Legault c. R., 2017 QCCA 1769

Les principes applicables au droit au silence sont intimement liés à la règle des confessions, de sorte que les principes de Singh s’appliquent, ce qui inclut le droit pour la police d’interroger le détenu malgré qu’il ait invoqué son droit au silence et le droit du détenu de changer d’avis et de parler.

[1]           L’appelant se pourvoit contre un verdict de culpabilité à une accusation de meurtre au premier degré.

[2]           Il ne remet pas en question les directives de la juge au jury. Il n’attaque que le jugement déclarant admissible une longue déclaration vidéo qu’il a faite à la police.

[3]           À cet égard, il ne fait état d’aucune erreur de droit. Il reproche seulement à la juge de ne pas avoir tenu compte de tout le contexte de la déclaration, ce qui l’aurait menée à la rejeter en raison du climat d’oppression qui prévalait. Il s’agirait donc d’une déclaration obtenue contrairement à la règle de common law (libre, volontaire, issue d’un esprit conscient). Or, en l’absence d’erreur de droit, il y a lieu à déférence de la part d’une cour d’appel et il faut donc rechercher une erreur de fait manifeste et déterminante : (R. c. Oickle, 2000 CSC 38 (CanLII)). Or, il n’y en a pas, de sorte que l’appel doit être rejeté.

[4]           Il y a oppression si « les policiers créent des conditions suffisamment désagréables » pour que le détenu fasse une déclaration « induite par stress pour échapper à ces conditions » : Oickle, paragr. 58. Parmi ces conditions, notons : « le fait de priver le suspect de nourriture, de vêtements, d’eau, de sommeil ou de soins médicaux, de lui refuser l’accès à un avocat et de l’interroger de façon excessivement agressive pendant une période prolongée » : Oickle, paragr. 60. Les circonstances de la détention de l’appelant, qui est enregistrée sur bande vidéo, ne démontrent aucune oppression, ce qu’a conclu à bon droit la juge de première instance, après avoir tenu compte de l’ensemble de ces circonstances.

[5]           Le policier est d’une grande politesse, serein, et répète à plusieurs reprises que l’appelant n’est pas obligé de parler et qu’il n’en tirera aucun avantage s’il le fait. Par contre, et c’est le reproche principal, il continue l’interrogatoire (qui dure plus de trois heures) bien que l’appelant invoque son droit au silence à 22 reprises. Selon le témoignage de l’appelant, celui-ci n’aurait parlé que parce que c’était la seule façon de mettre fin à l’interrogatoire. Ainsi, il aurait dit au policier ce que ce dernier voulait entendre pour que « ça finisse ».  Pourtant, comme l’écrit la juge de première instance dans son jugement, cette affirmation est contraire à la déclaration.

[6]           L’appelant ne nie pas l’homicide, qui a été perpétré à l’occasion d’une transaction de drogue (il agissait comme intermédiaire entre le fournisseur et l’acheteur) et où la victime, qui venait faire un achat d’environ 7 000 $, a été assassinée et dépouillée de son argent. Le tout a été filmé en grande partie par les caméras de surveillance du lieu de travail de l’appelant, là où devait avoir lieu la transaction. D’ailleurs, l’événement a toutes les apparences d’un guet-apens, d’autant que le fournisseur de l’appelant, son employeur, déclare qu’il ne lui a pas fourni de drogue ce jour-là. Si le fournisseur n’a pas remis de drogue à l’appelant, tous les messages texte entre l’appelant et la victime qui ont mené à la rencontre ne servaient qu’à attirer celle-ci avec son argent sous un faux prétexte.

[7]           C’est après que le policier lui ait fait visionner les vidéos que l’appelant cesse d’invoquer son droit au silence et admet l’homicide de même que la préméditation, ce qui est incompatible avec l’argument de l’effondrement psychologique causé par le climat d’oppression. En d’autres mots, comme l’écrit la juge, l’appelant a changé son discours à compter du moment où il a compris qu’il ne pouvait s’en sortir et il a alors décidé, librement, de parler. D’ailleurs, contrairement à ce qu’il affirme en témoignant, il ne dit pas au policier ce que ce dernier veut entendre. Par exemple, le policier lui suggère que ce pourrait être un geste spontané (ce qui serait à l’avantage de l’appelant), mais l’appelant dit plutôt que ce fut un geste prémédité.

[8]           En témoignant, l’appelant nie l’intention et la préméditation, expliquant que ses gestes ont été posés à la suite d’un « déclic » inexplicable, suivi d’un « black-out » complet qui a pu s’étaler jusqu’à deux jours, ce qui paraît incompatible avec la preuve, étant donné qu’il a nettoyé avec précaution les lieux à l’aide d’un boyau d’arrosage (34 coups de couteau ont été assénés), a placé le corps dans le coffre de la voiture de la victime, l’a volée, est allé le porter quelques kilomètres plus loin, a jeté le cellulaire dans le caniveau, avant de rencontrer un ami pour lui rembourser une dette, de rentrer chez lui et d’aller au restaurant avec sa conjointe.

