R. c. Dorcely, 2018 QCCQ 7108

À l’ouverture de son procès, le requérant présente une requête demandant de déclarer que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives; son droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires et son droit, en cas d’arrestation, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit, droits prévus aux articles 8, 9 et 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, ont été violés. Il demande également d’écarter les éléments de preuve obtenus dans la foulée de ces violations en vertu de l’article 24(2) de cette même Charte.

 

ANALYSE

            Le droit : les articles 8 et 9

[52]        Les articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés se lisent comme suit:

« 8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

  1. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. »

[53]        Pour ne pas être abusive, une fouille, une perquisition ou une saisie doit être autorisée par une loi.

[54]        Pour ne pas être arbitraire, la détention doit également être autorisée par une loi.

[55]        Or, l’article 495(1) du Code criminel prévoit que :

« Un agent de la paix peut arrêter sans mandat :

  1. a) une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel (…) »

(soulignement ajouté)

[56]        L’article 254(3) du Code criminel prévoit également que :

« (3) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre ou a commis au cours des trois heures précédentes une infraction prévue à l’article 253 du Code criminel par suite d’absorption d’alcool peut, à condition de le faire dans les meilleurs délais, lui ordonner :

  1. a) de lui fournir dans les meilleurs délais les échantillons suivants :

(i)  soit les échantillons d’haleine qui, de l’avis d’un technicien qualifié, sont nécessaires à une analyse convenable permettant de déterminer son alcoolémie.

(ii)  (…)

  1. b) de le suivre, au besoin, pour que puissent être prélevés les échantillons de sang ou d’haleine. »

(soulignement ajouté)

[57]        Pour qu’un policier arrête une personne, il doit donc avoir des « motifs raisonnables » de croire que cette personne a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel.

[58]        Pour qu’un policier ordonne à une personne de lui fournir des échantillons d’haleine, il doit de même avoir « des motifs raisonnables de croire » que cette personne est en train de commettre ou a commis une infraction à l’article 253 du Code criminel au cours des trois heures précédentes.

[59]        C’est le même critère des « motifs raisonnables » qui s’applique dans les deux cas.

[60]        Afin d’aider le policier à acquérir de tels « motifs raisonnables », le législateur a prévu, à l’article 254(2) du Code criminel, la possibilité pour un policier qui entretient certains soupçons à l’égard d’un conducteur, soit de lui administrer des épreuves de coordination des mouvements, soit de lui ordonner de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un appareil de détection approuvé. Évidemment, l’usage de ces outils d’enquête par les policiers est facultatif et laissé à leur discrétion.

[61]        Le seuil des « motifs raisonnables » est évidemment plus élevé que celui des « soupçons raisonnables ». Cela dit, comme l’ont maintes fois dit les tribunaux supérieurs, le policier n’a pas à être convaincu hors de tout doute raisonnable de l’état d’ébriété du conducteur ni même avoir une preuve prima facie justifiant une déclaration de culpabilité.

[62]        Comme l’a dit la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Bouchard[20]  :

« Leurs motifs doivent toutefois être suffisants pour convaincre une personne raisonnable que l’individu est susceptible d’avoir commis l’infraction de conduite en état d’ébriété (more likely than not). Le seuil à franchir, à cette étape, est celui du poids des probabilités. »

[63]        Dans l’arrêt Shepherd[21], la Cour suprême du Canada a rappelé que :

« (…) la preuve de l’existence de motifs raisonnables comporte un élément subjectif et un élément objectif. Cela signifie que le policier doit croire sincèrement que le suspect a commis l’infraction prévue à l’article 253 du Code criminel, et que cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables ».

[64]        Dans l’arrêt Bernshaw[22], la Cour suprême avait déjà mentionné que :

« (…) c’est en fonction des circonstances de chaque cas qu’il faut décider si un agent de la paix a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre une infraction, le justifiant d’ordonner un alcootest en vertu du paragraphe 254(3) du Code criminel (…) ».

[65]        À maintes reprises, notamment dans l’arrêt Leblanc[23] puis dans l’arrêt Bouchard[24], la Cour d’appel du Québec a souligné qu’à cet égard, le juge de première instance doit considérer l’ensemble des symptômes observés par les agents de la paix et ne pas morceler la preuve pour analyser chaque symptôme isolément.

