R. c. Friesen, 2020 CSC 9

Nous envoyons le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités. Il faut imposer des peines plus lourdes pour ces crimes. Les tribunaux doivent infliger des peines proportionnelles à la gravité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants et au degré de responsabilité du délinquant, à la lumière des initiatives du législateur en matière de détermination de la peine et du fait que la société comprend mieux le caractère répréhensible et la nocivité de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. Les peines doivent être le reflet fidèle du caractère répréhensible de la violence sexuelle faite aux enfants de même que du tort profond et continu qu’elle cause aux enfants, aux familles et à la société en général.


Les cours d’appel doivent généralement s’en remettre aux décisions des juges chargés de déterminer la peine.

[25] Les cours d’appel doivent généralement s’en remettre aux décisions des juges chargés de déterminer la peine. Le juge de la peine voit et entend toute la preuve et les observations en personne (Lacasse, par. 48; R. c. Shropshire, 1995 CanLII 47 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 227, par. 46). Le juge de la peine est habitué au travail de première ligne et, en général, il connaît la situation et les besoins particuliers de la collectivité où le crime a été commis (Lacasse, par. 48; R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 91). Enfin, pour éviter les retards et l’utilisation abusive des ressources judiciaires, la cour d’appel ne peut substituer sa propre décision à celle du juge de la peine que pour un motif valable (Lacasse, par. 48; R. c. Ramage, 2010 ONCA 488, 257 C.C.C. (3d) 261, par. 70).

[26] Comme l’a confirmé notre Cour dans Lacasse, la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (par. 41) ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine (par. 44). Parmi les erreurs de principe, mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La manière dont le juge de première instance a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre » (R. c. McKnight (1999), 1999 CanLII 3717 (ON CA), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), par. 35, cité dans Lacasse, par. 49). Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (Lacasse, par. 44). Si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse de cette erreur et l’intervention de la cour d’appel ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée.

[27] Si la peine n’est manifestement pas indiquée ou si le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine, la cour d’appel doit effectuer sa propre analyse pour fixer une peine juste (Lacasse, par. 43). Elle appliquera de nouveau les principes de la détermination de la peine aux faits sans faire preuve de déférence envers la peine existante même si celle‑ci se situe dans la fourchette applicable. En conséquence, lorsque la cour d’appel conclut qu’une erreur de principe a eu un effet sur la peine, cela suffit pour qu’elle intervienne et fixe une peine juste. Dans un tel cas, le fait que la peine existante ne soit manifestement pas indiquée ou qu’elle se situe à l’extérieur de la fourchette des peines infligées auparavant ne constitue pas une condition préalable supplémentaire requise pour justifier l’intervention de la cour d’appel.

[28] Cependant, lors de la détermination d’une nouvelle peine, la cour d’appel s’en remettra aux conclusions de fait du juge de la peine ou aux facteurs aggravants et facteurs atténuants qu’il a relevés, pourvu qu’ils ne soient pas entachés d’une erreur de principe. Cette déférence réduit le nombre, la durée et le coût des appels; favorise l’autonomie de la procédure de détermination de la peine et son intégrité; et reconnaît l’expertise du juge de la peine et sa position avantageuse (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 15‑18).

[29] Souvent la peine que la cour d’appel estime juste diffère de celle infligée par le juge de première instance, et la cour d’appel modifie la peine. Si la peine retenue par la cour d’appel est la même que celle qu’a imposée le juge de première instance, la cour d’appel peut aussi confirmer la peine en dépit de l’erreur.

Les fourchettes de peines et points de départ ne sauraient être contraignants en théorie ou en pratique, et les cours d’appel ne peuvent interpréter ou appliquer la norme de contrôle afin de les utiliser.

[36] Les cours d’appel canadiennes fournissent souvent des balises sous la forme de fourchettes de peines, lesquelles sont « des condensés des peines minimales et maximales déjà infligées, et qui, selon le cas de figure, servent de guides d’application de tous les principes et objectifs pertinents » (Lacasse, par. 57). Certains tribunaux, surtout ceux de l’Alberta, recourent aux points de départ comme solution de rechange. Des principes similaires s’appliquent à l’une ou l’autre balise.

[37] Notre Cour a maintes fois déclaré que les fourchettes de peines et les points de départ sont des lignes directrices, et non des règles absolues (R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 33; R. c. Wells, 2000 CSC 10, [2000] 1 R.C.S. 207, par. 45; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 44; Lacasse, par. 60). Les cours d’appel ne peuvent considérer l’écart par rapport à une fourchette de peines ou à un point de départ ou l’omission de mentionner une fourchette de peines ou un point de départ comme une erreur de principe. Elles ne peuvent non plus intervenir du simple fait que la peine diffère de celle qui aurait été fixée si l’on avait utilisé la fourchette de peines ou le point de départ (McDonnell, par. 42). Les fourchettes de peines et points de départ ne sauraient être contraignants en théorie ou en pratique, et les cours d’appel ne peuvent interpréter ou appliquer la norme de contrôle afin de les utiliser, contrairement à ce qui a été dit dans l’arrêt R. c. Arcand, 2010 ABCA 363, 40 Alta. L.R. (5th) 199, par. 116‑118 et 273. Comme l’a mentionné notre Cour dans Lacasse, cette façon d’agir reviendrait à usurper le rôle du législateur en créant des catégories d’infractions (par. 60‑61; voir aussi McDonnell, par. 33‑34).

[38] La norme de contrôle empreinte de déférence en appel est conçue pour veiller à ce que le juge chargé de déterminer la peine puisse adapter cette démarche tant au chapitre de la méthode que de celui du résultat. Le juge de la peine jouit d’une latitude considérable pour appliquer les principes de détermination de la peine d’une manière qui se prête aux caractéristiques d’un cas donné. Il peut même s’avérer nécessaire d’employer différentes méthodes pour tenir dûment compte des facteurs systémiques et historiques pertinents (Ipeelee, par. 59). De même, une combinaison de facteurs aggravants et de facteurs atténuants peuvent requérir l’infliction d’une peine qui se trouve loin de tout point de départ et qui déroge à toute fourchette (voir Lacasse, par. 58; Nasogaluak, par. 44; R. c. Suter, 2018 CSC 34, [2018] 2 R.C.S. 496, par. 4).

[39] Il n’y a lieu de créer une fourchette ou un point de départ qu’à l’égard d’une catégorie d’infractions partageant assez de caractéristiques communes pour qu’il soit utile de les juger sous la même rubrique. La cour d’appel qui énonce une fourchette ou un point de départ doit aussi décrire clairement à la fois la catégorie créée et la logique sous‑jacente (Stone, par. 245). Sans cette description, il peut être difficile de dire quand la fourchette ou le point de départ convient et de quelle manière il faut s’en servir.

[40] Les intervenantes la Legal Aid Society of Alberta (« LASA ») et la Criminal Trial Lawyers’ Association (« CTLA ») ont exprimé devant notre Cour des préoccupations plus larges à propos du recours à la méthode des points de départ. Leurs préoccupations allaient au‑delà des questions réglées dans McDonnell. En effet, la LASA s’est demandé si la méthode des points de départ est un moyen efficace pour les cours d’appel de poser des balises et elle soutient que cette méthode souffre de lacunes. Les intervenantes prétendent que les points de départ peuvent entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire, limiter l’effet des facteurs propres à l’affaire en question et déboucher sur des peines qui s’agglutinent autour du point de départ. Selon elles, les points de départ donnent lieu à un taux supérieur injustifié d’emprisonnement et reproduisent les préjugés systémiques contre les délinquants autochtones. En outre, les intervenantes suggèrent que la détermination de la peine en fonction de points de départ est inutilement complexe et hypothétique du fait qu’elle s’appuie sur le délinquant et l’infraction « ordinaires ». Si un point de départ « incorpore » de nombreux facteurs atténuants, il peut devenir en fait une peine minimale.

[41] Nombre d’avocats, de juges et d’universitaires ont exprimé sans relâche ces préoccupations (voir, p. ex., A. Manson, « McDonnell and the Methodology of Sentencing » (1997), 6 C.R. (5th) 277; J. Rudin, « Eyes Wide Shut: The Alberta Court of Appeal’s Decision in R. v. Arcand and Aboriginal Offenders » (2011), 48 Alta. L. Rev. 987; L. Silver, Sentencing to the Starting Point: The Alberta Debate, 23 mai 2019 (en ligne)). Nous constatons que la Cour d’appel de l’Alberta a défendu maintes fois l’utilité de la méthode des points de départ malgré ces préoccupations (voir Arcand, par. 130‑146; R. c. Parranto, 2019 ABCA 457, 98 Alta. L.R. (6th) 114, par. 28‑38; voir également P. Moreau, « In Defence of Starting Point Sentencing » (2016), 63 Crim. L.Q. 345). Notre Cour ne s’est toutefois pas encore penchée sur ces préoccupations. Nous ne faisons aucun commentaire sur leur bien‑fondé. Il ne faut pas non plus déduire de quelque passage que ce soit des présents motifs que les points de départ cessent de constituer une forme acceptable de balise établie par les cours d’appel. Bien que nous ayons décidé que la présente affaire ne nous donne pas l’occasion idéale de juger du bien‑fondé de ces préoccupations, celles‑ci soulèvent une question d’importance qui doit être réglée dans un dossier qui s’y prête.

[42] Protéger les enfants de l’exploitation illicite et du danger est l’objectif primordial du régime législatif créant les infractions d’ordre sexuel contre des enfants dans le Code criminel. Notre société est résolue à protéger les enfants et à assurer le respect de leurs droits et intérêts (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 67). Tel que l’a mentionné la juge d’appel Otis dans R. c. L. (J.‑J.), 1998 CanLII 12722 (QC CA), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.), « la protection des enfants constitu[e] l’une des valeurs essentielles et pérennisées » de la société canadienne (p. 979). Il est donc essentiel dans une société libre et démocratique d’empêcher que les enfants soient victimes d’infractions d’ordre sexuel (R. c. Mills, 2019 CSC 22, par. 23).

  • La violence sexuelle faite aux enfants est donc répréhensible car elle envahit leur autonomie personnelle, porte atteinte à leur intégrité physique et sexuelle et met gravement à mal leur dignité. la participation d’un enfant à pareils contacts n’est pas un facteur atténuant et elle ne doit jamais être assimilée au consentement. L’autonomie personnelle s’entend plutôt du droit de l’enfant de se développer jusqu’à l’âge adulte à l’abri de contacts sexuels et de l’exploitation de la part des adultes (par. 52).
  • L’interdiction moderne des contacts sexuels donne donc effet à la « reconnaissance par le Parlement que les relations sexuelles entre un adulte et un adolescent constituent intrinsèquement un acte d’exploitation » en raison du manque de maturité, de jugement et d’expérience des enfants (par. 53).

  • Le point de mire du régime des infractions d’ordre sexuel est non pas la bienséance sexuelle, mais l’atteinte fautive à l’intégrité sexuelle. Ce changement d’éclairage, qui passe de la bienséance sexuelle à l’intégrité sexuelle, permet de mettre un accent accru sur les abus de confiance, l’humiliation, l’objectification, l’exploitation, la honte et la perte d’estime de soi plutôt que sur simplement, ou seulement, l’atteinte à l’honneur, à la chasteté ou à l’intégrité physique (comme c’était davantage le cas quand le droit se souciait davantage de la bienséance sexuelle) (par. 55).

  • L’autonomie personnelle, l’intégrité physique et sexuelle, la dignité et l’égalité oblige les tribunaux à se concentrer sur le préjudice émotionnel et psychologique, et non simplement sur le préjudice corporel (par. 56).

