L’interdiction obligatoire prévue à l’article 109 du Code criminel se rattache à un objectif de détermination de la peine reconnu, soit la protection du public et s’applique en cas d’absolution
[37] L’interdiction obligatoire prévue dans cette disposition « […] se rattache à un objectif de détermination de la peine reconnu, soit la protection du public et, en particulier, la protection des agents de police […] »[12]. À ce propos, la Cour suprême souligne ce qui suit :
[…] L’intérêt qu’a l’État à réduire l’utilisation abusive des armes est valable et important. Le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas accordé suffisamment d’importance au fait que la possession et l’utilisation d’armes à feu ne constitue pas un droit ou une liberté que garantit la Charte, mais un privilège. Il s’agit également d’une activité fortement réglementée, qui exige des propriétaires d’armes éventuels qu’ils obtiennent un permis avant de pouvoir légalement en acheter une. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31 (CanLII), notre Cour a statué que le fait d’assujettir les armes à feu à l’obtention d’un permis et à l’enregistrement constituait un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Si le législateur peut légitimement imposer des restrictions à la possession d’armes à feu au moyen d’une législation générale applicable à tous, il s’ensuit qu’il peut en interdire la possession à la suite d’une déclaration de culpabilité de certaines infractions criminelles s’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire […][13]
[38] Le préambule du projet de loi C-68 indique d’ailleurs qu’il prévoit « des mécanismes visant à interdire aux personnes ayant un comportement criminel d’avoir en leur possession des armes à feu[14]. » L’ordonnance prévue à l’article 109 C.cr. constitue l’une de ces mesures de protection. L’ordonnance s’impose compte tenu du « comportement criminel » adopté par celui contre qui elle est prononcée.
[39] Or, l’absolution, même inconditionnelle, n’élimine pas la culpabilité de l’accusé et son « comportement criminel ». Au contraire, l’absolution présuppose sa culpabilité et son comportement criminel[15]. Comme l’indique la Cour, « l’absence de condamnation ne fait donc pas disparaître rétroactivement le plaidoyer ou la reconnaissance de culpabilité, pas plus, d’ailleurs, que la réhabilitation (ou le pardon) n’anéantit rétroactivement la condamnation[16]. »
[40] La position avancée par l’appelant ne trouve d’ailleurs appui ni dans la jurisprudence ni dans la doctrine.
[41] Il est intéressant de noter que les tribunaux de première instance prononcent régulièrement de telles ordonnances lorsqu’ils accordent des absolutions inconditionnelles[17], quoique la question de savoir si une ordonnance d’interdiction doit être prononcée lors d’une absolution inconditionnelle n’ait pas été abordée.
[42] La Cour d’appel de l’Ontario semble également avoir implicitement conclu dans l’affaire Shia que l’article 109 C.cr. s’applique lorsqu’un accusé déclaré coupable d’une infraction qui y est énumérée est absout inconditionnellement[18]. Dans cette affaire, des policiers se présentent au domicile de l’accusé à la suite d’une plainte de violence conjugale. En arrivant sur les lieux, ils découvrent plusieurs plants de marijuana. L’accusé plaide coupable à une infraction de production de marijuana. Il obtient toutefois une absolution inconditionnelle[19].
[43] Même si le jugement ne comporte aucune ordonnance d’interdiction de posséder des armes à feu, la police refuse de lui rendre les armes qu’elle lui a confisquées lors de son intervention parce que « […] as a person found guilty of production of marijuana, he was prohibited from possessing firearms under s. 109 (1)c) »[20].
[44] L’affaire se retrouve devant les tribunaux. Commentant le contexte procédural du dossier, la Cour d’appel écrit :
The circumstances surrounding the offence charged are unremarkable. But the procedural history of the prosecution is littered with errors and omissions. An election of a mode of procedure that was unavailable. Faulty legal advice about the consequences of an absolute discharge on a charge of production of marijuana. Failure to make a mandatory firearms prohibition order. And insistence that such an order was in place.[21]
[Soulignements ajoutés]
[45] Elle souligne également que les parties ont fait une proposition commune d’absolution inconditionnelle, mais qu’elles n’ont fait aucune observation en lien avec l’article 109 C.cr :
[…] Neither reminded the presiding judge about the mandatory firearms prohibition under s. 109(1) (c) of the Criminal Code for anyone convicted or discharged of a production offence under s. 7(1) of the CDSA.[22]
[Soulignements ajoutés]
[46] Cette décision de la Cour d’appel de l’Ontario ne constitue pas une autorité, vu l’absence totale de discussion sur ce point, mais elle démontre néanmoins que la distinction avancée par l’appelant n’est pas évidente.
[47] D’ailleurs, les auteurs ne la font pas non plus.
[48] Clayton C. Ruby, dans son ouvrage portant sur l’imposition de la peine, mentionne simplement :
[…] section 109 sets out a mandatory prohibition applicable upon conviction or discharge in three circumstances […][23]
[49] De la même manière, Jean-Paul Perron note que l’article 109 C.cr. :
[…] prévoit l’obligation du tribunal qui déclare un délinquant coupable ou l’absout en vertu de l’article 730 C.cr. d’imposer, en plus de toute autre peine, une ordonnance interdisant au délinquant de posséder des armes à feu, s’il le déclare coupable ou l’absout soit d’un acte criminel punissable d’une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus, perpétré avec violence contre une personne, soit de certaines infractions relatives aux armes à feu, soit de certaines infractions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.[24]
[50] La professeure Hélène Dumont souligne quant à elle que :
[…] le tribunal, qui condamne une personne ou qui l’absout d’une infraction prévue […] doit en plus de toute peine imposée pour ce crime, rendre une ordonnance interdisant la possession d’une arme à feu, de munitions ou de substances explosives.[25]
[51] On ne peut davantage soutenir que l’ordonnance interdisant de posséder des armes prononcée en vertu de l’article 109 C.cr. équivaut à imposer une condition, ce qui est incompatible avec l’idée même d’une absolution inconditionnelle.
[52] L’article 730 C.cr. permet en effet d’absoudre inconditionnellement ou conditionnellement un accusé déclaré coupable. Dans la dernière éventualité, la violation des conditions imposées, qui participent d’une ordonnance de probation au terme du paragraphe 731(2) C.cr., peut entraîner l’annulation de l’absolution accordée.
[53] Une contravention à une ordonnance d’interdiction de posséder des armes prononcée en vertu de l’article 109 C.cr. peut, quant à elle, donner lieu à la sanction édictée à l’article 117.01 C.cr. Elle ne permet pas de révoquer ou d’autrement annuler l’absolution accordée. Ainsi, cette ordonnance interdisant de détenir des armes n’est pas une condition au sens de l’article 730 C.cr. et n’est pas incompatible avec l’octroi d’une absolution inconditionnelle.
[54] En conclusion, la Cour est d’avis que la distinction faite par l’appelant n’est pas justifiée et que sa proposition ne peut être retenue. L’ordonnance d’interdiction de posséder des armes doit être prononcée même lorsque l’accusé déclaré coupable bénéficie d’une absolution inconditionnelle.