Le droit : l’article 10b)

[66]        L’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés se lit comme suit :

« Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

(…)

  1. b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit; »

[67]        Dans l’arrêt Sinclair, la Cour suprême reprend ainsi ce qu’elle avait déjà dit, notamment dans l’arrêt Manninen[25], quant à l’objet de cette disposition :

« [26] Le droit à l’assistance d’un avocat a pour objet de ‟ permettre à la personne détenue non seulement d’être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits ” (…) Il s’agit donc fondamentalement de faire en sorte que la décision du détenu de coopérer ou non à l’enquête soit à la fois libre et éclairée. (…) »[26]

[68]        La Cour suprême ajoute :

« [27] L’alinéa 10b) remplit son objet de deux façons. Premièrement, il exige que le détenu soit informé de son droit à l’assistance d’un avocat. C’est le volet informationnel. Deuxièmement, il exige que le détenu ait la possibilité d’exercer son droit de consulter un avocat. C’est le volet mise en application. L’inobservation de l’un ou l’autre de ces volets va à l’encontre de l’objet de l’al. 10b) et constitue une atteinte aux droits du détenu (…). Le deuxième volet comporte l’obligation pour la police de suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait eu une possibilité raisonnable de consulter un avocat. (…).»[27]

            [soulignements ajoutés]

[69]        Dans l’arrêt Taylor, reprenant notamment ce qu’elle avait déjà dit dans l’arrêt Suberu[28], la Cour suprême écrit ceci quant au moment où le volet informationnel et le volet mise en application doit prendre place :

« [24]  L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (…), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat.  Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. »[29]

[70]        Dès 1989, dans les arrêts Ross[30] et Black[31], la Cour suprême s’est penchée sur la notion de possibilité raisonnable et réelle de consulter un avocat, tout particulièrement l’avocat de son choix.

[71]        Plus récemment, en 2010, dans l’arrêt McCrimmon, elle a repris le tout très clairement de la façon suivante :

« [17]   (…) le droit à l’assistance de l’avocat de son choix est un aspect de la garantie de l’al. 10b) de la Charte. Lorsque le détenu choisit d’exercer le droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat en particulier, l’al. 10b) lui assure une possibilité raisonnable de communiquer avec l’avocat de son choix. Si l’avocat choisi n’est pas immédiatement disponible, le détenu a le droit de refuser de communiquer avec un autre avocat et d’attendre un délai raisonnable pour que l’avocat de son choix soit disponible. Dans la mesure où le détenu fait preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de ces droits, la police a l’obligation de suspendre les questions ou toute tentative de soutirer des éléments de preuve du détenu, jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de consulter l’avocat de son choix. Si l’avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable, le détenu est censé exercer son droit à l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l’obligation qui incombe à la police d’interrompre l’entretien est suspendue. (…)

[18]   Ce qui constitue un délai raisonnable dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de facteurs comme la gravité de l’accusation et l’urgence de l’enquête. (…) »[32]

[soulignement ajouté]

[…]

[99]        Après avoir soupesé la preuve présentée sur voir-dire, le Tribunal estime que l’agent Fyfe croyait subjectivement sincèrement que le requérant avait commis l’infraction prévue à l’article 253 du Code criminel.

[100]     De plus, à la lumière de tous les éléments mis en preuve – considérés dans leur ensemble – et en ayant à l’esprit les enseignements de la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Shepherd[38] et de la Cour d’appel du Québec, notamment dans les arrêts Beauchemin[39],Leblanc[40], Bouchard[41] et, plus récemment, Proulx[42], le Tribunal estime qu’au moment de procéder à l’arrestation du requérant, la croyance de l’agent Fyfe était objectivement raisonnable. L’ensemble des éléments permettait objectivement de dégager des motifs raisonnables permettant de procéder à l’arrestation du requérant et de lui donner l’ordre requis par la loi.

[101]     Cela étant, le Tribunal conclut donc que l’agent Fyfe s’est conformé aux conditions légales devant être remplies pour que l’arrestation et la demande d’alcootest soient valides.

[…]

[120]     De l’avis du Tribunal, à partir du moment où le requérant ne mentionnait pas le nom d’un avocat en particulier[48], l’agent Fyfe était tout à fait en droit de contacter le second service gratuit – le Service de garde du Barreau du Québec – vu l’absence de réponse et de retour d’appel du premier service gratuit – l’Aide juridique –.

[121]     Procéder ainsi ne dénaturait pas la demande formulée par le requérant.

[122]     Dans les circonstances du présent dossier, le Tribunal considère qu’il n’y a pas eu violation du droit à l’assistance d’un avocat.

[123]     À tout évènement, même si le Tribunal avait conclu à l’existence d’une violation du droit à l’assistance d’un avocat, il ne s’agit clairement pas d’un cas où il y aurait eu lieu d’exclure la preuve obtenue subséquemment parce que, eu égard aux circonstances, son utilisation aurait été susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[124]     REJETTE la requête.