  • La nocivité des infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants, ne fait pas en sorte qu’il faille stéréotyper les enfants victimes de violence sexuelle comme étant brisés à jamais (par. 59).

  • La violence sexuelle cause un préjudice supplémentaire aux enfants en nuisant à leurs relations avec leurs familles et les personnes qui s’occupent d’eux (par. 60).

  • Les parents, gardiens et membres de la famille d’un enfant victime de violence sexuelle peuvent être [traduction] « eux‑mêmes » des victimes qui ont le droit de faire une déclaration à ce titre. L’effet d’entraînement de la violence sexuelle à l’égard d’un enfant peut faire de ses parents, gardiens et membres de sa famille des victimes secondaires qui subissent elles aussi de profondes souffrances par suite de l’infraction (par. 63).

  • Au‑delà du tort causé aux familles et aux gardiens, un préjudice plus large est subi par les collectivités dans lesquelles vivent les enfants et par l’ensemble de la société. On peut calculer certains de ces coûts, tels les problèmes sociaux imputables à la violence sexuelle contre des enfants, les frais de l’intervention de l’État ainsi que les répercussions économiques des frais médicaux (par. 64).

  • Le système de justice criminelle et le processus judiciaire ont par le passé laissé pour compte les enfants, y compris par le truchement de règles de preuve fondées sur le postulat que les enfants sont des témoins intrinsèquement non fiables (par. 67).
  • Les filles et jeunes femmes sont « encore punies en raison de leur sexe » car elles sont de façon disproportionnée victimes de violence sexuelle. Mais il ne faut pas pour autant oublier les défis particuliers que doivent surmonter les garçons et jeunes hommes victimes de violence sexuelle. La victimisation peut se révéler particulièrement honteuse pour les garçons à cause des attentes sociales selon lesquelles les hommes sont censés paraître durs. La gêne, l’humiliation et l’homophobie forment une combinaison particulièrement néfaste et stigmatisante pour les garçons victimes (par. 68-69).

  • Les enfants qui appartiennent à des groupes marginalisés risquent davantage d’être victimes d’une violence sexuelle qui peut perpétuer le désavantage auquel ils sont déjà confrontés. Cela est particulièrement vrai dans le cas des Autochtones, qui sont victimes de violence sexuelle au cours de leur enfance dans une proportion démesurément élevée (par. 70).

  • Les enfants qui appartiennent à d’autres groupes victimes de discrimination ou de marginalisation dans la société sont eux aussi particulièrement vulnérables à la violence sexuelle. Par exemple, les enfants et les adolescents dont l’État a la garde sont fortement à risque d’en devenir victimes. Les enfants qui connaissent la pauvreté sont également davantage vulnérables, surtout ceux qui ne sont plus sous la garde de l’État (par. 71).
  • Les Canadiens et Canadiennes handicapés sont victimes de violence sexuelle au cours de leur enfance dans une proportion démesurée. Les enfants et jeunes handicapés sont particulièrement vulnérable parce qu’ils peuvent être perçus comme des cibles plus faciles,  et ne sont parfois pas en mesure de bien comprendre ou communiquer ce qui leur est arrivé et ont du mal à dénoncer leur agresseur (par. 72).

  • Les jeunes LGBT2Q+ peuvent être particulièrement vulnérables à cause de la marginalisation qu’ils vivent toujours en société. Le juge appelé à déterminer la peine doit être attentif aux manières dont les jeunes LGBT2Q+ peuvent « vivre l’agression sexuelle différemment des victimes hétérosexuelles ». La violence sexuelle peut également faire vivre aux jeunes victimes LGBT2Q+ des formes uniques d’isolement et nuire à l’image qu’ils se font du dévoilement de leur orientation sexuelle (par. 73).

La détermination de la peine doit refléter la compréhension actuelle de la violence sexuelle contre des enfants.

[74] Il ressort de cette analyse que les peines doivent reconnaître et refléter autant les torts causés par les infractions d’ordre sexuel contre des enfants que le caractère répréhensible de la violence sexuelle. Plus précisément, le fait de prendre en considération la nocivité de ces infractions permet de veiller à ce que la peine reflète pleinement les [traduction] « conséquences dévastatrices » qui peuvent découler et qui découlent souvent de la violence sexuelle (Woodward, par. 76; voir aussi Stuckless (2019), par. 56, le juge Huscroft, et par. 90 et 135, la juge Pepall). Les tribunaux doivent également soupeser ces préjudices d’une manière qui traduit la compréhension de plus en plus approfondie et évolutive de la société à l’égard de leur gravité (Stuckless (2019), par. 112, la juge Pepall; Goldfinch, par. 37).

(a) Nocivité, caractère répréhensible et évaluation de la proportionnalité

[75] Les tribunaux doivent notamment tenir compte du caractère répréhensible et de la nocivité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants lorsqu’ils appliquent le principe de proportionnalité. Il est primordial de bien comprendre ces deux facteurs pour imposer une peine proportionnelle (R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 43‑44). Le caractère répréhensible et la nocivité ont une incidence sur la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant. La prise en compte du caractère répréhensible et de la nocivité permet de veiller à ce que le principe de proportionnalité remplisse sa fonction de « garantir que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué dans la perpétration de l’infraction ainsi que le tort qu’ils ont causé » (Nasogaluak, par. 42).

(b) Gravité de l’infraction

[76] Les tribunaux doivent infliger des peines correspondant à la gravité des infractions d’ordre sexuel commises contre des enfants. Il ne leur suffit pas de déclarer que de telles infractions sont graves. La peine infligée doit refléter le caractère normatif des actes du délinquant et les torts qu’ils causent aux enfants, à leurs familles, à leurs gardiens et à leurs collectivités (voir M. (C.A.), par. 80; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 35). Nous offrons donc une certaine orientation sur la manière dont les tribunaux devraient exprimer la gravité des infractions d’ordre sexuel perpétrées contre des enfants. Plus précisément, les tribunaux doivent reconnaître et traduire (1) le caractère répréhensible inhérent à ces infractions; (2) le préjudice que ces infractions peuvent faire subir aux enfants; (3) le préjudice que ces infractions causent bel et bien aux enfants. Soulignons que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont intrinsèquement répréhensibles et les exposent toujours au risque de subir un grave préjudice, et ce, même si le degré de faute, la mesure dans laquelle les torts potentiels se matérialisent et le préjudice réel varient d’un cas à l’autre.

i) Caractère répréhensible inhérent

[77] Comme l’a reconnu notre Cour dans L.M., la violence fait toujours partie inhérente de l’acte qui consiste à employer une force de nature sexuelle contre un enfant (par. 26). Loin d’éliminer la violence, la dimension sexuelle en aggrave plutôt le caractère répréhensible en ajoutant, à l’atteinte à l’intégrité physique de l’enfant, une atteinte à son intégrité sexuelle. Un contact physique de nature sexuelle avec un enfant emporte toujours atteinte par le délinquant à « la sécurité [de l’enfant en le soumettant à] des contacts non souhaités ou [à] des menaces de recours à la force » ainsi qu’à son intégrité physique, qui est un « aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain » (R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, par. 28; voir aussi McCraw, p. 83). Il s’agit également d’une forme de violence psychologique, précisément parce que l’intégrité physique et l’intégrité psychologique sont étroitement liées (voir Ewanchuk, par. 28; L.M., par. 26). Le degré d’atteinte physique et l’intensité de la violence physique et psychologique varient selon les faits de chaque affaire. Cependant, tout contact physique de nature sexuelle avec un enfant constitue toujours un acte répréhensible de violence physique et psychologique même s’il ne s’accompagne pas du recours à une violence physique additionnelle et ne cause pas des blessures physiques ou psychologiques. Les tribunaux doivent sans cesse donner effet à cette violence inhérente car elle fait partie intégrante du caractère normatif de la conduite du délinquant (M. (C.A.), par. 80).

(ii) Préjudice potentiel

[79] Outre le caractère intrinsèquement répréhensible de l’atteinte à l’intégrité physique et de l’exploitation, les tribunaux ont reconnu que la violence sexuelle contre des enfants est intrinsèquement susceptible de causer plusieurs formes reconnues de préjudice. La probabilité que ces formes de préjudice se matérialisent varie bien sûr selon les circonstances de chaque affaire. Or, la possibilité qu’elles se concrétisent est toujours présente chaque fois qu’il y a atteinte physique de nature sexuelle avec un enfant et même dans le cas des infractions d’ordre sexuel contre des enfants qui ne requièrent ni n’impliquent d’atteintes physiques. Ces formes de préjudice potentielles illustrent la gravité de l’infraction même en l’absence de preuve qu’elles se soient matérialisées (voir McDonnell, par. 35‑36).

[80] Nous souhaitons concentrer l’attention des tribunaux sur les deux catégories de préjudice suivantes : le préjudice qui se manifeste durant l’enfance, et le préjudice à long terme, qui ne devient évident qu’à l’âge adulte. Durant l’enfance, outre le caractère répréhensible de l’atteinte à leur intégrité physique, les enfants peuvent subir des préjudices physiques et psychologiques qui les suivront durant toute leur enfance (Woodward, par. 72; Non‑Marine Underwriters, Lloyd’s of London c. Scalera, 2000 CSC 24, [2000] 1 R.C.S. 551, par. 123, le juge Iacobucci). Ces formes de préjudice peuvent être si profondes que les enfants se voient [traduction] « voler leur jeunesse et leur innocence » (D. (D.), par. 10). La liste ci‑dessous de formes de préjudice reconnues qui se manifestent durant l’enfance le montre clairement :

[traduction]
Ces effets comprennent un comportement excessivement docile et un besoin intense de plaire; un comportement autodestructeur comme le suicide, l’automutilation, la toxicomanie et la prostitution; la perte de patience et des crises de colère fréquentes; un comportement agressif et de la frustration; un comportement sexuellement agressif; une incapacité à se faire des amis et un refus de participer aux activités scolaires; un sentiment de culpabilité et de honte; un manque de confiance, particulièrement envers ses proches; une faible estime de soi; une incapacité à se concentrer à l’école et une baisse soudaine des résultats scolaires; une crainte excessive des hommes; des fugues; des troubles du sommeil et des cauchemars; des comportements régressifs comme mouiller son lit, se cramponner à ses parents, sucer son pouce et parler en bébé; de l’anxiété et une crainte extrême; et la dépression.

(Bauman, p. 354‑355)

[81] La violence sexuelle à l’égard des enfants cause aussi plusieurs formes de préjudice à long terme qui se manifestent durant la vie adulte de la victime. Premièrement, les enfants qui en sont victimes peuvent avoir de la difficulté à bâtir une relation d’amour et de tendresse avec un autre adulte après avoir subi de la violence sexuelle. Deuxièmement, les enfants peuvent être plus enclins à faire subir eux‑mêmes de la violence sexuelle à des enfants une fois devenus adultes (Woodward, par. 72; D. (D.), par. 37‑38). Troisièmement, les enfants sont plus susceptibles d’avoir des problèmes de toxicomanie, de souffrir de troubles mentaux, d’un trouble de stress post‑traumatique, de troubles alimentaires, d’anxiété, de dépression, de troubles du sommeil, de colère et d’hostilité, d’avoir des idées suicidaires, de s’automutiler et d’avoir une faible estime d’eux‑mêmes à l’âge adulte (Bauman, p. 355; Goldfinch, par. 37; R. c. L.V., 2016 SKCA 74, 480 Sask.R. 181, par. 104, citant D. Todd, « Sentencing of Adult Offenders in Cases Involving Sexual Abuse of Children: Too Little, Too Late? A View From the Pennsylvania Bench » (2004), 109 Penn. St. L. Rev. 487, p. 509‑510).