[9]           En réalité, tout en affirmant contester le caractère volontaire de la déclaration, c’est plutôt son droit au silence que l’appelant met en cause dans son exposé. Or, rappelons que, selon la majorité dans R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, 2007 CSC 48 (CanLII), paragr. 6, 7, 43 à 45, et 47 à 52, malgré le droit au silence, la police peut, à bon droit, continuer d’interroger un détenu qui soulève ce droit au silence; tout est affaire de contexte (paragr. 51). Dans cette affaire, c’est à 18 reprises qu’il l’avait fait. Et comme dans le présent dossier, le policier a confirmé à Singh qu’il avait le droit de ne pas parler, tout en lui exposant ensuite la preuve qu’il possédait, avant de continuer l’interrogatoire.

[10]        Il est vrai que, dans Singh, le caractère volontaire de la déclaration était admis, mais cela ne rend pas inapplicables les principes retenus par la majorité à propos du droit au silence. Au contraire, la juge Charron écrit :

23 Puisque l’existence du caractère volontaire est reconnue, la portée de la règle des confessions en common law et son application aux faits de la présente affaire ne sont pas, à proprement parler, en cause dans le présent pourvoi.  Une question est toutefois soulevée au sujet de l’interaction entre la règle des confessions et le droit de garder le silence garanti par la Charte.  Plus précisément, M. Singh soutient que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en affirmant, au par. 19, que [traduction] « [d]ans le contexte d’un interrogatoire d’enquête mené par une personne qui est de toute évidence en situation d’autorité, il se peut que l’interprétation large de la règle des confessions dans l’arrêt Oickle laisse peu de place additionnelle à l’art. 7, mais un critère d’admissibilité à deux volets n’a aucune utilité particulière. »  Il devient donc nécessaire d’examiner les divers éléments de la règle des confessions pour en déterminer le lien avec le droit de garder le silence.

24 Comme nous le verrons, il existe un recoupement important entre l’examen du caractère volontaire et l’examen d’une allégation d’atteinte au droit de garder le silence effectué en vertu de l’art. 7 de la Charte.  Cela n’a rien d’étonnant.  Premièrement, le droit de garder le silence n’est pas un concept qui s’est formé avec l’avènement de la Charte.  Il existait déjà depuis longtemps avant la Charte et était compris dans la règle des confessions reconnue en common law.  Deuxièmement, la reconnaissance par notre Cour, dans l’arrêt Hebert, de la protection résiduelle accordée par l’art. 7 de la Charte au droit de garder le silence avant le procès reposait en grande partie sur la règle des confessions et la portée de la protection qu’elle offre au droit d’un individu de choisir de parler ou non aux autorités.  Troisièmement, la reformulation large de la règle des confessions par notre Cour dans l’arrêt Oickle était, par ailleurs, largement fondée sur un examen des principes de la Charte, y compris le droit de garder le silence défini dans l’arrêt Hebert.

[Soulignements ajoutés.]

[11]        En somme, la règle des confessions est pertinente, de même que le droit au silence, quel que soit l’angle d’attaque de l’appelant. Or, la règle de common law autorise le comportement policier comme celui en l’espèce :

28        Ce que la common law reconnaît, c’est le droit d’un individu de garder le silence.  Toutefois, cela ne signifie pas que quelqu’un a le droit de ne pas se faire adresser la parole par les autorités de l’État.  On ne saurait douter de l’importance que l’interrogatoire revêt dans le travail d’enquête des policiers.  On comprendra aisément qu’il serait difficile pour la police d’enquêter sur un crime sans poser de questions aux personnes qui, selon elle, sont susceptibles de lui fournir des renseignements utiles.  La personne soupçonnée d’avoir commis le crime à l’origine de l’enquête ne fait pas exception.  Du reste, s’il a effectivement commis le crime, le suspect est vraisemblablement la personne ayant le plus de renseignements à fournir au sujet de l’épisode en question.  La common law reconnaît donc aussi l’importance de l’interrogatoire policier dans les enquêtes criminelles.

34        Il ressort de ce qui précède que, lorsque la Charte est entrée en vigueur en 1982, le droit de garder le silence, en tant que facette du principe interdisant l’auto incrimination, faisait déjà vraiment partie de la règle des confessions reconnue en common law.  Toute incertitude qui pouvait subsister quant à savoir si la règle des confessions englobait le droit de garder le silence a été clairement dissipée par notre Cour dans l’arrêt Hebert. Celle-ci a reconnu que le droit de garder le silence faisait partie des « préceptes fondamentaux de notre système juridique » et avait en conséquence été constitutionnalisé en vertu de l’art. 7 (p. 162 163).  Pour définir la portée du droit de garder le silence garanti par la Charte, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) s’est fondée dans une large mesure sur des règles de common law connexes, dont la règle des confessions.  En examinant la portée de la règle des confessions reconnue en common law, elle a expliqué (p. 166-167) que deux thèmes constants ressortaient de la jurisprudence relative aux confessions.  Le premier concernait l’usage du libre arbitre dans le choix de parler à la police ou de garder le silence, et le second, l’assurance que la réception de la déclaration contestée ne créerait pas une iniquité ou ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Ensuite, elle a expliqué comment cette notion plus large de la règle fait partie de notre conception fondamentale de l’équité procédurale et comment elle reflète le point de vue selon lequel la raison d’être de la règle des confessions « va au-delà de l’exclusion des déclarations non dignes de foi pour s’étendre aux questions de savoir si la réception de la déclaration sera inéquitable ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (p. 167).  Après avoir fait cet historique de la règle des confessions, la juge McLachlin s’est demandé si cette notion plus large du caractère volontaire « devrait prévaloir après l’adoption de la Charte » (p. 173), pour conclure qu’elle le devrait.

