R. c. Zervoudakis, 2016 QCCQ 2260

Un ordre de se soumettre au prélèvement d’un échantillon d’haleine au moyen d’un appareil de détection approuvé donné en l’absence de motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur ne respecte pas les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

[22]      Selon le paragraphe 254 (2) C. cr., l’existence de « motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue » est une condition préalable à tout ordre donné en vertu de ce paragraphe.

[23]      Le soupçon raisonnable ne porte que sur la présence d’alcool dans l’organisme de la personne sommée, il n’est pas nécessaire de soupçonner que l’alcoolémie dépasse la limite permise ou que la capacité de conduire est affaiblie par l’alcool.

[24]      Le premier motif d’appel met en cause la présence et la nature de ce que sont des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool.

[19]        Dans le cadre d’un voir-dire en vertu de la Charte, le fardeau d’établir que la policière avait des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du requérant repose sur les épaules de la poursuite.  Dans R. c. Shepperd[2], la Cour Suprême dit :

[13]      La question fondamentale soulevée dans le présent pourvoi est celle de savoir si le policier avait des motifs raisonnables et probables d’ordonner à M. Shepherd de fournir des échantillons d’haleine.  Le paragraphe 254(3)  du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 , exige que le policier ait des motifs raisonnables de croire que le suspect a commis une infraction prévue à l’art. 253 du Code(conduite avec facultés affaiblies ou avec une alcoolémie supérieure à 0,08) avant de demander au conducteur de se soumettre à un alcootest.  Comme notre Cour l’a expliqué dans R. c. Bernshaw, 1995 CanLII 150 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 254, par. 51 : « L’exigence de motifs raisonnables prévue au par. 254(3)  est une exigence non seulement légale, mais aussi constitutionnelle, qu’il faut respecter, en vertu de l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés, à titre de condition préalable à une fouille, saisie ou perquisition légitime. »

[14]         M. Shepherd soutient que le policier n’avait pas les motifs requis pour exiger un alcootest et que les échantillons d’haleine ont donc été obtenus en violation des art. 8  et 9  de la Charte .  Les juridictions inférieures n’ont pas fait référence explicitement à l’art. 9 et, à notre avis, compte tenu des faits de l’espèce, il ne serait pas utile de procéder à une analyse fondée sur cette disposition.  Par conséquent, il sera question ci‑après uniquement de l’art. 8 .

[15]         Comme notre Cour l’a expliqué dans Collins, lorsque des éléments de preuve sont recueillis à la suite d’une fouille, perquisition ou saisie effectuée sans mandat, il incombe au ministère public de démontrer que la fouille, perquisition ou saisie n’était pas abusive.  Une fouille n’est pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive (Collins, p. 278).  La façon dont la fouille a été effectuée et le caractère raisonnable des dispositions du Code qui concernent la demande d’alcootest ne sont pas en litige.  Il s’agit plutôt, et uniquement, de déterminer si le policier ayant procédé à l’arrestation s’est conformé aux conditions légales devant être préalablement remplies pour que la demande d’alcootest soit valide.

[20]        Le principe s’applique tout autant pour la saisie d’un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA.  Cette saisie est faite sans mandat et donc prima facie abusive.

[21]        Si la poursuite ne réussit pas à établir que la policière avait des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du requérant, il y aura présomption d’une violation grave de la Charte.  Dans R. c. Bartle[3], la Cour suprême dit :

Toutefois, le fait que celui qui demande l’exclusion prévue au par. 24(2) assume la charge ultime de persuasion ne signifie pas qu’il doive supporter cette charge à l’égard de tous les aspects de l’examen.  En pratique, la charge relative à un élément de preuve donné aura tendance à se déplacer entre celui qui demande l’exclusion et le ministère public, selon la nature de la question en litige, selon que l’une ou l’autre partie veut l’invoquer et, bien sûr, selon la nature du droit garanti par la Charte qui a été violé.  Comme le disent Sopinka, Lederman et Bryant dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, à la p. 397 :

[traduction]  La charge de celui qui demande l’exclusion en application du par. 24(2) est tout à fait distincte de la norme civile ordinaire de preuve des faits.  Une fois prouvées la violation de la Charte et les circonstances de cette violation, l’examen cesse de porter sur les simples faits pour concerner des éléments qui ne sont pas susceptibles d’être prouvés suivant la norme courante, tels que l’effet possible de l’utilisation sur l’équité du procès, la gravité relative de la violation de la Charte et la notion même de considération dont jouit l’administration de la justice.  Par surcroît, la charge véritable glissera sûrement, en pratique, vers le ministère public car celui‑ci est le seul qui puisse apporter des éléments de preuve concernant de nombreux facteurs à prendre en considération (par exemple, la bonne foi, l’urgence, la possibilité d’employer d’autres méthodes d’enquête) et, ce qui est peut‑être plus important, l’administration de la justice est une fonction qu’il appartient au ministère public d’exercer.

[…]

[27]        Dans la présente affaire, la violation des droits du requérant a entraîné un résultat FAIL qui a été suivi d’une arrestation et une conduite au poste de police.  Sans cette violation grave, cette détention n’aurait pas eu lieu.  Cette violation est inacceptable.

[28]        La saisie par un représentant de l’État d’un élément de preuve sans motifs raisonnables, même de soupçonner, est une conduite qui a une incidence grave sur les droits d’une personne.  Le caractère fiable de l’ADA et le caractère moins intrusif sur la dignité humaine ne peuvent réussir, dans les circonstances, à contrer la gravité de la violation.

[29]        L’utilisation de la preuve qui dérive de cette violation serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[30]        La preuve du résultat de l’ivressomètre sera donc exclue.