[82] Nous tenons à souligner que les tribunaux devraient rejeter la croyance selon laquelle il n’y a pas de préjudice grave aux enfants en l’absence de violence physique additionnelle (Benedet, p. 299). Comme nous l’avons expliqué, tout contact physique de nature sexuelle entre un adulte et un enfant est intrinsèquement violent et susceptible de causer un préjudice. Même dans les cas de leurre d’enfants où toutes les interactions se passent en ligne, la conduite du délinquant peut rester une forme de violence sexuelle morale et psychologique pouvant causer un grave préjudice (voir Rafiq, par. 44‑45; Rayo, par. 172‑174; L.M., par. 26).

[83] Dans de nombreux cas, il sera impossible de déterminer si ces formes de préjudice se sont manifestées au moment de la détermination de la peine. Si la victime est un adulte au moment de la détermination de la peine, le tribunal peut être à même de conclure que ces formes de préjudice potentielles à long terme se sont matérialisées. Toutefois, comme le juge d’appel Moldaver (maintenant juge de notre Cour) l’a reconnu dans l’arrêt D. (D.), si la victime est encore un enfant au moment de la détermination de la peine, [traduction] « seul le temps pourra nous dire » si cet enfant subira certaines formes de préjudice une fois adulte (par. 38). Il peut s’avérer également impossible d’établir la nature et l’ampleur du préjudice que la victime subira au cours de son enfance, car ces formes de préjudice pourraient se concrétiser après la date du prononcé de la peine.

[84] En conséquence, les tribunaux doivent tenir compte du préjudice potentiel raisonnablement prévisible qui découle de la violence sexuelle à l’égard des enfants lorsqu’ils jugent de la gravité de l’infraction. Même si un délinquant commet un crime qui n’entraîne heureusement aucun préjudice réel, le tribunal doit tenir compte du préjudice raisonnablement prévisible au moment d’infliger la peine (A. Manson, The Law of Sentencing (2001), p. 90). Au moment d’analyser la gravité de l’infraction, les juges doivent donc toujours tenir compte des formes de préjudice potentielles qui ne se sont pas encore concrétisées au moment de la détermination de la peine, mais qui sont une conséquence raisonnablement prévisible de l’infraction et qui pourraient en fait se manifester plus tard durant l’enfance ou à l’âge adulte. S’il ne le faisait pas, cela donnerait la fausse impression qu’un enfant peut tout simplement surmonter les préjudices de la violence sexuelle (voir Wright, p. 88).

iii) Préjudice réel

[85] Dans la mesure du possible, les tribunaux doivent tenir compte du préjudice réel qu’une victime en particulier a subi par suite de l’infraction. Ce préjudice résultant de l’infraction est un facteur déterminant en ce qui a trait à la gravité de l’infraction (voir M. (C.A.), par. 80). Il existe souvent des preuves directes d’un préjudice réel. Plus précisément, les déclarations des victimes, y compris celles faites par les parents et gardiennes et gardiens de l’enfant, constituent habituellement la [traduction] « meilleure preuve » du préjudice subi par la victime (R. c. Gabriel (1999), 1999 CanLII 15050 (ON SC), 137 C.C.C. (3d) 1 (C.S.J. Ont.), p. 11). Les poursuivants devraient s’assurer de présenter un dossier de preuve suffisamment étoffé au tribunal afin que ce dernier puisse adéquatement évaluer [traduction] « le préjudice causé à l’enfant par la conduite du délinquant ainsi que les conséquences dévastatrices qui peuvent découler et qui découlent souvent d’une telle conduite » (Woodward, par. 76).

[86] Lorsqu’il n’existe pas de preuve directe du préjudice réel causé à l’enfant, les tribunaux devraient utiliser le préjudice subi par l’enfant comme un prisme au moyen duquel ils analysent l’importance de nombreux facteurs aggravants en particulier. Les tribunaux peuvent être en mesure de conclure à l’existence d’un préjudice réel sur la foi de nombreuses circonstances factuelles qui peuvent causer un préjudice additionnel et constituer des facteurs aggravants de la violence sexuelle à l’égard des enfants, par exemple un abus de confiance, la manipulation psychologique, les multiples épisodes de violence sexuelle et le jeune âge de l’enfant. Nous insistons pour dire qu’une preuve directe émanant des enfants ou de leurs gardiens eux‑mêmes n’est pas nécessaire pour que le tribunal arrive à la conclusion que des enfants ont subi un réel préjudice par suite de la violence sexuelle. Bien entendu, nous ne prétendons pas que le préjudice subi par l’enfant est le seul prisme à l’aide duquel on peut évaluer les facteurs aggravants.

(c) Degré de responsabilité du délinquant

[87] Les tribunaux doivent aussi prendre en considération la reconnaissance moderne du caractère répréhensible et de la nocivité de la violence sexuelle faite aux enfants au moment d’établir le degré de responsabilité du délinquant. Ils ne doivent pas écarter le degré de responsabilité du délinquant en se fondant sur des stéréotypes qui minimisent la nocivité ou le caractère répréhensible de la violence sexuelle faite aux enfants (Benedet, p. 310 et 314).

[88] L’emploi intentionnel d’une force de nature sexuelle à l’endroit d’un enfant est hautement blâmable sur le plan moral parce que le délinquant sait ou devrait savoir que cet acte peut faire beaucoup de mal à l’enfant. Pour évaluer le degré de responsabilité du délinquant, le tribunal doit tenir compte du préjudice que le délinquant avait l’intention de causer ou de son insouciance ou de son aveuglement volontaire quant à ce préjudice (Arcand, par. 58; voir aussi M. (C.A.), par. 80; Morrisey, par. 48). En ce qui concerne les infractions d’ordre sexuel contre des enfants, nous partageons l’avis du juge Iacobucci selon lequel, sauf peut‑être dans de rares cas, le délinquant est habituellement plus ou moins conscient des préjudices physiques, psychologiques et émotionnels considérables que ses actes peuvent causer à l’enfant (Scalera, par. 120 et 123‑124).

[89] Toutes les formes de violence sexuelle, y compris la violence sexuelle faite aux adultes, sont moralement blâmables précisément parce qu’elles comportent l’exploitation illicite par le délinquant de la victime — le délinquant traite la victime comme un objet et fait fi de sa dignité humaine (voir R. c. Mabior, 2012 CSC 47, [2012] 2 R.C.S. 584, par. 45 et 48). Comme l’a expliqué la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt L. (D.O.), « la question des agressions sexuelles contre les enfants est étroitement liée à celle des agressions sexuelles contre les femmes dans leur ensemble », justement parce que ces deux formes d’infractions d’ordre sexuel impliquent l’objectification sexuelle de la victime (p. 441). Au moment de la détermination de la peine, les tribunaux doivent accorder le poids qu’il convient aux attitudes sous‑jacentes du délinquant, car celles‑ci sont très pertinentes pour évaluer sa culpabilité morale et en ce qui a trait à l’objectif de dénonciation (Benedet, p. 310; Hajar, par. 67).

[90] Le fait que la victime est un enfant a pour effet d’accroître le degré de responsabilité du délinquant. Bref, l’exploitation sexuelle et l’objectification des enfants sont hautement blâmables sur le plan moral car les enfants sont si vulnérables (R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3, par. 153). Comme la juge L’Heureux‑Dubé l’a reconnu dans l’arrêt R. c. L.F.W., 2000 CSC 6, [2000] 1 R.C.S. 132, « [q]uant à la culpabilité morale, l’exploitation d’un enfant vulnérable par un adulte pour sa gratification sexuelle ne peut être considérée autrement que comme un crime témoignant des pires intentions » (par. 31, citant R. c. L.F.W. (1997), 1997 CanLII 10868 (NL CA), 155 Nfld. & P.E.I.R. 115 (C.A. T.‑N.‑L.), par. 117, la juge Cameron (« L.F.W. (C.A.) »)). Les délinquants reconnaissent la vulnérabilité particulière des enfants et l’exploitent intentionnellement pour assouvir leurs propres désirs égoïstes (Woodward, par. 72). Soulignons que la culpabilité morale du délinquant augmente quand il prend délibérément pour cible des enfants particulièrement vulnérables, y compris des enfants qui appartiennent à des groupes victimes de discrimination ou de marginalisation dans la société.

[91] Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme une directive de faire abstraction des facteurs pertinents pouvant atténuer la culpabilité morale du délinquant. Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit « juste et appropriée, rien de plus » (M. (C.A.), par. 80 (soulignement omis); voir aussi Ipeelee, par. 37). Premièrement, comme l’agression sexuelle et les contacts sexuels sont des infractions définies de manière générale qui englobent une vaste gamme d’actes, la conduite du délinquant sera moins blâmable sur le plan moral dans certains cas que dans d’autres. Deuxièmement, la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite (R. c. Scofield, 2019 BCCA 3, 52 C.R. (7th) 379, par. 64; R. c. Hood, 2018 NSCA 18, 45 C.R. (7th) 269, par. 180).

[92] De même, lorsque l’accusé est autochtone, le tribunal doit appliquer les principes établis dans les arrêts R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, et Ipeelee. Le juge chargé de déterminer la peine doit appliquer ces principes même dans des cas extrêmement graves de violence sexuelle contre des enfants (voir Ipeelee, par. 84‑86). Les facteurs systémiques et historiques qui ont mené l’Autochtone devant le tribunal peuvent avoir un effet atténuant sur sa culpabilité morale (par. 73). De même, des sanctions différentes ou substitutives pourraient permettre d’atteindre plus efficacement les objectifs de détermination de la peine dans une communauté autochtone donnée (par. 74).

(d) Proportionnalité en l’absence de victime réelle

[93] Les tribunaux doivent donner effet à la culpabilité morale du délinquant lorsqu’ils déterminent la peine même si les faits à l’origine de la déclaration de culpabilité découlent d’une opération d’infiltration policière et non d’un enfant victime. Le leurre d’enfants peut se commettre de deux façons : le délinquant communique effectivement avec un mineur ou croit que son interlocuteur est un mineur même si ce n’est pas en fait le cas. Plus précisément, il n’est pas rare que les auteurs de leurre d’enfants soient poursuivis en justice au terme d’une opération d’infiltration : un agent d’infiltration se fait passer pour un enfant en ligne et attend qu’un délinquant amorce la conversation dans un but sexuel (voir, p. ex., R. c. Levigne, 2010 CSC 25, [2010] 2 R.C.S. 3, par. 7; Morrison, par. 4). Bien que l’absence de victime réelle soit pertinente, on ne doit pas lui accorder trop d’importance pour en arriver à une peine juste. L’accusé ne saurait s’attribuer le mérite de ce facteur. Donc, l’absence de victime réelle ne diminue pas le degré de responsabilité du délinquant à l’égard de l’infraction. Après tout, pour être déclaré coupable de leurre d’enfants dans le contexte d’une opération d’infiltration menée par la police où la personne avec qui le délinquant communiquait n’était pas en fait un mineur, le délinquant doit à la fois avoir communiqué intentionnellement avec une personne qu’il croyait être un mineur et avoir eu l’intention précise de faciliter la perpétration d’une infraction à caractère sexuel ou d’une autre infraction désignée à l’égard de cette personne (Morrison, par. 153)[4].

