Le projet de Loi C-2 modifiant le Code criminel relativement à la conduite avec les facultés affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue est en vigueur depuis le 2 juillet 2008. Quelle est la nature de cette loi? Dans quel contexte s’inscrit-elle? Que vise-t-elle à enrayer?
Dans le spectre de l’audition prévue à la Cour suprême du Canada le 13 octobre prochain (La Reine c. St-Onge-Lamoureux) visant à déterminer si les dispositions de la Loi C-2 sont constitutionnelles, je vous propose une série de trois articles : voici le premier.
Monsieur Toulemonde est au Resto du Coin depuis quelque temps déjà. Bien qu’il ait pris seulement quelques consommations, il croit être tout à fait capable de conduire son char. Et de toute façon, il demeure qu’à 5 minutes, argumente-t-il. Mais voilà qu’il croise un barrage routier. Et oups… après avoir considéré l’état d’ébriété de monsieur, l’agent de police le met en état d’arrestation de façon à pouvoir le conduire légalement au poste de police. Rendu au poste, on lui demande maintenant de souffler…
Entrons dans les détails maintenant :
Lorsque l’appareil d’alcootest capte l’air alvéolaire de M. Toulemonde, il indique le taux trouvé dans son haleine à ce moment précis. Pour que cette méthode soit efficace, le Code criminel met en place deux présomptions. Dans un premier temps, une présomption d’exactitude qui énonce que le relevé de l’alcootest fournit une mesure exacte de l’alcoolémie du sujet au moment de la prise d’haleine. Autrement dit, on accorde confiance au principe selon lequel l’analyse du taux d’alcool dans l’haleine prouve le taux d’alcool dans le sang; puis, on se fie à l’appareillage certifié de l’État pour bien rapporter ce taux. Dans un deuxième temps, une présomption d’identité selon laquelle l’alcoolémie du sujet au moment de la conduite (donc de l’infraction alléguée) correspondrait à celle enregistrée au moment de l’épreuve d’alcootest. Effectivement, l’inclusion de cette seconde présomption est absolument nécessaire à l’efficacité de cette technique, car ne l’oublions pas, l’alcootest ne rapporte que le taux d’alcool du sujet au moment du test et non celui présent au moment de l’infraction, i.e lors de la conduite.
Je vais me concentrer ici sur cette deuxième présomption en analysant un des moyens pour la réfuter, c’est-à-dire par la preuve selon laquelle l’accusé était, au moment de la prise d’haleine par l’alcootest, en période d’absorption et que, donc, son taux d’alcoolémie était nécessairement plus bas lors de la conduite que lors du test.
Le cas de la personne qui est en état d’absorption
Il existe certaines situations où l’accusé, ayant été en état d’absorption entre le moment de l’infraction et le moment de la prise d’haleine par l’alcootest, aura eu un taux d’alcoolémie au moment de la conduite qui ne pourrait, scientifiquement, avoir atteint le seuil de 0.08 (taux illégal). Normalement, la période d’absorption serait de 20 minutes; elle pourrait aller jusqu’à 60 minutes si la (ou les) consommation(s) a (ont) accompagné un gros repas[1]. Voyons maintenant un cas concret :
Au Resto du Coin, M. Toulemonde a pris un repas qui dura de 22 h 30 à 23 h 30; les consommations alcooliques ont été prises entre 23 h et 23 h 30. Monsieur a été arrêté alors qu’il conduisait à 23 h 40 (c’est à ce moment qu’aurait eu lieu l’infraction). Les échantillons d’haleine ont été pris à 23 h 55 et 00 h 10. Les résultats enregistrés ont été alors de 0.09 et 0.10 (alors que la limite permise est de 0.08).
On constate que le prévenu est dans la phase d’absorption. Il est donc fort probable que, lors de la conduite, son taux d’alcoolémie avait été beaucoup plus bas. Un expert (chimiste) pourrait alors établir l’exactitude de cette conclusion, dans le but de soulever un doute raisonnable dans l’esprit d’un juge et ainsi être acquitté (communément appelé la « défense du dernier verre »). Donc la preuve pourrait démontrer que le prévenu n’ait pas pu avoir une telle proportion d’alcool dans le sang au moment de la conduite. Encore une fois, cette façon de faire laisse la possibilité, dans certains cas, de soulever à titre de « preuve contraire » le fait que, scientifiquement, le suspect, en phase d’absorption, ne pût avoir eu, lors de la conduite, un taux d’alcoolémie équivalent ou supérieur à 0.08.
Alors, avant l’adoption de la loi C-2, la présomption d’identité pouvait être réfutée en démontrant que :
(1) l’accusé était en phase d’absorption lors de la conduite et;
(2) qu’il avait un taux inférieur à 0.08 à ce moment.
Maintenant, dans le prochain article, je traiterai de l’impact qu’a eu la Loi C-2 sur cette défense, et je traiterai également de la légalité d’un tel changement sur le plan constitutionnel.
[1] Pierre Patenaude, « Les nouveaux alinéas 258(1)c) et d) du Code criminel : problème de constitutionnalité? » (2008) 38 R.D.U.S. 577, à la p. 581.