des éléments de preuve obtenus à la suite de la fouille abusive et à la détention arbitraire survenues préalablement à l’arrestation de l’accusé.