[94] Par ailleurs, il faut reconnaître qu’avec l’avènement des médias sociaux, « les délinquants sexuels ont obtenu un accès inédit à des victimes potentielles et à des moyens qui facilitent la commission d’infractions sexuelles », surtout par le biais du leurre d’enfants (K.R.J., par. 102 et 104). Le législateur a conçu l’infraction de leurre d’enfants en vue de permettre à la police de recourir à des opérations d’infiltration pour « fermer la porte du cyberespace » en appréhendant les délinquants avant qu’ils ne réussissent à prendre les enfants pour cible et à leur faire du mal (Levigne, par. 27, citant R. c. Legare, 2009 CSC 56, [2009] 3 R.C.S. 551, par. 25; voir aussi Levigne, par. 24‑29). Les opérations d’infiltration menées par la police sont devenues un outil important — sinon le plus important — dont disposent les policiers pour repérer les délinquants qui s’en prennent aux enfants et les empêcher de leur faire du mal (voir R. c. Alicandro, 2009 ONCA 133, 95 O.R. (3d) 173, par. 38). Comme l’a affirmé la juge Abella, « [c]es opérations d’infiltration jouent un rôle essentiel dans l’application des lois relatives au leurre, car, comme l’a exprimé de façon convaincante le juge Doherty, [traduction] “[o]n ne peut s’attendre à ce que les enfants assurent le maintien de l’ordre dans Internet” » (Morrison, par. 202, citant Alicandro, par. 38). Les tribunaux devraient donc garder cette information en tête lorsqu’ils infligent une peine à des délinquants qui ont été neutralisés grâce à une opération d’infiltration policière. En termes clairs, le leurre d’enfants ne devrait jamais être considéré comme un crime sans victime.

Le législateur a prescrit l’alourdissement des peines infligées dans les cas des infractions d’ordre sexuel contre des enfants.

(a) Augmentation des peines maximales

[95] Le législateur a reconnu les torts immenses causés par les infractions d’ordre sexuel contre des enfants et décidé que les peines infligées pour ces infractions doivent être alourdies afin de correspondre à l’opinion qu’il se fait de leur gravité. Il a exprimé son intention en augmentant les peines maximales et en privilégiant la dénonciation et la dissuasion au chapitre de la détermination de la peine pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants.

[97] En conséquence, la décision du législateur d’alourdir les peines maximales infligées pour certaines infractions témoigne « de [sa] volonté [. . .] de sanctionner avec plus de sévérité ces infractions » (Lacasse, par. 7). Une augmentation de la peine maximale devrait donc être considérée comme un changement de la répartition des peines proportionnelles pour une infraction.

[99] Ces augmentations successives des peines maximales témoignent de la détermination du législateur à ce que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants soient jugées plus graves que par le passé. Comme le juge d’appel Kasirer (maintenant juge de notre Cour) l’a écrit dans l’arrêt Rayo, le choix législatif d’alourdir la peine maximale pour leurre d’enfants « doit être compris comme un signe de la gravité de ce crime aux yeux du Parlement » (par. 125). Nous souscrivons à la conclusion tirée par la juge d’appel Pepall dans l’arrêt Stuckless (2019) voulant que les initiatives législatives du Parlement donnent effet ainsi au fait que la société comprend mieux la gravité des infractions d’ordre sexuel et leurs répercussions sur les enfants (par. 90, 103 et 112).

[100] Afin de respecter la décision du législateur d’augmenter les peines maximales, les tribunaux devraient généralement infliger des peines plus lourdes que celles qui étaient infligées avant les augmentations. Comme l’a reconnu le juge d’appel Kasirer dans Rayo, où il s’agissait de l’infraction de leurre d’enfants, l’opinion du législateur quant à la gravité accrue de l’infraction, tel qu’elle est reflétée par l’augmentation des peines maximales, devrait se concrétiser par un « durcissement des sanctions » (par. 175; voir également Woodward, par. 58). Les juges chargés de la détermination de la peine et les cours d’appel doivent donner effet aux signaux clairs et répétés du législateur d’infliger des peines plus lourdes pour ces infractions.

(b) Priorisation de la dénonciation et de la dissuasion à l’art. 718.01 du Code criminel

[101] La décision du législateur de privilégier la dénonciation et la dissuasion dans le cas des infractions qui constituent de mauvais traitements à l’endroit d’enfants en adoptant l’art. 718.01 du Code criminel confirme la nécessité pour les tribunaux d’imposer des sanctions plus sévères pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants. En 2005, le législateur a ajouté l’art. 718.01 au Code criminel en adoptant le projet de loi C‑2. Dans les cas de mauvais traitements d’une personne âgée de moins de 18 ans, l’art. 718.01 exige que le tribunal « accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement » lorsqu’il impose une peine.

[102] D’après le libellé de l’art. 718.01, le législateur voulait concentrer l’attention des juges chargés de déterminer la peine sur l’importance relative des objectifs de détermination de la peine dans les cas de mauvais traitements d’enfants. L’expression « primary consideration » utilisée dans la version anglaise de cet article prescrit un ordonnancement relatif des objectifs de détermination de la peine que l’on ne trouve pas dans la liste générale des six objectifs aux al. 718a) à f) du Code criminel (Renaud, § 8.8‑8.9). Comme le juge d’appel Kasirer l’a expliqué dans l’arrêt Rayo, le mot « primary » que l’on retrouve dans la version anglaise de l’article 718.01 « évoque un ordonnancement des objectifs [. . .] qui est [. . .] pertinent à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge » (par. 103). Cet ordonnancement des objectifs de détermination de la peine témoigne de l’intention du législateur que les peines « reflètent davantage la gravité de ces infractions » (Débats de la Chambre des communes, vol. 140, no 7, 1ère session, 38e législature, le 13 octobre 2004, p. 322 (hon. Paul Harold Macklin)). Comme la juge d’appel Saunders l’a reconnu dans l’arrêt D.R.W., le législateur a donc tenté de [traduction] « remettre l’approche adoptée par le système de justice pénale à l’égard des infractions contre les enfants » en adoptant l’art. 718.01 (par. 32).

[103] L’article 718.01 ne devrait pas être interprété comme limitant les objectifs de détermination de la peine, notamment celui de l’isolement du reste de la société, qui renforcent la dissuasion ou la dénonciation. L’objectif de l’isolement est étroitement lié à la dissuasion et à la dénonciation des infractions d’ordre sexuel contre les enfants (Woodward, par. 76). Comme il en sera question ultérieurement, dans les cas appropriés, l’isolement du reste de la société peut servir à renforcer la dissuasion et la dénonciation et à les mettre en application.

[104] L’article 718.01 vient donc qualifier la directive antérieure de la Cour voulant qu’il appartienne aux juges chargés de la détermination de la peine d’établir quel objectif ou quels objectifs doivent être privilégiés. Lorsque le législateur indique les objectifs de détermination de la peine à privilégier dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire des juges chargés de déterminer la peine est de ce fait limité, de sorte qu’il ne leur est plus loisible d’accorder une priorité équivalente ou plus grande à d’autres objectifs (Rayo, par. 103 et 107‑108). Toutefois, bien que cet article exige que l’on accorde la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, les juges chargés de la détermination de la peine conservent néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs (y compris la réinsertion et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue) pour en arriver à une peine juste, en conformité avec le principe général de proportionnalité (voir R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, par. 37 (CanLII)).

[105] Le choix du législateur de privilégier la dénonciation et la dissuasion pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants est une réponse sensée au caractère répréhensible de ces infractions et aux préjudices graves qu’elles causent. L’objectif de dénonciation témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit (R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 102). Il reflète le fait que le droit criminel canadien est un « système de valeurs ». Une peine qui exprime la dénonciation condamne donc le délinquant pour avoir « porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société »; elle enseigne « la gamme fondamentale des valeurs communes que partagent l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes » (M. (C.A.), par. 81). La protection des enfants est l’une des valeurs les plus fondamentales de la société canadienne (L. (J.‑J.), p. 979; Rayo, par. 104). Comme la juge L’Heureux‑Dubé l’a expliqué dans l’arrêt L.F.W., « les agressions sexuelles contre les enfants constituent un crime qui répugne à la société canadienne, qui doit en condamner les auteurs dans les termes les plus catégoriques » (par. 31, citant L.F.W. (C.A.), par. 117, la juge Cameron).

Directives particulières sur l’augmentation des peines

[106] Nous refusons l’invitation du ministère public à créer un point de départ ou une fourchette de peines à l’échelle nationale pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants. En général, la Cour hésite à se prononcer sur la durée précise de la peine. Il vaut mieux laisser aux cours d’appel provinciales le soin d’apprécier la durée de la peine et d’établir des fourchettes de peines ou des points de départ (R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 368, p. 396 et 404). Les cours d’appel provinciales « sont les mieux placé[e]s pour connaître la situation particulière qui existe dans leur ressort » (Lacasse, par. 95). En effet, une certaine variation régionale dans les peines infligées est légitime (M. (C.A.), par. 92). Nous tenons néanmoins à souligner que les lignes directrices que nous établissons quant aux projets législatifs du Parlement et à la compréhension actuelle du caractère répréhensible et de la nocivité de la violence sexuelle contre les enfants s’appliquent partout au Canada.

[107] Nous sommes résolus à faire en sorte que les peines infligées pour les infractions d’ordre sexuel contre les enfants correspondent aux initiatives législatives du Parlement et à la compréhension actuelle du tort immense que causent ces infractions aux enfants. Pour ce faire, nous voulons donner des directives aux tribunaux concernant trois points précis :

1) Il se pourrait bien que l’on doive s’écarter des précédents et des fourchettes de peines antérieures vers le haut afin d’imposer des peines proportionnelles;

2) Les infractions d’ordre sexuel contre des enfants devraient généralement être punies plus sévèrement que les infractions d’ordre sexuel contre des adultes;

3) Les contacts sexuels avec un enfant ne devraient pas être considérés comme étant moins graves que l’agression sexuelle d’un enfant.

(a) Écart vers le haut par rapport aux précédents et aux fourchettes de peines

[108] Les tribunaux peuvent s’écarter des précédents et des fourchettes de peines antérieures afin d’imposer une peine proportionnelle. Ils ont parfois même besoin de le faire. Les fourchettes de peines ne sont pas des « carcans », mais plutôt des « portraits historiques » (Lacasse, par. 57). Par conséquent, comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Lacasse, les peines peuvent et devraient s’éloigner des fourchettes antérieures lorsque le législateur augmente la peine maximale pour une infraction et que la société comprend mieux la gravité du préjudice qui découle de cette infraction (par. 62‑64 et 74).

[109] Cette directive tirée de l’arrêt Lacasse s’applique aux infractions d’ordre sexuel contre des enfants. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la décision prise par le législateur en 2015 de hausser les peines maximales pour ces infractions devrait entraîner la modification de la fourchette de peines proportionnelles puisque l’on reconnaît maintenant leur gravité. Cette initiative législative devrait se traduire par une augmentation des peines (Rayo, par. 175). Dans certains cas, les juges chargés de la détermination de la peine « doivent [. . .] se sentir libres de sévir au‑delà » du seuil antérieur (R. c. Régnier, 2018 QCCA 306, par. 78 (CanLII)). Comme la Cour d’appel du Québec l’a indiqué, les tribunaux doivent donner « plein effet à la volonté du législateur » et ne devraient pas se sentir obligés de respecter une fourchette qui ne correspond plus à l’opinion que le législateur se fait de la gravité de l’infraction (par. 40). Une telle fourchette peut en réalité être « désuète et doit être révisée à la hausse » (par. 30).

