La common law autorise un policier à procéder à une fouille face à un individu qui n’est ni détenu ni en état d’arrestation, s’il a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une menace imminente pour la sécurité du public ou des policiers.
[37] Or, selon le juge d’instance, tel n’est pas le critère retenu par les juges majoritaires dans MacDonald et « [v]u les faits retenus, le tribunal est obligé de suivre la majorité des juges de la Cour suprême dans MacDonald et conclure que la fouille est abusive puisqu’elle n’est pas basée sur des motifs raisonnables de croire que le sac contient une arme, seulement des motifs raisonnables de soupçonner »[12].
[38] Sur cet aspect, le juge a raison quant à la norme applicable pour l’intervention policière expliquée dans l’arrêt MacDonald[13]. En résumé, dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si la fouille d’une personne, qui n’était ni détenue ni en état d’arrestation, pouvait être effectuée par un policier. Ce dernier répondait à une plainte de bruit provenant d’un condominium. Croyant raisonnablement avoir aperçu une arme à feu dans les mains de MacDonald au moment où celui-ci a ouvert la porte, le policier a pénétré dans le condominium avec force afin de le désarmer. Analysant les critères de l’arrêt Waterfield[14], la Cour suprême, à la majorité, conclut que la common law autorise un policier à agir ainsi face à un individu qui n’est ni détenu ni en état d’arrestation, s’il a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une menace imminente pour la sécurité du public ou des policiers.
[39] Cela dit, le ministère public propose à la Cour d’adopter les motifs des juges minoritaires de l’arrêt MacDonald. Cette proposition doit être rejetée.
La fouille par palpation est toujours peu envahissante, par définition, mais les tribunaux n’ont pas autorisé, en droit, qu’elle soit exercée sans motif.
[59] Pour les mêmes raisons, l’ensemble des circonstances ne soutiennent pas davantage l’exercice d’une détention à des fins de protection du public en vertu du pouvoir général de détention issu de la common law[27]. Le policier ne disposait d’aucun renseignement sur le suspect ou sur un crime et rien dans la nature de la situation n’indiquait la présence d’une arme à feu; la détention de l’appelant n’était donc pas raisonnablement nécessaire pour protéger le public, non plus que la fouille qui a suivi[28].
[60] La nervosité, voire la transpiration, d’un individu qui attend passivement son constat d’infraction mais collabore néanmoins ne permet aucune conclusion. Le questionnement de l’appelant, qui fait face à un agent de police qui sort inopinément de son véhicule alors que tout se passe bien et qui s’approche de lui, sa nervosité, de même que sa réaction de serrer sa sacoche contre lui, des réactions du reste légitimes, ne peuvent donner naissance à des motifs raisonnables de soupçonner qu’il commet ou a commis une infraction criminelle[29] et encore moins qu’il est en possession d’une arme à feu, peu importe le poids que sa sacoche semble avoir.
[61] Au mieux, ce tableau peut générer une intuition ou une supposition éclairée, ce qui ne justifie pas la fouille[30]. La norme des motifs raisonnables de soupçonner demeure une norme solide, robuste, qui « est assujettie à un examen rigoureux et indépendant par les tribunaux »[31].
[62] Dans ce contexte, la détention et la fouille ne pouvaient être justifiées en vertu de la détention aux fins d’enquête expliquée dans l’arrêt Mann[32]. D’abord, rien ne permettait au policier de croire que l’appelant était possiblement impliqué dans la commission d’un crime et qu’il était alors nécessaire de le détenir aux fins d’enquête et secondement, même si c’était le cas, il n’y avait absolument aucun motif raisonnable de croire que sa sécurité ou celle d’autrui était menacée. Cette jurisprudence était bien établie à l’époque et elle ne permettait pas au policier d’agir comme il l’a fait et il devait le savoir.
[63] À cet égard, le juge conclut à l’absence de motifs raisonnables du policier de croire que la sacoche contienne une arme à feu et par conséquent, il aurait dû donner effet à cette conclusion au moment de déterminer si, en vertu des pouvoirs de détention aux fins d’enquête, le policier avait des motifs raisonnables de fouiller par palpation cette même sacoche. La réponse est évidente et compromet de la même façon le raisonnement du juge sur la gravité de la conduite attentatoire.
