Fossen c. R., 2022 QCCA 1518

Lorsque la règle interdisant les condamnations multiples trouve application, le tribunal ordonne une suspension conditionnelle des procédures sur le chef le moins grave.

[7] Le juge de la Cour du Québec rejette les prétentions du ministère public, reçoit le plaidoyer de culpabilité sur le premier chef, déclare l’appelant coupable de ce chef et le condamne à une amende de 1 000 $, les frais et la suramende compensatoire, confisque son permis de conduire et prononce une interdiction pour un an de conduite d’un véhicule moteur sur la voie publique, sous réserve des dispositions sur l’éthylomètre, s’il s’y qualifie. Le juge fixe ensuite le procès sur le deuxième chef d’accusation.

[13] En 1974, la règle interdisant les condamnations multiples est énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Kienapple[5]. Cette règle interdit qu’un individu soit déclaré coupable de deux infractions qui, bien que théoriquement différentes à la lecture des accusations, comportent des éléments déterminants qui se recoupent et visent en fait des comportements essentiellement identiques[6]. Lorsque la règle trouve application, le tribunal ordonne une suspension conditionnelle des procédures sur le chef le moins grave[7].

[17] La Cour suprême du Canada infirme l’arrêt de la Cour qui confirmait le jugement de première instance, étant en désaccord avec cette façon de procéder. Elle énonce dans Loyer qu’un accusé inculpé sous deux ou plusieurs chefs d’accusation de gravité différente ne peut éviter une condamnation plus sévère en plaidant coupable sous l’inculpation la moins grave et en invoquant ensuite la règle de l’arrêt Kienapple. Elle énonce, sous la plume du juge en chef Laskin, la marche à suivre dans des circonstances semblables[13] :

[…]      L’arrêt Kienapple ne signifie pas qu’un accusé qui, d’après la preuve, serait trouvé coupable sur deux chefs (comme en l’espèce) peut éviter la condamnation la plus sévère en plaidant tout simplement coupable de l’infraction la moins grave, si ce plaidoyer est accepté. Cette affaire nous offre l’occasion de préciser de quelle manière et dans quels cas les tribunaux peuvent recourir au principe établi par l’arrêt Kienapple.

Lorsqu’au procès devant un juge seul ou devant un juge avec jury, il y a deux ou plusieurs chefs d’accusation d’infractions de gravité différente et que le même délit ou la même chose sert de fondement à deux des chefs d’accusation, il convient d’appliquer la règle à l’encontre des condamnations multiples. Le juge du procès doit alors se dire, ou dire au jury, que s’il trouve l’accusé coupable sur l’inculpation la plus grave, il doit l’acquitter de la moins grave; mais s’il l’acquitte de l’inculpation la plus grave, il doit se pencher sur la question de la culpabilité sur l’inculpation la moins grave et rendre un verdict au fond.

De même si, au procès, il y a un plaidoyer de culpabilité sur l’inculpation la plus grave et inscription de la condamnation, il faut prononcer un acquittement sur l’inculpation la moins grave ou donner une directive à cet effet. Toutefois si, comme en l’espèce, l’accusé plaide coupable sur l’inculpation la moins grave, il faut remettre la décision sur le plaidoyer en attendant le procès sur l’infraction la plus grave. Si l’accusé en est déclaré coupable et qu’une condamnation est alors prononcée, le plaidoyer déjà offert sur l’inculpation la moins grave doit être radié et un acquittement ordonné[14].

[Soulignement ajouté]

[18] L’appelant ne s’attaque pas au principe de l’arrêt Kienapple ni aux enseignements de l’arrêt Loyer. Il soutient plutôt que ce principe et ces enseignements ne s’appliquent pas dans son cas.

[19] Dans un premier temps, il avance que l’infraction de conduite avec capacités affaiblies et celle de conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à 80 mg par 100 ml de sang sont distinctes, l’une n’étant pas une infraction moindre et incluse à l’autre, laissant ainsi entendre que l’arrêt Loyer ne pourrait s’appliquer. Dans un second temps, il ajoute que ces deux infractions sont assorties de peines dont la gravité est la même, ce qui exclurait là aussi l’application de l’arrêt Loyer.

[23] Quant à l’argument fondé sur la gravité des peines en cause, il faut se référer au Code criminel pour en décider. Ainsi, bien que les peines énoncées au par. 320.19(1) C.cr. soient identiques pour les deux types d’infractions, le par.  320.19(3) C.cr. prévoit une peine minimale plus sévère pour l’infraction de conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à la limite prescrite lorsque le taux d’alcoolémie est égal ou supérieur à 120 mg par 100 ml de sang et encore plus sévère lorsque ce taux est égal ou supérieur à 160 mg par 100 ml de sang. En stipulant des peines minimales plus importantes selon l’intensité du taux d’alcoolémie, le Parlement insiste sur la gravité objective accrue de l’infraction.

[24] Il n’y a pas non plus lieu de retenir la prétention de l’appelant fondée sur l’al. 320.22e) C.cr. Cette disposition du Code criminel prévoit qu’aux fins de déterminer la peine à infliger à l’égard des infractions prévues aux articles 320.13à 320.18 C.cr. (qui comprennent notamment l’infraction de conduite avec capacités affaiblies et celle de conduite avec une alcoolémie supérieure à la norme prescrite), le tribunal tient compte, comme circonstance aggravante, de l’alcoolémie du contrevenant lorsque celle-ci est égale ou supérieure à 120 mg d’alcool par 100 ml de sang. Selon l’appelant, il y aurait ainsi équivalence entre les peines minimales énoncées au par. 320.19(3) C.cr. et la peine applicable lors d’une infraction de conduite avec facultés affaiblies lorsque le ministère public peut démontrer que le taux d’alcoolémie lors de cette infraction dépasse 12 mg d’alcool par 100 ml de sang ou, selon le cas, 16 mg d’alcool par 100 ml de sang.

[25] Or, il existe des différences conceptuelles et juridiques importantes entre une peine minimale et une circonstance aggravante servant à établir une peine. La peine minimale lie le tribunal alors qu’une circonstance aggravante est l’un des facteurs que le tribunal tient en compte dans l’exercice de sa discrétion afin de déterminer la peine applicable. Une circonstance aggravante n’équivaut donc pas à une peine minimale, ni au plan conceptuel ni au plan juridique.

[26] Les principes de l’arrêt Loyer s’appliquent donc en l’espèce.