[110] Le fait que les tribunaux comprennent mieux la gravité et la nocivité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants, comme nous avons tenté de l’expliquer précédemment, est une autre raison pour laquelle il pourrait être nécessaire de s’écarter des précédents vers le haut. Comme la juge d’appel Pepall l’a fait observer dans l’arrêt Stuckless (2019), la conception que se fait la société canadienne de la gravité et de la nocivité de ces infractions a considérablement évolué (par. 90). Les peines devraient donc être alourdies, [traduction] « au fur et à mesure que les tribunaux comprennent mieux les dommages que l’exploitation sexuelle par des adultes cause aux jeunes victimes vulnérables » (Scofield, par. 62). En conséquence, les tribunaux devraient se garder d’invoquer des précédents qui peuvent être [traduction] « désuets » et qui ne reflètent pas « la reconnaissance actuelle par la société des répercussions d’une agression sexuelle sur les enfants » (R. c. Vautour, 2016 BCCA 497, par. 52 (CanLII)). Même les décisions plus récentes peuvent être abordées avec une certaine prudence si elles suivent simplement des précédents plus anciens qui ne reconnaissent pas adéquatement la gravité de la violence sexuelle contre des enfants (L.V., par. 100‑102). Il est donc justifié que les tribunaux s’écartent des précédents pour imposer une peine juste; on ne devrait pas considérer que ces précédents imposent un plafond sur les peines (voir l’arrêt Stuckless (2019), par. 61‑62, le juge Huscroft).

[111] Nous tenons donc à exprimer nos préoccupations relativement aux fourchettes de peines fondées sur des précédents qui semblent restreindre le pouvoir discrétionnaire des juges, par exemple, en fixant un plafond de trois à cinq ans d’emprisonnement qui peut être dépassé uniquement dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, pour les contacts sexuels, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a établi une fourchette de peines allant d’un an à trois ans d’emprisonnement et a laissé entendre qu’une peine de plus de trois ans ne serait justifiée que dans de [traduction] « rares circonstances » (R. c. Williams, 2019 BCCA 295, par. 71 (CanLII)). De même, la Cour d’appel de Terre‑Neuve a conclu que la fourchette de peines pour l’infraction d’agression sexuelle d’un enfant comportant des [traduction] « rapports sexuels » et un abus de confiance allait de trois à cinq ans d’emprisonnement et qu’il devait exister des « circonstances particulières » pour que l’on puisse déroger à cette fourchette (R. c. Vokey, 2000 NFCA 14, 186 Nfld. & P.E.I.R. 1, par. 19).

[112] Il ne convient pas de restreindre artificiellement de cette manière la faculté des juges d’infliger une peine proportionnelle. Comme l’indique clairement l’arrêt L.M. de notre Cour, les juges doivent avoir la faculté d’infliger de lourdes peines dans les cas d’infractions d’ordre sexuel contre des enfants lorsque la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant l’exigent (par. 30). Point n’est besoin qu’il y ait des circonstances rares ou particulières pour imposer cette lourde peine dans les cas où elle est proportionnelle.

[113] Tout comme l’infraction de conduite avec facultés affaiblies causant la mort, les infractions d’ordre sexuel contre des enfants peuvent être commises dans un vaste éventail de circonstances (voir Lacasse, par. 66). Les directives des cours d’appel doivent indiquer clairement que les juges appelés à déterminer une peine peuvent tenir compte de cette réalité en infligeant des peines qui reflètent l’accroissement de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant. Dans M. (C.A.), par exemple, notre Cour a confirmé la décision du juge de la peine portant que les objectifs de dissuasion et de dénonciation ainsi que la protection de la société exigeaient qu’une peine globale de 25 ans soit infligée à un délinquant qui a commis plusieurs infractions d’ordre sexuel contre de nombreux enfants (voir par. 94). De même, dans L.M., notre Cour a confirmé une peine globale de 15 ans pour de multiples infractions d’ordre sexuel commises à l’endroit d’un seul enfant victime car cette peine s’imposait pour favoriser l’atteinte de ces mêmes objectifs du prononcé des peines (voir par. 30). Nous recommandons également de suivre les arrêts D. (D.), Woodward et S. (J.) de la Cour d’appel de l’Ontario à titre d’exemples de directives appropriées données par une cour d’appel, tout en rappelant que les modifications législatives de 2015 n’étaient pas encore en vigueur à l’époque des infractions dans ces affaires.

[114] Les arrêts D. (D.), Woodward, S. (J.) ainsi que les arrêts M. (C.A.) et L.M. de notre Cour indiquent clairement que l’infliction de peines proportionnelles qui tiennent compte de la gravité des infractions d’ordre sexuel contre les enfants et du degré de responsabilité des délinquants nécessite fréquemment de lourdes peines. Les modifications du législateur ont renforcé ce message. Il n’appartient pas à notre Cour d’établir une fourchette ou de dire dans quelles circonstances il y a lieu d’imposer ces lourdes peines. Il ne serait pas non plus approprié qu’un tribunal établisse des directives contraignantes ou inflexibles sur le plan quantitatif. Comme le juge d’appel Moldaver l’a écrit dans D. (D.), « les juges doivent garder la souplesse voulue pour rendre justice dans des cas individuels » et adapter la peine au délinquant qui comparaît devant eux (par. 33). Néanmoins, il nous incombe d’envoyer un message global clair (D. (D.), par. 34 et 45). Ce message est le suivant : des peines d’emprisonnement se situant dans la portion centrale des peines inférieures à 10 ans infligées pour des infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants sont normales, et des peines se situant dans la portion supérieure des peines de moins de 10 ans, ainsi que des peines de 10 ans et plus, ne devraient être ni inusitées ni réservées aux circonstances rares et exceptionnelles. Ajoutons que de lourdes peines peuvent être infligées lorsqu’il n’y a qu’un seul épisode de violence sexuelle ou une seule victime, comme en l’espèce de même que dans Woodward et L.M. En outre, comme l’a reconnu notre Cour dans L.M., les peines maximales ne devraient pas être réservées au « scénario abstrait du pire crime commis dans les pires circonstances » (par. 22). Une peine maximale devrait plutôt être infligée chaque fois que les circonstances le justifient (par. 20).

(b) Les infractions d’ordre sexuel contre des enfants doivent être punies plus sévèrement que les infractions d’ordre sexuel contre des adultes

[115] Nous nous préoccupons également du fait que certains tribunaux semblent avoir adopté des fourchettes de peines similaires pour les infractions d’ordre sexuel contre les enfants et les infractions d’ordre sexuel contre les adultes. Par exemple, en Alberta, le point de départ pour les [traduction] « agressions sexuelles graves » contre une victime adulte et les [traduction] « contacts sexuels graves » à l’endroit d’un enfant est un emprisonnement de trois ans (Hajar, par. 2 et 12). De même, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a établi une fourchette de peines de deux à six ans d’emprisonnement pour les [traduction] « agressions sexuelles impliquant des rapports sexuels » et l’a appliquée tant à des cas mettant en cause des enfants victimes qu’à des cas mettant en cause des victimes adultes (R. c. G.M., 2015 BCCA 165, 371 B.C.A.C. 44, par. 22 (victime adulte); Scofield, par. 59 (enfant victime)).

[116] Bien que la violence sexuelle à l’égard d’un enfant ou d’un adulte soit grave, le législateur a jugé que la violence sexuelle contre des enfants devait être punie plus sévèrement. En premier lieu, le législateur a privilégié la dissuasion et la dénonciation pour les infractions qui constituent de mauvais traitements à l’endroit d’enfants (Code criminel, art. 718.01). En deuxième lieu, il a identifié les mauvais traitements à l’égard d’une personne âgée de moins de dix‑huit ans comme étant une circonstance aggravante visée par la loi (Code criminel, sous‑al. 718.2a)(ii.1)). En troisième lieu, il a qualifié de circonstance aggravante l’abus de confiance ou d’autorité, ce qui est plus fréquent dans le cas des infractions d’ordre sexuel commises contre des enfants que de celles commises contre des adultes (Code criminel, sous‑al. 718.2a)(iii); L.V., par. 66). En quatrième lieu, le législateur s’est servi des peines maximales pour indiquer que la violence sexuelle à l’égard d’une personne âgée de moins de 16 ans devrait être punie plus sévèrement que la violence sexuelle à l’endroit d’un adulte. La peine maximale pour contacts sexuels et pour agression sexuelle d’une personne âgée de moins de 16 ans est de 14 ans d’emprisonnement lorsque l’auteur est poursuivi par mise en accusation, et de 2 ans moins un jour en cas de poursuite par voie sommaire. En guise de comparaison, la peine maximale pour l’agression sexuelle d’une personne âgée d’au moins 16 ans est de 10 ans d’emprisonnement en cas de poursuite par mise en accusation et de 18 mois en cas de poursuite par voie sommaire (voir le Code criminel, al. 151a) et b), 271a) et b)). Le Code criminel indique donc clairement que, d’après le législateur, la violence sexuelle faite aux enfants doit être punie plus sévèrement. Ces quatre signaux législatifs témoignent de la reconnaissance par le législateur de la vulnérabilité inhérente des enfants et du caractère répréhensible de l’exploitation de cette vulnérabilité.

[117] En conséquence, nous sommes d’avis de donner aux cours d’appel provinciales la directive de revoir et de rationaliser les fourchettes de peines et les points de départ dans les cas où elles ont traité la violence sexuelle à l’égard des enfants et à l’égard des adultes de la même façon. Nous sommes en accord avec la Cour d’appel de la Saskatchewan pour dire que [traduction] « les agressions commises contre un enfant devraient normalement entraîner une peine plus sévère » que les agressions commises contre un adulte (L.V., par. 101). Comme l’a écrit le juge Richards, juge en chef de la Saskatchewan, [traduction] « les peines infligées devraient refléter cette réalité » afin de donner effet à l’intention du législateur, telle qu’elle est exprimée à l’art. 718.01 et aux sous‑al. 718.2a)(ii.1) et (iii) du Code criminel (par. 102). Une fourchette de peines ou un point de départ qui ne met pas en application les directives du législateur repose sur une logique défectueuse et ne devrait pas être utilisé (voir Stone, par. 245).

[118] Nous tenons à souligner que rien dans les présents motifs ne saurait être vu comme une directive d’infliger des peines plus clémentes pour les infractions d’ordre sexuel contre des victimes adultes ou une interdiction d’imposer des peines plus lourdes pour ces infractions. Tel que l’a récemment déclaré la Cour, nous comprenons de mieux en mieux les préjudices physique et psychologique considérables que subissent toutes les victimes de violence sexuelle (Goldfinch, par. 37). Dans les ressorts où l’on a assimilé à tort la violence sexuelle sur des enfants à celle employée sur des adultes, les tribunaux doivent corriger cette erreur en infligeant des peines plus lourdes pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants, et non en infligeant des peines plus clémentes pour les infractions d’ordre sexuel contre des adultes.

(c) Les contacts sexuels et les agressions sexuelles devraient être traités de la même manière

[119] Enfin, nous sommes d’avis de donner aux cours d’appel la directive de ne pas minimiser les contacts sexuels par rapport aux agressions sexuelles. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique semble l’avoir fait lorsqu’elle a établi une fourchette de peines de deux à six ans d’emprisonnement pour les [traduction] « agressions sexuelles comportant des rapports sexuels » dans les cas qui mettent en cause des enfants, et une fourchette de peines d’un an à trois ans d’emprisonnement pour les contacts sexuels (voir Scofield, par. 59; Williams, par. 71).

[120] C’est une erreur de droit que de traiter les contacts sexuels comme étant moins graves que les agressions sexuelles. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le législateur a fixé les mêmes peines maximales pour les contacts sexuels et les agressions sexuelles à l’égard d’une personne âgée de moins de 16 ans. Les éléments de l’infraction sont également similaires et une déclaration de culpabilité pour agression sexuelle à l’égard d’un enfant et pour contacts sexuels à l’égard d’un enfant repose souvent sur les mêmes faits (R. c. M. (S.J.), 2009 ONCA 244, 247 O.A.C. 178, par. 8).