[64] Dans l’arrêt Grant[33], Grant avait attiré l’attention des policiers alors qu’il marchait sur le trottoir en raison de la façon dont il les avait scrutés, de sa nervosité et du fait qu’il regardait tout autour et tripotait son blouson. À ce stade, les faits ressemblent à ceux du présent dossier. La juge en chef McLachlin et la juge Charron, pour la majorité de la Cour suprême, concluent que ces motifs ne suffisent pas pour fouiller ou arrêter une personne[34]. Ce n’est qu’après avoir demandé à Grant ce qu’il avait sur lui que ce dernier répond être en possession de drogue et d’une arme à feu. C’est à ce moment que les policiers l’arrêtent et le fouillent. La majorité de la Cour suprême conclut que la détention est illégale, mais que la violation de la Charten’est pas grave en raison de l’incertitude juridique qui existait à l’époque sur l’état du droit[35]. Ces faits sont bien différents du présent dossier, où l’agent Croteau procède à la fouille sans motifs suffisants dans un contexte où le droit est clair sur les limites de ses pouvoirs.
[65] La fouille par palpation est toujours peu envahissante, par définition, mais les tribunaux n’ont pas autorisé, en droit, qu’elle soit exercée sans motif.
Il n’y a aucune justification juridique, voire raisonnable, à l’affirmation voulant qu’une personne qui déambule paisiblement sur la voie publique ait des attentes moindres en matière de vie privée à l’égard de ce qu’elle transporte sur elle ou dans une man purse ou tout autre sac à l’égard duquel elle a des attentes raisonnables en matière de vie privée.
[68] De même, l’incidence de la violation sur les droits de l’appelant garantis par la Charte est grave. Le juge erre en droit lorsqu’il conclut que l’expectative de vie privée est moindre lorsqu’on se trouve sur la voie publique. Cette seconde erreur l’amène à atténuer le second facteur à considérer. Il n’y a aucune justification juridique, voire raisonnable, à l’affirmation voulant qu’une personne qui déambule paisiblement sur la voie publique ait des attentes moindres en matière de vie privée à l’égard de ce qu’elle transporte sur elle ou dans une man purse ou tout autre sac à l’égard duquel elle a des attentes raisonnables en matière de vie privée[36].
[69] Notre Cour a statué que « les citoyens ont le droit de déambuler sur la rue sans être arrêtés par des policiers qui n’ont aucun motif raisonnable de ce faire »[37]. Cela vaut tout autant pour la détention aux fins d’enquête. Les policiers ne peuvent fouiller des citoyens sans motifs pour trouver des armes, même s’ils ont l’air nerveux. Les policiers n’ont jamais eu de motifs de penser que l’appelant possédait du crack.
L’administration de la justice serait déconsidérée si les policiers — qui ont le pouvoir exceptionnel de procéder à une fouille ou à une perquisition à la condition d’avoir des soupçons raisonnables, mais qui ont agi en l’espèce sans respecter cette condition préalable — devaient en tout état de cause réussir à présenter la preuve en question.
[72] En pondérant les différents facteurs, il faut rappeler l’importance de l’objectif systémique et prospectif de l’exercice. En l’espèce, il faut mesurer les conséquences de permettre une détention et une fouille sans motif et de toujours en reléguer le contrôle après le fait, pour reprendre les propos du juge Binnie dans l’arrêt Kang-Brown[41]. L’exclusion de la preuve incriminante obtenue dans des circonstances comme en l’espèce marque l’importance de ces propos.
[73] Pour reprendre encore les mots du juge Binnie, en 2008[42] :
L’administration de la justice serait déconsidérée si les policiers — qui ont le pouvoir exceptionnel de procéder à une fouille ou à une perquisition à la condition d’avoir des soupçons raisonnables, mais qui ont agi en l’espèce sans respecter cette condition préalable — devaient en tout état de cause réussir à présenter la preuve en question. Le trafic de stupéfiants est une question sérieuse, mais la question des droits constitutionnels des voyageurs l’est tout autant.
[74] Cette réflexion visant les voyageurs s’applique avec la même force aux piétons qui déambulent dans la rue, fussent-ils « coupables » d’une infraction réglementaire à un code de la sécurité routière. Le droit est bien fixé depuis plus d’une décennie.
[75] Pour l’ensemble de ces motifs, il y a lieu de réaffirmer la violation des droits de l’appelant, d’exclure l’arme à feu et la drogue et de l’acquitter des infractions.