R. c. T.J.M., 2021 CSC 6

Le juge d’une cour supérieure a compétence pour entendre et trancher une demande de mise en liberté provisoire présentée par un adolescent inculpé d’une infraction énumérée à l’art. 469 du Code criminel. De plus, cette compétence est détenue concurremment avec les juges du tribunal pour adolescents désigné pour la province.

[7] Le paragraphe 13(1) désigne donc, en tant que tribunal pour adolescents, « le tribunal établi ou désigné à ce titre [par la province] », et désigne, en qualité de juge du tribunal pour adolescents, le « juge d’un tribunal établi [. . .] à titre de tribunal pour adolescents ». Les paragraphes 13(2) et 13(3) s’appliquent lorsque survient l’une ou l’autre des trois circonstances qui, selon l’art. 67 de la LSJPA, mettent en jeu le droit de choisir le mode de procès[1], et que l’adolescent choisit d’être jugé par un juge avec ou sans jury. Dans le cas d’un adolescent inculpé d’une infraction énumérée à l’art. 469, un juge de la cour supérieure aura compétence sur lui s’il opte pour un procès en cour supérieure de juridiction criminelle sans jury (dans le cas du par. 13(2)) ou avec jury (dans le cas du par. 13(3)). Il en est ainsi parce que, quand l’adolescent inculpé d’une infraction mentionnée à l’art. 469 est appelé à faire son choix, le par. 67(2) de la LSJPA lui donne trois possibilités : (1) subir un procès devant un juge, visé au par. 13(1), du tribunal désigné par la province à titre de tribunal pour adolescents; (2) subir un procès devant un juge de la cour supérieure de juridiction criminelle, que le par. 13(2) assimile à un juge du tribunal pour adolescents qui siège seul; et (3) subir un procès devant un juge de la cour supérieure de juridiction criminelle, que le par. 13(3) assimile à un juge du tribunal pour adolescents qui siège avec jury.

[8] Voici le point crucial : peu importe le mode de procès choisi, la LSJPA exige qu’un adolescent soit jugé par un juge du tribunal pour adolescents. Il en est ainsi, que le procès se tienne devant un juge du tribunal pour adolescents désigné par la province au titre du par. 13(1), ou devant un juge de la cour supérieure réputé être un juge du tribunal pour adolescents par le par. 13(2) (s’il siège seul) ou le par. 13(3) (s’il siège avec jury). Dans les deux derniers cas ⸺ c’est‑à‑dire lorsqu’un juge de la cour supérieure devient un juge du tribunal pour adolescents par application des dispositions assimilantes figurant aux par. 13(2) ou 13(3) ⸺ la cour supérieure est réputée être ce tribunal « pour les procédures en cause ». Je passe maintenant au sens de cette expression utilisée dans la loi.

[14] À mon humble avis, les deux premières approches ne sauraient être bonnes. Le sens ordinaire et grammatical des mots « les procédures » n’est pas aussi restreint. Le mot « proceeding » (procédure) signifie, selon le Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), par B. A. Garner, à la p. 1457, [traduction] « [u]n acte ou une mesure qui fait partie d’une action plus vaste » ou « le déroulement habituel et ordonné d’une poursuite, y compris tous les actes et faits survenus entre le début de la poursuite et l’inscription du jugement ». Et aucune disposition de l’art. 13 ne donne le moindrement à penser que les mots « les procédures », tel qu’ils sont employés aux par. 13(2) et 13(3), renvoient à autre chose que tout le déroulement d’une poursuite criminelle après que l’adolescent ait choisi d’être jugé en cour supérieure. Nous devons accepter que le Parlement légifère délibérément, et que les mots précis qu’il utilise ont un sens (Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, 1995 CanLII 112 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 11); si le Parlement avait voulu restreindre au procès l’application des dispositions assimilantes qui figurent aux par. 13(2) et 13(3), il aurait utilisé le mot « procès », comme il l’a fait dans plusieurs autres dispositions de la LSJPA (voir, par exemple, l’al. 25(3)c) (« à son procès ») et le par. 25(4) (« du procès »)).

[15] Il vaut mieux donc considérer, à la lumière du sens ordinaire et grammatical des mots « les procédures », que le Parlement voulait que les juges de la cour supérieure réputés être des juges du tribunal pour adolescents par application des par. 13(2) et 13(3) de la LSJPA soient réputés tels pour toutes les mesures prises après que l’adolescent inculpé d’une infraction énumérée à l’art. 469 ait choisi de subir un procès en cour supérieure, et ce, jusqu’à son procès.

[26] Bien que le résultat exposé précédemment soit dicté par l’orientation claire du Parlement quant au rapport entre la LSJPA et la partie XVI du Code criminel, j’ajoute que cette orientation n’a rien d’étonnant. Comme l’a reconnu notre Cour, le Parlement voulait, au moment où il a adopté la LSJPA, offrir aux adolescents des protections procédurales supplémentaires tout au long du processus pénal compte tenu de leur âge, ainsi que créer des procédures moins formelles et plus rapides (sous‑al. 3(1)b)(iii) et (v); R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, par. 51‑52 (le juge Moldaver), et 136 (les juges Abella et Brown, dissidents, mais non sur ce point); S. Davis‑Barron, Youth and the Criminal Law in Canada (2e éd. 2015), p. 177). En accordant compétence concurrente pour décider de la mise en liberté après le choix de l’adolescent inculpé d’une infraction énumérée à l’art. 469, le Parlement aurait cherché à instaurer une certaine souplesse qu’on ne retrouve pas dans le système de justice pénale pour adultes en vue d’atteindre les objectifs de la LSJPA (É. F. Lacombe, « Prioritizing Children’s Best Interests in Canadian Youth Justice: Article 3 of the UN Convention on the Rights of the Child and Child‑Friendly Alternatives » (2017), 34 Windsor Y.B. Access Just. 209, p. 217). Cela a des répercussions particulièrement importantes sur les adolescents des régions rurales, y compris surtout les adolescents autochtones, qui bénéficieront d’un meilleur accès aux tribunaux pour adolescents désignés par la province qu’à une cour supérieure.

[27] Une dernière mise en garde. Le présent pourvoi ne concernait que la question de la compétence en matière de mise en liberté provisoire avant l’ouverture du procès. Bien entendu, une fois le procès commencé, une demande de mise en liberté provisoire est habituellement présentée devant le juge du procès. Or, je n’ai pas à statuer en l’espèce sur la question de savoir si cette demande doit être présentée devant le juge du procès ⸺ par exemple lorsque le procès est ajourné ⸺, et je me contente de remettre à plus tard le règlement de la question, quand la Cour en sera dûment saisie.