Facteurs importants à prendre en considération pour fixer une peine juste

[121] Nous tenons également à formuler quelques commentaires sur les facteurs importants à prendre en considération pour fixer une peine juste en cas d’infraction d’ordre sexuel contre des enfants. Ces commentaires ne sont ni une liste de vérification ni un ensemble exhaustif de facteurs. Ils ne visent pas non plus à remplacer les listes précises de facteurs que les cours d’appel provinciales ont dressées (voir, p. ex., Sidwell, par. 53; R. c. A.B., 2015 NLCA 19, 364 Nfld. & P.E.I.R. 160, par. 26). Notre objectif est plutôt de fournir une orientation quant à certains facteurs qui nécessitent une « formulation de principes clairs » afin de promouvoir l’application uniforme du droit de la détermination de la peine (Gardiner, p. 397 et 405).

(a) Probabilité de récidive

[122] Le législateur affirme à l’art. 718 du Code criminel que « [l]e prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société ». Comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt K.R.J., le libellé de l’art. 718 démontre que « la protection du public relève nettement de l’essence même » de la détermination de la peine (par. 33). Cet objectif revêt une importance particulière lorsque des infractions criminelles sont créées afin de protéger les groupes vulnérables comme les enfants (voir R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 76, 131‑132).

[123] Lorsque le juge chargé de la détermination de la peine conclut que le délinquant présente un risque accru de récidive, son obligation de prévenir d’autres préjudices aux enfants lui commande de privilégier l’objectif d’isoler le délinquant du reste de la société, qui est prévu à l’al. 718c) du Code criminel. Mettre l’accent sur cet objectif aura pour effet de protéger les enfants en empêchant le délinquant de se livrer à la violence sexuelle durant la période d’incarcération (voir K.R.J., par. 52). Plus le délinquant représente un risque élevé de récidive, plus le tribunal doit privilégier cet objectif de détermination de la peine en vue de protéger les enfants vulnérables de l’exploitation fautive et du danger (L.M. par. 30; S. (J.), par. 39 et 84).

[124] De toute évidence, la probabilité de récidive du délinquant est aussi pertinente en ce qui a trait à l’objectif de réinsertion prévu à l’alinéa 718d) du Code criminel. Les tribunaux devraient encourager les délinquants à faire des efforts pour se réinsérer, car cela offre une protection de longue durée (Gladue, par. 56). La réinsertion peut aussi jouer en faveur d’une durée d’emprisonnement réduite suivie d’une période de probation puisque le milieu communautaire est souvent plus favorable à la réinsertion que la prison (voir Proulx, par. 16 et 22). Parallèlement, selon le risque de récidive que représente le délinquant, l’impératif d’offrir une protection immédiate et à court terme aux enfants peut faire obstacle à une libération anticipée. Dans de tels cas, les efforts de réinsertion doivent débuter par un traitement ou un programme offert en prison (voir R. c. R.M.S. (1997), 1997 CanLII 12497 (BC CA), 92 B.C.A.C. 148, par. 13). Dans certaines situations, la seule façon de protéger les enfants à court et à long terme peut donc être d’imposer une longue peine (voir R. c. Gallant, 2004 NSCA 7, 220 N.S.R. (2d) 318, par. 19, le juge d’appel Cromwell (plus tard juge de notre Cour)).

(b) Abus de confiance ou d’autorité

[125] Nous souhaitons également faire quelques remarques sur le facteur de l’abus de confiance (Code criminel, sous‑al. 718.2a)(iii)). Les relations de confiance se présentent dans de nombreuses situations et elles ne devraient pas toutes être traitées sur le même pied (voir R. c. Aird, 2013 ONCA 447, 307 O.A.C. 183, par. 27). Il serait plus logique de parler de [traduction] « spectre » de situations de confiance (voir R. c. R.B., 2017 ONCA 74, par. 21 (CanLII)). Un délinquant peut occuper simultanément plusieurs positions dans le spectre et une relation de confiance peut progresser le long du spectre au fil du temps (voir R. c. Vigon, 2016 ABCA 75, 612 A.R. 292, par. 17). Dans certains cas, la manipulation psychologique du délinquant peut donner naissance à une nouvelle relation de confiance, un phénomène courant dans les cas de leurre d’enfants où les enfants se font manipuler par de parfaits étrangers sur Internet, ou faire progresser une relation de confiance existante le long du spectre. Même si ce n’est pas le cas, la manipulation psychologique demeure un facteur aggravant à lui seul.

[126] Tout abus de confiance est susceptible d’accroître le préjudice causé à la victime et, partant, la gravité de l’infraction. Comme la juge d’appel Saunders l’a expliqué dans l’arrêt D.R.W., dans de tels cas, on devrait mettre l’accent sur [traduction] « la mesure dans laquelle la relation de confiance a été violée » (par. 41). Le spectre des relations de confiance est utile pour déterminer le degré de préjudice. Un enfant souffrira sans doute plus d’une agression sexuelle s’il y avait une relation étroite et un degré de confiance plus élevé entre lui et son agresseur (voir R. c. J.R. (1997), 1997 CanLII 14665 (NL CA), 157 Nfld. & P.E.I.R. 246 (C.A. T.‑N.‑L.), par. 14 et 18). Ce scénario est vraisemblable dans ce que l’on pourrait qualifier de cas classique d’abus de confiance, y compris ceux mettant en cause des membres de la famille, gardiens, enseignants et médecins.

[127] L’existence d’une relation de confiance peut empêcher l’enfant de dénoncer la violence sexuelle dont il est victime. L’abus de confiance peut entraîner un [traduction] « sentiment de crainte et de honte » qui décourage encore plus l’enfant de dénoncer son agresseur (Stuckless (2019), par. 131, la juge Pepall). Les menaces ou la manipulation émotionnelle peuvent avoir des répercussions d’autant plus fortes que la victime fait confiance au délinquant (L. (D.O.), p. 439‑440, la juge L’Heureux‑Dubé; R. c. J.L., 2015 ONCJ 777, par. 58 (CanLII), conf. par 2016 ONCA 593).

[128] Nous ajoutons que ces obstacles à la dénonciation peuvent être particulièrement imposants lorsque l’auteur de la violence sexuelle est un parent ou gardien qui habite avec la victime. La dépendance de la victime envers son agresseur peut constituer un obstacle majeur à la dénonciation (« The “Statutory Rape” Myth », p. 277 et 291). Par exemple, dans un cas antérieur, une adolescente, sa mère et ses frères et sœurs ont dû quitter la résidence familiale et déménager dans un refuge pour femmes lorsque l’adolescente a dit à sa mère que son père l’avait agressée sexuellement (voir J.L., par. 56). Ces craintes peuvent être particulièrement élevées dans les situations où le délinquant a également commis des actes de violence familiale (voir. R. c. G.(P.G.), 2014 ONCJ 369, par. 33‑34 (CanLII)).

[129] L’abus de confiance est aussi un facteur aggravant parce qu’il accroît le degré de responsabilité du délinquant. Un délinquant en situation de confiance vis‑à‑vis un enfant a l’obligation de le protéger et d’en prendre soin, une obligation qu’un étranger n’a pas. Un manquement à l’obligation de protection et de soin accroît donc la culpabilité morale (R. c. S. (W.B.) (1992), 1992 CanLII 2761 (AB CA), 73 C.C.C. (3d) 530 (C.A. Alta.), p. 537). L’abus de confiance exploite aussi la vulnérabilité particulière des enfants envers les adultes à qui ils font confiance, ce qui est particulièrement blâmable sur le plan moral (D. (D.), par. 24 et 35; Rayo, par. 121‑122).

[130] Nous voulons donc souligner que, toutes autres choses étant égales, un délinquant qui abuse de la situation de confiance dont il jouit pour commettre une infraction d’ordre sexuel contre un enfant devrait recevoir une peine plus longue que le délinquant qui est un étranger pour l’enfant. De nombreux auteurs se sont dits préoccupés par le fait que, traditionnellement, le système de justice pénale n’a pas reconnu l’ampleur et la gravité des actes de violence sexuelle perpétrés au sein de la famille (voir Benedet, p. 297; J. Desrosiers et G. Beausoleil‑Allard, L’agression sexuelle en droit canadien (2e éd. 2017), p. 39; Todd, p. 554). Plus précisément, quelques auteurs ont critiqué la tendance des tribunaux à imposer des peines similaires aux étrangers et aux pères qui ont commis des infractions d’ordre sexuel contre des enfants, malgré le fait que les agressions sexuelles commises par les pères soient plus susceptibles de se répéter (voir Bauman, p. 358 et 364; « The “Statutory Rape” Myth », p. 289‑290). Comme l’écrit la professeure Craig, décrire la violence sexuelle à l’égard des enfants comme étant le produit d’une poignée de prédateurs étrangers [traduction] « ne reconnaît pas le fait que les agressions sexuelles contre les enfants est souvent une menace qui vient de l’intérieur de la famille même et non de l’extérieur » (p. 41). Les tribunaux devraient veiller à ce que les peines qu’ils imposent ne renforcent pas ce mythe par inadvertance en ne conférant pas de portée juridique à la gravité accrue de l’infraction et au degré de responsabilité élevé du délinquant dans les cas d’abus de confiance.

(c) Durée et fréquence

[131] La durée et la fréquence de la violence sexuelle sont d’autres facteurs importants lorsqu’il s’agit de déterminer la peine. La fréquence et la durée peuvent accroître considérablement le préjudice subi par la victime. Le préjudice immédiat que subit la victime au cours de l’agression est multiplié par le nombre d’agressions. De plus, le préjudice émotionnel et psychologique à long terme que subit la victime peut aussi s’accroître lorsque les actes de violence sexuelle sont répétés et prolongés (voir Scalera, par. 123; R. c. O.M., 2009 BCCA 287, 272 B.C.A.C. 236, par. 7; Bauman, p. 359). Ce préjudice accru exacerbe la gravité de l’infraction. Il accroît également la culpabilité morale du délinquant parce que le préjudice supplémentaire causé à la victime constitue une conséquence raisonnablement prévisible des agressions multiples (voir Scalera, par. 123). Les actes d’agression répétés et prolongés démontrent en outre que la conduite sexuelle violente ne constitue pas un acte isolé, un facteur qui augmente le degré de responsabilité du délinquant (voir L. (J.‑J.), p. 977; Parent et Desrosiers, p. 107‑109).

[132] Il faut accorder du poids à la durée et à la fréquence de la violence sexuelle lors de la détermination de la peine. Les juges ne doivent pas réduire la peine au motif que la fréquence ou la durée des agressions démontre que le délinquant ne peut se maîtriser (R. c. Stuckless (1998), 1998 CanLII 7143 (ON CA), 41 O.R. (3d) 103 (C.A.), p. 120 (« Stuckless (1998) »); Bauman, p. 365). La cour ne doit pas non plus réduire la peine simplement parce que plusieurs incidents de violence sexuelle sont visés par une accusation unique plutôt que par des accusations multiples. Si la déclaration de culpabilité résultant d’une seule accusation vise des incidents de violence sexuelle multiples, le juge de la peine doit accorder du poids à ce facteur et se garder d’établir une analogie avec les affaires portant sur un incident unique simplement parce que ces autres affaires mettent en cause une accusation unique. Dans les ressorts où l’on utilise des points de départ, les tribunaux ne doivent pas se contenter d’appliquer le point de départ, mais doivent plutôt être disposés à s’écarter de celui‑ci afin de donner effet à la durée et à la fréquence de la violence sexuelle (voir L.V., par. 100‑101).

