J’écris ces lignes, car j’ai le goût de dénoncer quelque chose qui me révolte depuis le tout début de ma carrière…
Je mesure et je pèse mes mots. Le tarif d’aide juridique fait en sorte que les avocats ne peuvent pas travailler de façon déontologique, c’est-à-dire en faisant preuve de compétence et en défendant leur client avec vigueur, comme l’exigent la Cour suprême et la Constitution.
Le fait de payer 330 $ ou 550 $ à titre de somme forfaitaire pour l’ensemble d’un dossier ne fait plus de sens. La hausse récente du seuil d’admissibilité à l’aide juridique n’est qu’une illusion que plus de gens ont « accès à la Justice ». Cette illusion ne favorise que les gens qui désirent demeurer au pouvoir, mais laisse tomber totalement les gens du peuple.
Le problème actuellement est qu’aucun avocat ne peut piloter sérieusement un dossier d’importance sur un tarif aussi ridicule. S’il le fait, c’est par principe et non pas pour gagner sa vie et nourrir ses enfants. Il est évident que cela est contraire à la protection du public.
Un très grand nombre de personnes ont besoin d’être écoutées et qu’un avocat prenne le temps de bien les représenter. Évidemment qu’un avocat digne de cette profession accepte de temps à autre de représenter des gens pro bono lorsqu’il considère, et ressent une injustice. L’aide juridique ne doit bien sûr pas être réservée à cette catégorie de dossiers. Je le dis autrement pour que cela soit clair. Il y a des situations où aucun « tarif d’aide juridique » ne peut représenter des honoraires raisonnables pour l’avocat. Ce genre de dossiers est rarissime et ne doit pas fonder un changement. Il y a des dossiers où l’implication d’un avocat qui agit gratuitement est nécessaire et digne de la profession d’avocat.
Par contre, le problème actuellement est qu’à chaque fois qu’un avocat accepte de représenter avec intégrité professionnelle un accusé sur l’aide juridique, il fait un sacrifice. Il fait le sacrifice de gagner très peu d’argent et en plus, il s’enlève des opportunités de représenter d’autres clients. Sans compter toute la pression que certains dossiers génèrent et les difficultés que ceux-ci peuvent générer du point de vue personnel.
Je dis souvent que les avocats qui acceptent de piloter une affaire de manière intègre sur l’aide juridique le font non pas par profession, mais par vocation. Il est évidemment injuste de demander à tous les avocats d’exercer quotidiennement une vocation. La protection du public commande un changement. L’intérêt public commande que les avocats, qui ont des familles et des loisirs soient rémunérés de manière décente, et ce, pour que le justiciable soit bien représenté.
La majorité des gens faisant l’objet d’une accusation criminelle est admissible à l’aide juridique…
Je m’amuse à dire que plusieurs font de la saucisses avec tous ces êtres humains qui ont véritablement besoin d’être écoutés! Oui, de la saucisses, c’est la première image qui me vient en tête lorsque je pense à la hausse du seuil d’admissibilité à l’aide juridique…
Quiconque est intègre professionnellement sait qu’il y a un problème de fond. Voici ce que mes confrères du Saguenay mentionnent sur le sujet :
Voilà pourquoi le justiciable en paie le prix. L’avocat de pratique privé résonne généralement de la manière suivante. Soit il met pour 330 $ ou 550 $ de temps (au maximum) dans le dossier de celui qui le mandate ou soit il ne prend pas le dossier. Le premier cas de figure engendre des « pratiques à volume ». L’intérêt d’une pratique à volume est dans l’intérêt de l’avocat, mais pas de l’être humain qui retient les services de cet avocat. Rappelons ce que les étudiants du Barreau apprennent concernant le rôle de l’avocat en droit criminel (Collection de droit 2018-2019, Volume 1 – Éthique, déontologie et pratique professionnelle, Titre I – Les règles déontologiques, Chapitre VIII – L’éthique et la déontologie en droit criminel:
Enfin, il est essentiel de rappeler que les avocats ne doivent pas devenir des « spécialistes des plaidoyers de culpabilité ». L’exercice de la profession serait évidemment plus facile lorsque, d’une façon presque systématique, l’avocat enregistre pour ses clients des plaidoyers de culpabilité tout en tentant d’obtenir ce qui peut sembler être une « bonne sentence ». Semblable attitude fait fi du rôle essentiel de l’avocat dans notre système de droit criminel et porte l’avocat à démissionner devant ses responsabilités professionnelles et à abandonner son rôle de défenseur des droits de l’individu face à l’État. Cela ne signifie aucunement que l’avocat ne doit jamais suggérer à son client de reconnaître sa culpabilité à une accusation, mais avant d’envisager cette solution, il doit s’assurer que cette solution est la meilleure qui soit dans les circonstances.
Comme société, soyons conséquents et permettons véritablement au peuple d’accéder non seulement au « système », mais à cette vertu qu’est la Justice.
Donc s’il vous plaît, donnons accès à la Justice aux gens admissibles à l’aide juridique, soit un accès à un avocat payé pour préparer leur dossier.
Pour m’entendre sur le sujet, voir ci-dessous.
🎞🎥Des avocats payés sous le salaire minimum à l’aide juridique
La grogne prend de l’ampleur parmi les avocats en pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique. Ces mandats sont réservés aux moins nantis afin de leur permettre de faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Les tarifs octroyés par l’État québécois sont jugés » dérisoires » et nuiraient à l’accès à la justice.
Par Mathieu Dion.