Martinbeault c. R., 2022 QCCA 902

Malgré l’importance et la fiabilité des éléments saisis, la gravité des violations des droits garantis par la Charte, l’incidence de telles violations et le risque réel que de telles violations se répètent, pour des raisons d’ordre administratif au surplus, justifient d’exclure la preuve.

[9] Le juge de première instance rejette la requête séance tenante et conclut que l’arrestation et les fouilles accessoires ne contreviennent pas aux droits du requérant. La détention était justifiée dans la mesure où il n’était pas possible pour le requérant de payer l’amende due ou de signer un engagement à comparaître sur place. Le juge estime qu’il ne lui revient pas d’ordonner à la branche exécutive du gouvernement d’engager des frais pour munir les véhicules de patrouille de l’équipement nécessaire à l’exécution d’un mandat percepteur. Dans ces circonstances, la détention du requérant pour le temps requis afin d’assurer son transport au Centre de détention n’est pas déraisonnable, et les policiers étaient justifiés de procéder à une fouille par palpation pour des motifs de sécurité. Il rejette donc la requête en exclusion de la preuve en concluant qu’il n’y a pas eu d’atteinte aux droits fondamentaux du requérant. Compte tenu de cette conclusion, le juge ne procède pas à l’analyse sous l’article 24 (2) de la Charte[4].

[14] En appel, l’intimée concède, à juste titre, que le juge de première instance commet une erreur de droit en concluant à l’absence de violation. La méconnaissance par les policiers du cadre législatif prévu aux articles 324 et 325C.p.p. et le fait qu’ils estiment être dans l’obligation d’arrêter une personne visée par un mandat percepteur afin de l’amener au Centre de détention plutôt que de le libérer sur simple engagement de comparaître est problématique. Cette question sera abordée plus en détail dans le cadre de l’analyse de l’admissibilité de la preuve. Retenons que la détention du requérant dans les circonstances outrepasse le cadre législatif prévu à l’article 324 C.p.p et constitue une violation de l’article 9 de la Charte.

[15] L’intimée reconnaît par le fait même le caractère abusif de la fouille par palpation qui découle de la détention initiale. Elle ajoute cependant que, n’eût été l’illégalité de la détention, le policier était justifié, pour des raisons de sécurité, de procéder à une telle fouille avant d’installer le requérant dans le véhicule de patrouille aux fins de transport vers le Centre de détention.

[16] En somme, comme concédé par l’intimée, et pour les motifs qui seront plus amplement détaillés dans le cadre de l’examen de la gravité des violations, la Cour conclut que le juge a commis une erreur révisable en concluant à l’absence de violation des droits constitutionnels du requérant.

[25]      Le requérant est intercepté en raison d’une contravention au Code de la sécurité routière. Une vérification au CRPQ révèle ensuite qu’il fait l’objet d’un mandat percepteur délivré par la Ville de Montréal pour une amende impayée.

[26]      Les policiers procèdent à son arrestation. Le requérant ne peut cependant être conduit immédiatement devant le percepteur des amendes puisque l’intervention se déroule un samedi.

[27]      Selon les principes énoncés aux articles 324 et 325 du C.p.p., sa détention aurait dû être de courte durée. En effet, ces articles prévoient :

324. Lorsque le défendeur est introuvable et qu’il n’a pas payé les sommes dues, le percepteur peut demander à un juge de décerner un mandat d’amener le défendeur devant le percepteur afin que celui-ci puisse recouvrer ces sommes conformément au présent chapitre.

 

Toutefois, lorsque le défendeur ne peut être conduit immédiatement devant le percepteur, celui qui procède à l’arrestation met le défendeur en liberté pourvu que celui-ci lui déclare son adresse, lui fournisse, si nécessaire, les renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude et s’engage à se présenter devant le percepteur à la date indiquée sur l’engagement; lorsque le défendeur refuse de se conformer à ces exigences, il est conduit devant le juge qui a décerné le mandat ou un juge ayant compétence pour le faire dans le même district ou devant un juge ayant compétence dans le district où le mandat a été exécuté. Si le défendeur persiste dans son refus, le juge lui impose une peine d’emprisonnement et délivre un mandat d’emprisonnement pour défaut de paiement des sommes dues.