[133] En résumé, la violence sexuelle commise à plusieurs reprises et pendant de plus longues périodes à l’égard d’enfants devrait donner lieu à des peines beaucoup plus lourdes reflétant toute la gravité cumulative du crime. Les juges ne sauraient permettre que le nombre d’agressions violentes devienne une statistique. Chaque incident de violence sexuelle traumatise de nouveau la victime et accroît la probabilité que les risques de préjudice à long terme se matérialisent. Chaque incident additionnel est le reflet d’un choix continu et renouvelé du délinquant de continuer à faire subir de la violence à des enfants. Comme l’a écrit la juge d’appel Abella (maintenant juge de notre Cour) dans Stuckless (1998), lorsque le délinquant a commis de nombreuses agressions, la cour ne doit pas hésiter à apprécier toutes les facettes du délit, et doit plutôt donner effet au caractère [traduction] « renversant » et « systématique » de la violence sexuelle dans la peine infligée (p. 116).

(d) Âge de la victime

[134] L’âge de la victime constitue lui aussi un facteur aggravant important. Le rapport de force inégal qui existe entre les enfants et les adultes est encore plus marqué dans le cas des jeunes enfants, dont « l’état de dépendance est habituellement total » et qui « sont souvent démunis lorsqu’ils sont privés de la protection et de l’assistance de leurs parents » (R. c. Magoon, 2018 CSC 14, [2018] 1 R.C.S. 309, par. 66). Leur personnalité et leur aptitude à se remettre d’un préjudice sont encore en développement (Renaud, § 12.64; L. (J.‑J.), p. 979). Qui plus est, les enfants victimes à un jeune âge doivent subir les préjudices découlant de la violence sexuelle plus longtemps que les personnes qui en sont victimes à un âge plus avancé.

[135] Ces réalités découlant de l’âge de la victime sont pertinentes à la fois quant à la gravité de l’infraction et quant au degré de responsabilité du délinquant. Les infractions d’ordre sexuel à l’égard des enfants sont répréhensibles précisément parce que leurs auteurs reconnaissent et exploitent la vulnérabilité particulière des enfants (Woodward, par. 72). Il s’ensuit que la culpabilité morale du délinquant est accentuée lorsque la victime est particulièrement jeune et donc encore plus vulnérable à la violence sexuelle.

[136] Or, les tribunaux doivent aussi prendre bien soin d’infliger des peines proportionnelles dans les cas où la victime est un adolescent. Des peines disproportionnellement clémentes sont infligées depuis longtemps dans de tels cas, surtout dans ceux mettant en cause des adolescentes, alors que les adolescents forment peut‑être un groupe d’âge qui est de façon disproportionnée victime de violence sexuelle (Benedet, p. 302, 304 et 314; L. (D.O.), p. 464‑465, la juge L’Heureux‑Dubé). Plus particulièrement, la violence sexuelle commise par des adultes de sexe masculin à l’endroit d’adolescentes s’accompagne de taux plus élevés de blessures physiques, de suicide, de toxicomanie et de grossesses non désirées (I. Grant et J. Benedet, « Confronting the Sexual Assault of Teenage Girls: The Mistake of Age Defence in Canadian Sexual Assault Law » (2019), 97 R. du B. can. 1, p. 5; « The “Statutory Rape” Myth », p. 269; R. c. Hess, 1990 CanLII 89 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 906, p. 948‑949, la juge McLachlin).

(e) Degré d’atteinte physique

[138] Nous convenons que le degré d’atteinte physique constitue un facteur aggravant reconnu. Ce facteur traduit l’ampleur de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ainsi que la nature sexuelle de l’attouchement et son atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime.

[139] Le degré d’atteinte physique tient également compte de la manière dont certains types d’actes physiques peuvent accroître le risque de préjudice. Par exemple, la pénétration du pénis, surtout lorsqu’elle est non protégée, peut constituer un facteur aggravant parce qu’elle pose un risque de maladie et de grossesse (voir Hess, p. 949; R. c. Deck, 2006 ABCA 92, 384 A.R. 106, par. 20; T. (K.), par. 18). La pénétration, que ce soit avec le pénis, les doigts ou un objet, peut aussi causer de la douleur et des blessures physiques à la victime (voir Stuckless (2019), par. 125, la juge Pepall; T. (K.), par. 10‑11). Le corps d’un enfant est particulièrement vulnérable aux blessures physiques découlant d’une violence sexuelle avec pénétration (voir Hess, p. 920, la juge Wilson, et p. 948).

[140] En l’espèce, nous n’irons pas jusqu’à déclarer qu’établir une fourchette de peines ou un point de départ en fonction du type d’acte physique visé constitue nécessairement une erreur de droit. Cependant, nous tenons à mettre fermement en garde les cours d’appel provinciales contre les dangers que présente le fait de définir une fourchette de peines en fonction de la pénétration ou du type précis d’activité sexuelle en cause. Plus particulièrement, les tribunaux doivent faire attention d’éviter les quatre erreurs suivantes.

[141] Tout d’abord, établir une fourchette de peines ou un point de départ en fonction d’une activité sexuelle précise risque de faire renaître à l’étape de la détermination de la peine une distinction que le législateur a abolie dans le droit pénal substantiel. Pour être plus précis, le fait d’accorder une importance intrinsèque à l’existence ou à l’inexistence d’une pénétration ou d’un autre acte sexuel sur la base de la notion traditionnelle de bienséance sexuelle est incompatible avec l’accent mis par le législateur sur l’intégrité sexuelle dans la réforme du régime des infractions d’ordre sexuel. Comme nous l’avons expliqué, le législateur a aboli les distinctions que le Code criminel établissait autrefois entre les infractions selon qu’il y avait eu ou non pénétration du pénis. Pour les infractions d’agression sexuelle et de contacts sexuels, c’est donc la même peine maximale qui s’applique, peu importe qu’il y ait eu ou non pénétration. Faire de la présence ou de l’absence de pénétration la pierre angulaire d’une fourchette de peines reviendrait donc à ramener indirectement l’ancien droit substantiel en recréant au stade de la détermination de la peine les distinctions fondées sur la bienséance que le législateur a abolies dans le droit substantiel (Boyle, p. 177; voir aussi Nadin‑Davis, p. 46).

[142] Ensuite, les tribunaux ne sauraient présumer qu’il existe une corrélation nette entre le type d’acte physique et le préjudice causé à la victime. Comme l’écrit Christine Boyle, lorsqu’il s’agit d’apprécier l’importance du degré d’atteinte physique en tant que facteur, les [traduction] « juges doivent songer à ce qui est le plus menaçant et le plus préjudiciable pour la victime » (p. 180). Les juges peuvent tenir compte en toute légitimité du risque accru de préjudice qui peut découler de certains actes physiques telle la pénétration. Toutefois, comme l’a expliqué la juge McLachlin dans l’arrêt McDonnell, le fait d’accorder une importance exagérée à l’acte physique peut amener la cour à ne pas accorder l’importance nécessaire au préjudice émotionnel et psychologique que peuvent causer à la victime toutes les formes de violence sexuelle (par. 111‑115). La violence sexuelle ne comportant pas de pénétration demeure [traduction] « extrêmement grave » et peut avoir un effet dévastateur sur la victime (Stuckless (1998), p. 117). La Cour a reconnu que « toute infraction d’ordre sexuel [est] grave » (McDonnell, par. 29), et a conclu que « même des attouchements légers non consensuels de nature sexuelle peuvent avoir de lourdes conséquences pour le plaignant » (R. c. J.A., 2011 CSC 28, [2011] 2 R.C.S. 440, par. 63, la juge en chef McLachlin, et par. 121, le juge Fish). La conception moderne des infractions d’ordre sexuel exige que l’on mette davantage l’accent sur ces formes de préjudice émotionnel et psychologique, plutôt que sur seulement l’intégrité physique (R. c. Jarvis, 2019 CSC 10, [2019] 1 R.C.S. 488, par. 127, le juge Rowe).

[143] L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans Stuckless (2019) constitue un exemple de la reconnaissance par les tribunaux du fait que le préjudice causé à la victime ne dépend pas du type d’activité physique en cause. Dans cette affaire, le délinquant avait pénétré avec les doigts certains enfants, avait fait des attouchements sexuels à d’autres et avait fait subir une fellation aux autres. La juge de première instance avait fixé la peine appropriée pour chaque infraction en se fondant en grande partie sur le type d’acte physique en cause. Les juges majoritaires ont conclu que la juge chargée de déterminer la peine avait commis une erreur en agissant ainsi parce que la violence sexuelle n’était [traduction] « pas moins préjudiciable aux victimes » simplement parce qu’elle comportait des attouchements sexuels ou une fellation au lieu d’une pénétration (par. 68‑69, le juge Huscroft, et par. 124‑125, la juge Pepall). Comme l’a écrit la juge Pepall, [traduction] « si le tribunal chargé de déterminer la peine doit se concentrer sur le “préjudice qu’a causé à l’enfant la conduite du délinquant” [. . .], les distinctions entre ces formes d’abus sexuels peuvent se révéler inutiles et ne sont pas déterminantes quant à la gravité de l’infraction » (par. 124, citant Woodward, par. 76).

[144] Pour être plus précis, nous tenons à mettre fortement les tribunaux en garde contre le fait de relativiser le caractère répréhensible de l’infraction ou l’importance du préjudice causé à la victime lorsque la violence sexuelle ne comporte ni pénétration, ni fellation ou cunnilingus, mais implique plutôt des attouchements ou de la masturbation. Rien ne permet de présumer, comme semblent l’avoir fait certaines cours, que les attouchements sexuels sans pénétration peuvent être « relativement bénins » (voir R. c. Caron Barrette, 2018 QCCA 516, 46 C.R. (7th) 400, par. 93‑94). Dans certaines décisions, on semble aussi justifier l’infliction d’une peine moins lourde en qualifiant la conduite de simples attouchements sexuels sans procéder à une analyse du préjudice causé à la victime (voir Caron Barrette, par. 93‑94; Hood, par. 150; R. c. Iron, 2005 SKCA 84, 269 Sask.R. 51, par. 12). Ces décisions reposent implicitement sur la croyance voulant que la conduite qualifiée regrettablement de « fondling » ou de « caresse » soit intrinsèquement moins préjudiciable que les autres formes de violence sexuelle (voir Hood, par. 150; Caron Barrette, par. 93). C’est un mythe qu’il faut rejeter (Benedet, p. 299 et 314; Wright, p. 57). Se contenter de dire que l’infraction comportait des attouchements sexuels plutôt qu’une pénétration ne nous renseigne guère sur le préjudice que la violence sexuelle a causé à l’enfant.

[145] Troisièmement, nous tenons à souligner que les tribunaux doivent reconnaître le caractère répréhensible de la violence sexuelle même dans les cas où l’atteinte à l’intégrité physique est moins prononcée. Bien entendu, l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité physique exacerbe le caractère répréhensible de la violence sexuelle. La violence sexuelle à l’égard des enfants demeure toutefois intrinsèquement répréhensible, quel que soit le degré d’atteinte à l’intégrité physique. Plus précisément, les tribunaux doivent reconnaître la violence et l’exploitation présentes dans toute atteinte physique de nature sexuelle à un enfant, qu’il y ait eu ou non pénétration (voir Wright, p. 150).

