R. c. Lamoureux, 2017 QCCQ 4430

 

L’accusé avait-il l’intention ou la volonté de refuser fournir un échantillon d’haleine au moyen d’un alcootest approuvé?

 

[23]        L’accusation portée contre l’accusé se trouve à l’article 254 (5) du Code criminel.  Les éléments essentiels de cette infraction sont un ordre valide, donné conformément à la loi, un refus ou une omission de l’accusé de s’y conformer et enfin, la preuve que l’accusé désirait ou souhaitait refuser.  Ces éléments doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable par le Ministère public.  S’il y parvient, l’accusé peut encore empêcher sa condamnation en prouvant de façon prépondérante qu’il avait une excuse raisonnable[1].

[24]        Il n’y a pas de contestation dans le dossier relativement à la validité de l’ordre donné ou quant à l’omission ou au refus de l’accusé de fournir un échantillon valide, suffisant pour l’analyse de son haleine.

[25]        Ce qui reste à déterminer a deux volets : le premier est à savoir si l’accusé avait l’intention, la volonté de refuser de souffler, d’abord, ou ensuite, subsidiairement, s’il dispose d’une excuse raisonnable pour ne pas avoir fourni l’échantillon d’haleine requis.

[26]        Dans bien des cas, l’intention requise reliée à un crime est présumée, non pas légalement, ni par la loi elle-même, mais tout simplement par le bon sens.  On peut, par exemple, supposer qu’en général, les personnes qui posent un geste alors qu’elles semblent éveillées et en état normal désirent les conséquences naturelles de leurs actes.  Une personne qui en frappe une autre avec le poing, en général sera présumée avoir volontairement frappé cette personne.

[27]        Il faut évidemment convenir qu’on ignore généralement le contenu des pensées des autres, si ce n’est qu’elles expriment concurremment à leurs actions, cette intention.  Si donc, le Ministère public conserve toujours l’obligation de prouver hors de tout doute raisonnable à la fois le geste ou l’acte matériel posé, de même que l’intention coupable qui s’y attache, la preuve de l’intention sera pratiquement toujours circonstancielle.

[28]        Ici, la preuve, du moins celle du Ministère public, constituée du témoignage de 3 citoyens et d’un policier, n’indique rien d’autre que le comportement d’une personne ivre, du moins en partie, plutôt nonchalante et qui préférerait régler les conséquences d’un accrochage sans les policiers.  Au contraire, rien n’indique que l’accusé est dans un état de crise si sérieux qu’il envisage même qu’il soit sur le point de mourir.

[29]        En effet, le témoignage de l’accusé, à propos de sa condition, indique que dès les premiers symptômes dans le bar, il craint être à faire une crise cardiaque.  Quelqu’un lui en parle, dit-il.  Il se rend à la salle de bain et vomit, ce qui encore une fois, si je retiens son témoignage, serait un autre élément qui contribuerait à sa croyance suivant laquelle il a une attaque cardiaque.

[30]        Il ne se sent aucunement rassuré, ni mieux, mais décide pourtant de sortir dehors, pressé de quitter avec son véhicule.  Pourquoi ne pas se rendre à l’hôpital?  Son explication est bien étrange, à savoir qu’il craindrait de ne pas être pris au sérieux ou de devoir attendre exagérément.

[31]        Il indique, à plus d’une reprise, mais je n’arrive pas à en saisir véritablement la pertinence, qu’il conduit lentement en gardant une main sur le frein à main.  Il prétend que ce faisant, il serait mieux en mesure de réagir et d’immobiliser son véhicule, si sa crise s’accentue.  Je considère difficile à comprendre, voire peu logique que l’accusé croit qu’il serait plus facile pour lui d’arrêter son véhicule avec une main qu’avec son pied.

[32]        Quoiqu’il en soit, c’est exactement ce qui arrive.  Il a un accrochage, n’ayant pas pu immobiliser à temps son véhicule malgré cette étrange précaution.  Or, selon sa version, il rentre dans son édifice à logements, monte trois étages et va s’asperger le visage d’eau avant de redescendre sur les lieux de l’accident.  Et cela toujours alors qu’il pense être à faire une crise cardiaque.