 

 324. Where the defendant cannot be found and where he did not pay the sums due, the collector may, in order to recover the sums in accordance with this chapter, apply to the judge to issue a warrant to bring a defendant before the collector.

 

 

Where the defendant cannot be brought forthwith before the collector, the person who arrested him shall release him from custody providing he gives his address or, if necessary, any information confirming the accuracy thereof, and undertakes to appear before the collector on the day specified in the recognizance; where the defendant refuses to comply with these requirements, he shall be brought before the judge who issued the warrant or a judge having jurisdiction to issue such a warrant within the same judicial district or before a judge having jurisdiction in the judicial district where the warrant was executed. Where the defendant persists in his refusal, the judge shall order his imprisonment and issue a warrant of committal in default of payment of the sums due.

 

325. Le défendeur peut payer tout ou partie des sommes dues à la personne chargée de l’exécution du mandat d’amener. Celle-ci doit remettre au défendeur un reçu attestant le paiement et verser le montant payé au percepteur.

 

Le paiement de la totalité des sommes dues suspend l’exécution du mandat.

 

325. The defendant may pay the sums due in whole or in part to the person entrusted with the execution of the warrant to bring a defendant. Such person shall give a receipt to the defendant as evidence of payment and remit the amount paid to the collector.

 

Payment of the total amount due suspends execution of the warrant.

 

[Soulignements ajoutés]

[28]      L’objectif poursuivi par le législateur est de s’assurer que la personne faisant l’objet d’un mandat percepteur puisse être mise en liberté sans délai si elle ne peut être conduite immédiatement devant le percepteur des amendes ou payer les sommes dues. La mise en liberté exige simplement que la personne déclare son adresse, fournisse les renseignements confirmant l’exactitude de cette information et signe un engagement à comparaître devant le percepteur des amendes à la date indiquée. Cette option prévue par le législateur n’a pas été offerte au requérant.

[29]      La preuve démontre pourtant que le requérant collabore avec les policiers. Il n’est pas agressif. Il s’identifie, fournit son adresse et des pièces d’identité confirmant celle-ci. Les policiers estiment cependant ne pas être en mesure de le mettre en liberté, car ils sont incapables de vérifier le mandat, de lui préciser la nature de l’amende impayée et le montant de celle‑ci. Ils ne peuvent donc lui offrir de payer ce montant et ils ne disposent pas de l’équipement requis pour recevoir le paiement. Ils ne sont pas non plus en mesure de lui faire signer un engagement à comparaître.

[30]      La preuve administrée révèle que si l’interception était survenue un jour de semaine, les policiers auraient pu faire appel à une unité mobile qui serait venue sur place pour compléter les étapes administratives requises afin de libérer le requérant. Cette unité n’est toutefois pas disponible la fin de semaine.

[31]      Au surplus, le policier confirme, lors de son témoignage sur le voir-dire, ne pas être familier avec les principes énoncés aux articles 324 et 325 C.p.p., de sorte qu’il n’envisage aucune des alternatives qu’ils prévoient pour éviter au justiciable une détention indûment prolongée. Pour lui, la seule avenue possible consiste à amener le requérant au Centre de détention, ce qui implique de prolonger, de façon importante, la durée de la détention.

[32]      Le juge de première instance conclut :

Donc, en l’espèce, le Tribunal retient de la preuve que dans l’esprit du policier, celui-ci allait de toute façon et en tout état de cause détenir dans le véhicule policier le requérant. Et donc, la suite de l’intervention, que le policier ait pensé ou non au fourgon pour venir payer ou pas, change peu de choses.

Maintenant, le Tribunal considère qu’il n’est pas là pour imposer ou pour constater des violations en important comme contrepartie aux autorités publiques l’obligation de fournir du matériel spécifique en l’espèce, du matériel pour produire des engagements ou pour permettre le paiement dans les véhicules de patrouille.

Il n’appartient pas au judiciaire d’imposer à l’exécutif ce genre de dépenses ou encore de décréter des violations si les autorités municipales en l’espèce choisissent de pas équiper les véhicules de police de ce genre de facilités.