[146] Quatrièmement, c’est une erreur de concevoir le facteur du degré d’atteinte à l’intégrité physique en fonction d’une sorte de hiérarchie des actes physiques. Le type d’acte physique en cause peut s’avérer pertinent pour établir le degré d’atteinte physique. Cependant, les tribunaux ont parfois décrit le degré d’atteinte physique comme une espèce d’échelle des actes physiques où les attouchements et la masturbation occupent les échelons les moins répréhensibles, la fellation et le cunnilingus occupent les échelons du milieu, et la pénétration du pénis se situe à l’échelon le plus répréhensible (voir R. c. R.W.V., 2012 BCCA 290, 323 B.C.A.C. 285, par. 19 et 33). Il s’agit là d’une erreur : il n’existe point de hiérarchie des actes physiques servant à établir le degré d’atteinte physique. Ainsi que l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario dans Stuckless (2019), des actes physiques tels la pénétration avec les doigts et la fellation peuvent constituer une atteinte tout aussi grave à l’intégrité physique de la victime que la pénétration du pénis (par. 68‑69 et 124‑125). De même, il est erroné de tenir pour acquis qu’une agression comportant des attouchements est intrinsèquement moins intrusive qu’une agression au cours de laquelle il y a eu fellation, cunnilingus ou pénétration. Par exemple, selon les circonstances de l’affaire en question, des attouchements étendus et envahissants peuvent être tout aussi intrusifs, voire davantage, qu’un acte de fellation, un cunnilingus ou une pénétration.

[147] Enfin, nous recommandons aux tribunaux de cesser d’employer des termes comme « fondling » ou « caresser » lorsqu’ils parlent de violence sexuelle à l’égard des enfants. Puisque la détermination de la peine est un processus de communication, les termes qu’emploient les juges chargés de déterminer la peine comptent. L’emploi de mots tels « fondling » ou « caresser » dans le contexte de la détermination de la peine confère implicitement à la conduite du délinquant un caractère érotique ou affectueux, au lieu de la qualifier d’agression intrinsèquement violente comme l’ont reconnu les tribunaux. Il s’agit de termes trompeurs qui risquent de normaliser la conduite même que le juge chargé de déterminer la peine est censé condamner. L’emploi de pareils termes compromet la réalisation de l’objectif du législateur de communiquer le message que le fait d’utiliser des enfants comme des objets servant à la satisfaction sexuelle des adultes est répréhensible. Au lieu de reconnaître le préjudice causé à la victime, ces termes ravivent la douleur des victimes en déguisant et en masquant la violence, la douleur et le traumatisme qu’elles ont subis (voir M. Lessard et S. Zaccour, « Quel genre de droit? Autopsie du sexisme dans la langue juridique » (2017), 47 R.D.U.S. 227, p. 241‑242).

(f) Participation de la victime

[148] Le législateur a fixé à seize ans l’âge de consentement à une activité sexuelle au Canada (voir le projet de loi C‑2, Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, c. 6). Sous réserve des exceptions reposant sur la proximité d’âge prévues aux par. 150.1(2.1), (2.2) et (2.3) du Code criminel, les enfants âgés de moins de seize ans sont donc [traduction] « incapables de donner un consentement véritable à des rapports sexuels avec des adultes » (Hajar, par. 40). Par conséquent, les tribunaux doivent éviter d’employer un terme comme le [traduction] « consentement de facto », qui assimile la participation de l’enfant à un consentement.

[149] Malgré cela, les tribunaux ont parfois invoqué le « consentement de facto » d’un enfant que le législateur a jugé légalement incapable de consentir comme facteur atténuant lors de la détermination de la peine. À l’instar de nombreuses cours d’appel provinciales, nous convenons que c’est une erreur de droit que de traiter le « consentement de facto » comme un facteur atténuant (voir Hajar; Scofield, par. 38; R. c. E.C., 2019 ONCA 688, par. 13 (CanLII); R. c. Norton, 2016 MBCA 79, 330 Man.R. (2d) 261, par. 42). Considérer la participation de la victime comme un facteur atténuant équivaudrait à contourner la volonté du législateur par le truchement du processus de détermination de la peine (Hajar, par. 96). Cela minimiserait le caractère répréhensible de la violence sexuelle à l’égard d’un enfant n’ayant pas l’âge légal du consentement en indiquant [traduction] « au délinquant que, même s’il est techniquement coupable [. . .], il n’est pas vraiment fautif ou responsable », et que c’est la victime qui est réellement à blâmer pour son comportement (Wright, p. 100).

[150] Tout en reconnaissant que la participation de la victime n’est pas un facteur atténuant, certaines cours l’ont néanmoins jugée pertinente pour déterminer la peine appropriée (voir Scofield, par. 39; Caron Barrette, par. 56). Il s’agit d’une erreur de droit : ce facteur n’est pas pertinent en droit lors de la détermination de la peine. La participation d’une victime peut coïncider avec l’absence de certains facteurs aggravants, comme la violence supplémentaire ou la perte de conscience. En clair, l’absence de facteur aggravant ne constitue pas un facteur atténuant.

[151] Nous ajouterions ce qui suit pour aider les juges à mettre en pratique la décision du législateur voulant que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants entraînent des peines plus lourdes. Premièrement, certaines cours semblent avoir assimilé l’absence de résistance de l’enfant à un « consentement de facto » (voir R. c. Revet, 2010 SKCA 71, 256 C.C.C. (3d) 159, par. 12). En plus d’assimiler la participation de l’enfant à un consentement, ce terme dénote la croyance selon laquelle la soumission ou l’omission de résister valent consentement, ce qui relève d’un mythe pernicieux même dans le cas des adultes. L’analyse des juges doit indiquer clairement qu’il n’existe aucun moyen de défense fondé sur le consentement « implicite » en droit canadien et que l’omission de résister, le silence ou la passivité ne valent pas consentement (voir Barton, par. 98).

[152] En deuxième lieu, la participation de la victime ne doit pas détourner l’attention de la cour du préjudice que subit la victime par suite de la violence sexuelle. Nous tenons à avertir fermement les tribunaux de ne pas qualifier les infractions d’ordre sexuel auxquelles ont participé des enfants victimes d’actes où il n’y a eu aucune violence psychologique ou physique, comme semblent l’avoir fait certaines cours (voir Caron Barrette, par. 46). Comme l’ont conclu les juges majoritaires dans Hajar, la [traduction] « [v]iolence est [plutôt] inhérente à [ces infractions] puisqu’elle[s] comporte[nt] une grave atteinte par l’adulte à l’intégrité sexuelle, à la dignité humaine et à la vie privée de l’enfant même dans les cas où il y a consentement apparent » (par. 115 (en italique dans l’original)). L’absence de violence supplémentaire comme l’utilisation d’une arme, l’intimidation et l’agression physique supplémentaire ne permet pas de faire abstraction de la violence inhérente aux infractions d’ordre sexuel contre des enfants (voir Marshall, p. 220).

[153] En troisième lieu, dans certains cas, la participation de la victime résulte d’une campagne de manipulation orchestrée par le délinquant ou de la rupture d’un lien de confiance existant. La participation de la victime ne saurait en aucun cas être considérée comme un facteur atténuant. Lorsqu’un abus de confiance ou une manipulation est à l’origine de la participation, cela doit être à juste titre perçu comme un facteur aggravant (R. c. P.M. (2002), 2002 CanLII 15982 (ON CA), 155 O.A.C. 242, par. 19; R. c. F. (G.C.) (2004), 2004 CanLII 4771 (ON CA), 71 O.R. (3d) 771 (C.A.), par. 7 et 21; Woodward, par. 43). L’adolescence peut s’avérer une période déroutante et difficile pour les jeunes au fur et à mesure qu’ils grandissent et mûrissent, naviguent entre les amis et les groupes de pairs et découvrent leur sexualité. Comme l’a écrit la juge d’appel Feldman dans P.M., exploiter les jeunes adolescents pendant cette période en les amenant à croire qu’ils entretiennent une relation amoureuse avec un adulte [traduction] « dénote un degré d’amoralité qui est très préoccupant » (par. 19).

[154] Enfin, la participation de la victime ne saurait jamais détourner l’attention de la cour du fait qu’il incombe toujours aux adultes de s’abstenir de se livrer à de la violence sexuelle sur des enfants. Ce sont les adultes, et non les enfants, qui sont tenus d’empêcher les rapports sexuels entre les adultes et les enfants (George, par. 2; R. c. Audet, 1996 CanLII 198 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 171, par. 23). Nous faisons nôtres les propos qu’a tenus la juge Fairburn (maintenant juge à la Cour d’appel) dans R. c. J.D., 2015 ONSC 5857 :

[traduction] Le fait que l’enfant semble acquiescer ou même solliciter l’attention sexuelle de l’adulte ne constitue pas non plus un facteur atténuant. Lorsqu’un enfant semble solliciter pareille attention, il s’agit souvent d’une manifestation extérieure de sa confusion découlant de difficultés personnelles. L’adulte en présence d’un enfant qui semble déjà aux prises avec des difficultés a la responsabilité légale de le protéger. Les adultes qui considèrent ces situations comme des occasions d’assouvir leurs propres pulsions sexuelles ne sont ni meilleurs ni pires que ceux qui sollicitent directement leur victime. [par. 25 (CanLII)]

Peines consécutives et totalité

(a) Peines consécutives

[155] La décision d’infliger des peines concurrentes ou consécutives repose sur des principes. Bien que la question mérite qu’on s’y attarde davantage dans une autre affaire, la règle générale veut que les infractions étroitement liées au point de constituer un incident criminel unique puissent, sans que cela soit obligatoire, donner lieu à des peines concurrentes, et que toutes les autres infractions doivent donner lieu à des peines consécutives (voir, p. ex., R. c. Arbuthnot, 2009 MBCA 106, 245 Man.R. (2d) 244, par. 18-21; R. c. Hutchings, 2012 NLCA 2, 316 Nfld. & P.E.I.R. 211, par. 84; R. c. Desjardins, 2015 QCCA 1774, par. 29 (CanLII)).

[156] Il ressort des motifs du juge chargé de déterminer la peine et de ceux de la Cour d’appel en l’espèce qu’aucun d’eux n’a traité correctement de cette question. Cela dit, nous n’entendons pas analyser cette question plus à fond, car elle n’a aucune incidence sur l’issue de la présente affaire et n’a pas été débattue comme il se doit devant notre Cour.

(b) Le principe de totalité

[157] Selon le principe de totalité, le tribunal qui inflige des peines consécutives doit s’assurer que la peine totale ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant (voir Code criminel, al. 718.2c); M. (C.A.), par. 42). Ce principe est appliqué partout au Canada, mais il y a eu des divergences dans la méthode utilisée par les différentes cours d’appel. Dans certains ressorts, le juge doit établir la peine appropriée pour chaque infraction avant de considérer la totalité (voir, p. ex., Hutchings, par. 84; R. c. Adams, 2010 NSCA 42, 255 C.C.C. (3d) 150, par. 23‑28; R. c. Punko, 2010 BCCA 365, 258 C.C.C. (3d) 144, par. 93; R. c. Draper, 2010 MBCA 35, 253 C.C.C. (3d) 351, par. 29‑30; R. c. J.V., 2014 QCCA 1828, par. 28 (CanLII); R. c. Chicoine, 2019 SKCA 104, 381 C.C.C. (3d) 43, par. 66‑68). Dans d’autres ressorts, le juge établit d’abord la peine globale appropriée pour ensuite infliger des peines individuelles qui équivalent à la peine totale (R. c. Ahmed, 2017 ONCA 76, 136 O.R. (3d) 403).

[158] Si les peines infligées en l’espèce l’avaient été consécutivement, comme elles auraient sans doute dû l’être, il aurait fallu appliquer la totalité. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les peines ont été infligées concurremment, de sorte que la question de la totalité ne s’est pas posée. Étant donné que ces questions, quoiqu’importantes, n’ont pas été débattues, nous remettons leur examen à une autre occasion.