[Soulignements ajoutés.]

[12]        Bref, les principes applicables au droit au silence sont intimement liés à la règle de common law, de sorte que les principes de Singh s’appliquent  en l’espèce, ce qui inclut le droit pour la police d’interroger le détenu malgré qu’il ait invoqué son droit au silence et le droit du détenu de changer d’avis et de parler :

43        Non seulement l’approche préconisée par M. Singh ne tient-elle pas compte des intérêts de l’État qui sont en jeu — point sur lequel je reviendrai plus loin —, mais encore elle déborde la protection accordée à la liberté de choix de l’individu tant par la common law que par la Charte.  Le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit est expressément prévu par la Charte.  Aucune disposition analogue n’y figure en ce qui a trait au droit de garder le silence.  Le juge Hackett a très bien expliqué la raison de cette différence :

[TRADUCTION]  Même si le droit à l’assistance d’un avocat et celui de garder le silence ont la même importance, cela ne signifie pas qu’ils seront protégés de la manière indiquée dans la décision Guimond.  De par sa nature même, le droit de garder le silence s’exerce d’une façon différente du droit à l’assistance d’un avocat et, à cet égard, le droit de garder le silence et celui de recourir à l’assistance d’un avocat diffèrent.  L’exercice du droit de garder le silence dépend de la volonté de l’accusé qui est dans un état d’esprit conscient et qui est pleinement informé de ses droits, pourvu que le comportement des autorités ne le prive pas de sa capacité de choisir.  Par contre, l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat ne dépend pas de la seule volonté de l’accusé qui est détenu.  Il doit en effet être facilité par la police.  Par conséquent, il est clair que la police ne peut pas continuer à interroger un accusé qui invoque son droit à l’assistance d’un avocat tant qu’elle ne l’a pas aidé à exercer ce droit.  L’obligation de « surseoir » dans le cas du droit à l’assistance d’un avocat n’est donc pas nécessaire dans le cas du droit de garder le silence, parce que le droit reconnaît le libre arbitre de l’accusé et sa capacité de changer d’avis quant à savoir s’il parlera ou non à la police.  Ce changement d’avis peut se produire soit pour des raisons personnelles, soit à la suite d’une persuasion policière qui ne viole pas les principes de justice fondamentale et n’empêche pas l’accusé de choisir. (R. c. C.G., [2004] O.J. No. 229 (QL) (C.J.), par. 93)

[13]        Dans les circonstances de l’espèce, le résultat ici doit être le même que dans Singh :

49        Comme nous l’avons vu, M. Singh conteste seulement l’examen par le juge du procès de la question de savoir si la police a respecté son droit constitutionnel de garder le silence.  Bien qu’il avance son argument dans le cadre de sa demande fondée sur l’art. 7 de la Charte, cela est sans importance puisque, comme je l’ai expliqué, le critère fonctionnel applicable en vertu de la règle des confessions est le même.  L’argument de M. Singh ne tient pas la route du fait qu’il est entièrement fondé sur une conception large et erronée de la portée du droit de garder le silence garanti par la Charte, conception qui, pour les raisons déjà indiquées, n’est aucunement appuyée par le droit canadien.  Contrairement à ce qu’on prétend, les tribunaux d’instance inférieure n’ont commis aucune erreur dans leur interprétation de l’arrêt Hebert.

53        Là encore, il faut souligner que ces situations dépendent fortement des faits de chaque affaire et que le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si le ministère public a établi que la confession de l’accusé est volontaire.  Dans certains cas, la preuve permettra de conclure que la poursuite de l’interrogatoire de la police, malgré que l’accusé ait invoqué, à maintes reprises, son droit de garder le silence, a privé ce dernier de la possibilité de faire un choix utile de parler ou de garder le silence : voir l’arrêt Otis.  Le nombre de fois que l’accusé invoque son droit de garder le silence entre dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances, mais il n’est pas déterminant en soi.  En définitive, la question est de savoir si l’accusé a usé de son libre arbitre en choisissant de faire une déclaration : Otis, par. 50 et 54.

[Soulignements ajoutés.]

[14]        La juge a conclu que l’appelant a usé de son libre arbitre et a donc décidé volontairement, sans oppression, de se confier au policier. L’appelant ne démontre pas d’erreur dans cette conclusion.