Procureure générale du Québec c. Association québécoise des vapoteries, 2019 QCCA 2209 

Il faut se demander si l’intervention projetée est utile et ajoute une nouvelle perspective au débat. Une partie des réponses à cette question repose sur la capacité des parties à l’appel de présenter adéquatement les questions en litige.

[5] Dans sa requête en intervention, la SCC se décrit comme « le plus grand organisme national caritatif bénévole dans le domaine de la santé au Canada, regroupant plus de 100 000 bénévoles répartis dans 70 bureaux à travers le pays, dont 13 au Québec »[4]. Elle expose ainsi le but et les motifs de son intervention :

28. La SCC entend intervenir relativement aux éléments suivants en ce qui concerne l’appel :

a) L’objet, la raison d’être et l’impact de la publicité relative aux cigarettes électroniques, en ce qui concerne notamment l’importance des enjeux associés à la localisation ou au média choisi pour présenter cette publicité et le public qu’elle rejoint, incluant en ce qui concerne les jeunes et adolescents. […]

b) La justification des atteintes à la liberté d’expression dans le contexte associé aux restrictions législatives visant la publicité sur la cigarette électronique;

c) La constitutionnalité des restrictions législatives quant à l’usage de la cigarette électronique à l’intérieur des boutiques spécialisées, des cliniques de cessation tabagique et autres places publiques;

d) La validité constitutionnelle des dispositions visant les mises en garde relatives aux risques pour la santé, à la lumière de l’adoption récente du Règlement modifiant le Règlement sur la mise en garde attribuée au ministre de la Santé et des Services sociaux et portant sur les effets nocifs du tabac sur la santé;

29. La SCC entend également intervenir relativement aux éléments suivants en ce qui concerne l’appel incident :

a) L’importance des enjeux de politique publique associés au cadre législatif provincial sur la cigarette électronique et la protection offerte par ces dispositions législatives relativement à la santé publique;

b) L’historique législatif de coexistence entre le cadre législatif provincial et fédéral en ce qui concerne la lutte contre le tabac justifiant la constitutionnalité des dispositions législatives en litige;[5]

[Renvois omis]

[6] Les Intimées contestent la requête. L’AQV et Valérie Gallant invoquent l’absence de capacité de la SCC, l’absence d’intérêt public (la SCC défendrait plutôt les intérêts privés qui la subventionnent), l’absence d’utilité ainsi que la tardivité et le caractère dilatoire de l’intervention. Quant à l’ACV, elle plaide que l’intervention serait une source de répétition et s’appuie en cela sur le mémoire déposé par la PGQ.

***

[7] L’intervention à titre amical est régie par l’article 187 C.p.c. :

187. Le tiers qui entend intervenir à titre amical lors de l’instruction doit être autorisé par le tribunal. Il doit présenter un acte d’intervention exposant le but et les motifs de son intervention et le notifier aux parties au moins cinq jours avant la date fixée pour la présentation de sa demande au tribunal.

Le tribunal peut, après avoir entendu le tiers et les parties, autoriser l’intervention s’il l’estime opportune; il prend en compte l’importance des questions en litige, au regard notamment de l’intérêt public, et l’utilité de l’apport du tiers au débat.

187. A third person who wishes to intervene as a friend of the court during the trial must obtain authorization from the court. The person must file a declaration of intervention setting out the purpose of and grounds for the intervention and notify it to the parties at least five days before the date the application for authorization is to be presented before the court.

After hearing the third person and the parties, the court may grant authorization if it is of the opinion that the intervention is expedient; in making its decision, the court considers the importance of the issues in dispute, particularly in relation to the public interest, and the usefulness of the third person’s contribution to the debate.

[8] Cet article reprend essentiellement la règle prévue à l’article 211 a.C.p.c., de sorte que les principes énoncés par la jurisprudence sous l’ancien Code de procédure civile demeurent valables. La Cour les réaffirme dans l’arrêt Raymond Chabot administrateur provisoire inc. c. Arbour :

[5] En matière d’intervention volontaire, le Tribunal jouit d’un large pouvoir discrétionnaire. Pour la requérante, la condition à satisfaire n’est pas très contraignante, particulièrement si la cause implique une question de droit public ou une question qui va au-delà de l’intérêt immédiat des parties privées. Une brève énumération des principes a été faite par la juge St-Pierre, inspirée en cela par un texte du juge Gascon, depuis nommé à la Cour suprême du Canada :

[13] De l’étude faite par mon collègue le juge Gascon dans Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico inc. (2013 QCCA 867 (CanLII)) et des autorités qu’il y cite, je retiens que les principes suivants doivent me servir de guides :

• Le juge saisi d’une demande d’intervention possède une large discrétion;

• S’il y a lieu de faire preuve d’ouverture à l’intervention en présence d’un dossier de droit public, de droit constitutionnel ou de droits fondamentaux, beaucoup de prudence s’impose dans le cas d’un litige privé;

• Le seul fait qu’un arrêt de la Cour soit susceptible d’impacter sur la situation de la partie qui cherche à intervenir ou sur d’autres litiges, nés ou anticipés, ne suffit pas;

• le fardeau de démontrer que les parties au dossier ne sont pas en mesure d’offrir à la Cour tout l’éclairage requis et souhaitable pour trancher le débat dont elle est saisie repose sur la partie qui souhaite intervenir;

• L’intervention ne doit pas être source de répétition;

• L’opportunité de la mesure est tributaire, notamment, de l’évaluation de ses avantages et de ses inconvénients, dont ses effets sur le déroulement du dossier;

• L’intervenant doit pouvoir aider la Cour à trancher le débat précis et limité dont elle est saisie – l’objectif n’est pas de transformer le débat ou d’en étendre la portée. Ainsi, l’examen de l’opportunité de l’intervention doit se faire concrètement et non théoriquement;

• La position des parties au dossier doit être prise en compte, tout spécialement lors d’un dossier de litige privé;

• En tout temps, les principes de proportionnalité et de maintien d’un juste équilibre dans le rapport de force entre les parties concernées doivent être pris en compte.

[6] Il faut se demander si l’intervention projetée est utile et ajoute une nouvelle perspective au débat. Une partie des réponses à cette question repose sur la capacité des parties à l’appel de présenter adéquatement les questions en litige.[6]