[33]      Or, s’il n’appartient pas au judiciaire de dicter aux autorités municipales la façon dont elles doivent procéder afin de respecter les volontés du législateur, il n’en demeure pas moins que le C.p.p. prévoit qu’une personne faisant l’objet d’un mandat percepteur doit être mise en liberté sans délai. Une vérification téléphonique du mandat et un simple formulaire d’engagement à comparaître auraient permis de satisfaire à cet objectif.  Le fait que les policiers estiment n’avoir d’autre choix que de détenir le requérant entraine une violation grave de ses droits et la dénonciation d’une telle violation relève de la mission des tribunaux.

[34]      Cette violation est d’autant plus importante lorsqu’elle a pour conséquence, comme c’est le cas ici, de soumettre automatiquement la personne détenue à une fouille par palpation. En effet, lors de son témoignage, le policier explique qu’avant d’asseoir le requérant dans son véhicule pour l’amener au Centre de détention, il procède par prudence, comme il le fait systématiquement, à une fouille par palpation.

[35]      L’illégalité de la détention emporte celle des fouilles qui s’en sont suivies. Ces fouilles, ainsi que la seconde arrestation qui s’en est suivie, sont ici inextricablement liées à la détention initiale. Cela étant, le fait que le requérant soit assujetti à une telle fouille systématique, alors que sa présence dans le véhicule de police se justifie uniquement par l’incapacité pour les policiers de respecter les exigences du C.p.p., ajoute à la gravité de la violation initiale et favorise l’exclusion de la preuve.

[38] Ces arguments ne peuvent être retenus. Si la détention du requérant sur le bord de la route en attendant la signature d’un engagement de comparaître aurait pu être considérée comme étant de courte durée, il en va autrement à partir du moment où son transport au Centre de détention est requis en raison de contraintes administratives. Tel que le rappelle la Cour suprême dans Harrison[14], le fait pour un automobiliste d’être arrêté et fouillé par un policier a « une incidence plus qu’anodine sur ses attentes légitimes en matière de liberté et de vie privée ».

[47] Les violations reprochées, qui découlent de la méconnaissance par les policiers de dispositions légales élémentaires encadrant l’exercice de leurs pouvoirs en l’espèce et de leur incapacité à mettre rapidement en liberté un citoyen faisant l’objet d’un mandat percepteur, et ce, contrairement aux exigences du Code de procédure pénale, doivent être dénoncées clairement, au risque, dans le cas contraire, qu’elles se répètent.

[48] D’autant plus qu’un mandat percepteur est susceptible d’être lancé dans une multitude de circonstances, incluant, comme c’est le cas en l’espèce, l’omission de payer une amende pour avoir promené un chien sans laisse. Tout citoyen risque de faire l’objet d’un tel mandat, que ce soit parce qu’il n’a pas reçu le constat d’infraction ou qu’il a oublié de le payer.

[49] Il apparaît contraire à une saine administration de la justice qu’une personne placée dans les mêmes circonstances que celles du requérant soit privée, pour des raisons administratives, de la possibilité de signer un engagement à comparaître et de son droit de payer l’amende et, ultimement, de sa liberté. Une personne raisonnable s’insurgerait en réalisant qu’elle s’expose à ce qu’une brève détention sur le bord de la route se transforme, dans ce contexte, en une arrestation avec transport au Centre de détention et qu’elle doive, au surplus, se soumettre une fouille par palpation. Au-delà de la perte de temps, de l’humiliation, de l’incertitude générée par cette procédure, un constat s’impose : le citoyen qui omet de payer une amende se trouverait assujetti aux mêmes inconvénients qu’une personne arrêtée pour une infraction plus sérieuse. Or, telle n’est clairement pas la volonté que le législateur a exprimée aux articles 324 et 325 C.p.p., lesquels prévoient au contraire des modalités pour assurer que la détention soit la plus courte possible.

[50] Malgré l’importance et la fiabilité des éléments saisis, la gravité des violations des droits garantis par la Charte, l’incidence de telles violations et le risque réel que de telles violations se répètent, pour des raisons d’ordre administratif au surplus, justifient d’exclure la preuve.

[51] Par ailleurs, puisque les éléments de preuve exclus constituaient l’essentiel de la preuve au soutien des accusations portées contre le requérant, il y a lieu d’inscrire un verdict d’acquittement plutôt que d’ordonner un nouveau procès.