[33]        Plus tard, au cours de son interaction avec le policier, il affirme ne pas être en mesure de parler ou limiter au minimum les paroles qu’il prononce.  Encore une fois, ne niant pas avoir prononcé les paroles qui lui sont attribuées, on peine à comprendre pourquoi il réussit à dire des mots incriminants et ne réussit pas à prononcer des paroles disculpatoires.

[34]        Finalement, dans l’autopatrouille, alors qu’il y est confiné, que le policier rédige ses notes et prépare les documents à lui remette, l’accusé dit se sentir mourir, s’écrouler sur le siège arrière, mais dans un sursaut d’énergie, capter une bouffée d’air de l’avant du véhicule.  Il prétend que le policier, trop attentif à son travail, n’aurait rien remarqué.

[35]        Il ne nie toutefois pas avoir prononcé les paroles alléguées par le policier, par exemple, à 19 h 49, vers la fin de l’opération.  Pourquoi le policier, s’il est si concentré sur son travail, aurait manqué cet épisode où l’accusé croyait mourir dans sa voiture, alors qu’il rapporte correctement des paroles somme toute assez banales prononcées plus tard?

[36]        Personne parmi les témoins entendus, sauf l’accusé, ne rapporte de comportements qui soient compatibles avec une personne en détresse, au contraire, les témoins entendus rapportent quelqu’un de plutôt nonchalant, qui ne se plaint pas de problèmes de santé.

[37]        La preuve de sa visite à l’hôpital de Granby n’est pas très convaincante non plus.  D’abord, il est clair qu’aucun médecin n’a conclu que l’accusé souffrait d’autre chose que de brûlements d’estomac. Ensuite, le récit des événements qui s’y retrouve, y compris de l’interaction avec la police, provient entièrement des paroles de l’accusé, de son récit personnel.  Aucun membre du personnel médical ne l’a vu le 3, le 4, le 5 ou le 6 janvier.

[38]        Je note par contre que l’accusé aurait dit au médecin avoir consommé trois bières et un shooter, ce qui est davantage que ce qu’il a dit au policier d’une part et d’autre part, bien davantage que ce qu’il a affirmé à l’occasion de son témoignage.  En effet, je ne vois aucun intérêt à ce qu’une personne mentionne à un médecin, quant à sa condition médicale ou à sa santé, que des personnes lui ont acheté des consommations qu’il n’a, en définitive, à peine goûter.

[39]        Je suis en conséquence incapable de croire l’accusé et ne retient pas son témoignage.  Ses gestes avec les policiers aux quatre occasions qui lui ont été données de fournir des échantillons d’haleine témoignent d’un refus volontaire de se conformer à l’ordre.

[40]        Ceci étant, peut-on considérer subsidiairement, que son « incapacité » alléguée de souffler constitue une excuse raisonnable?  Dans l’hypothèse où, comme je le fais, je considère que l’accusé a volontairement fait défaut de fournir l’échantillon, la question d’une possible incapacité de souffler ne se pose pas.  L’absence de souffle provient d’un geste conscient et volontaire de l’accusé, de son choix de ne pas se conformer à l’ordre valide reçu.

[41]        Enfin, je le répète, je ne crois pas l’accusé.  Même dans l’hypothèse, que je ne retiens pas, par laquelle l’accusé aurait véritablement tenté de souffler, mais en aurait été incapable, comment alors se fait-il qu’il soit capable de monter les trois étages pour se rendre à son appartement et ensuite courir vers son immeuble après l’intervention policière? Il n’y a pas non plus de preuve médicale quelconque qui accrédite un problème ou une difficulté pulmonaire pour Michel Lamoureux.

[42]        En conséquence, tous les éléments essentiels de l’infraction sont établis et pour ces motifs, l’accusé est déclaré COUPABLE de l’accusation telle que reprochée.