Chaouachi c. R., 2025 QCCA 321
Le doute raisonnable s’applique aux appréciations de la crédibilité de sorte que si la preuve produite par la Couronne n’atteint pas le niveau requis pour l’obtention d’une déclaration de culpabilité, l’accusé ne peut être reconnu coupable du seul fait qu’on ne le croit pas (voir W. (D.)).
[45] En l’espèce, l’importance de démêler les éléments de preuve complexes est liée à la crédibilité, soit une question des plus importantes et des plus difficiles : R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 81. Il faut réitérer, aux fins de l’analyse qui suit, que :
Le doute raisonnable s’applique aux appréciations de la crédibilité de sorte que si la preuve produite par la Couronne n’atteint pas le niveau requis pour l’obtention d’une déclaration de culpabilité, l’accusé ne peut être reconnu coupable du seul fait qu’on ne le croit pas (voir W. (D.)). Certains éléments de l’ensemble de la preuve peuvent soulever un doute raisonnable, même si on n’ajoute pas foi à une grande partie — ou à la totalité — du témoignage de l’accusé. Tout aspect de la preuve retenue, ou l’absence de preuve, peut fonder un doute raisonnable. De plus, lorsque le juge des faits ne sait pas s’il doit ajouter foi au témoignage de l’accusé, ou ne sait pas qui croire, l’accusé a droit à l’acquittement.
R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 62.
[46] En l’espèce, par ce moyen d’appel, l’appelant soutient que la juge l’a privé du bénéfice du doute raisonnable sur la crédibilité en écartant simplement un élément qui ne pouvait, d’aucune façon, s’insérer dans le récit proposé par la preuve de la poursuite.
[47] Cet élément est la conversation que l’appelant rapporte avoir eue avec la plaignante, à propos de son fils, du voyage au Maroc et de son objectif ainsi que d’autres détails. Cette conversation ne peut s’insérer d’aucune façon dans le déroulement de l’agression alléguée. La juge convient d’ailleurs que l’appelant n’a pu l’apprendre que de la plaignante, car il ne s’agit pas d’une information révélée pendant l’enquête. Or, cette conversation, qui comporte de nombreux détails, est non seulement incompatible avec l’affirmation de la plaignante selon laquelle elle n’aurait pas parlé pendant l’agression, mais elle l’est aussi avec l’atmosphère généralement, et l’agression spécifiquement, qu’elle décrit dans son récit.
[48] Je suis d’accord avec la Cour d’appel de l’Ontario lorsqu’elle rappelle que les juges ont l’obligation de considérer les éléments significatifs de la preuve susceptibles de soulever un doute raisonnable et d’expliquer pourquoi ce n’est pas le cas : voir R. v. C.G., 2021 ONCA 809, au par. 57. J’admets que, comme l’intimé le souligne, on peut dire que la juge a considéré cet élément puisqu’il est nommé. Cependant, une fois cela fait, la juge ne pouvait simplement balayer sous le tapis cet élément de preuve qui fait dérailler la version de la plaignante, en affirmant péremptoirement que « pour l’essentiel, l’événement s’est déroulé comme la plaignante le raconte en ce qui concerne la preuve des éléments essentiels des infractions ». Cette affirmation ne peut être que le résultat du choix de mettre de côté l’élément qui créait une difficulté dirimante. La juge devait expliquer pourquoi il ne soulevait pas de doute raisonnable quant à la crédibilité de la plaignante.
[49] Il ne s’agit pas ici de faire une « dissection désincarnée et irréaliste de la motivation du jugement » : R. c. G.G., 2021 QCCA 1835, par. 52, citant R. c. Sheppard, 2002 CSC 26 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 869, par. 60, ni « de passer au peigne fin le texte des motifs » de la juge ou de se lancer dans « une analyse détaillée de l’expression imparfaite ou sommaire de la part du juge du procès» : R. c. G.F., 2021 CSC 20, par. 69 et 76.
[50] En vérité, il est bien difficile d’expliquer pourquoi cet élément ne soulève pas de doute raisonnable, tant l’incongruité est manifeste. La conversation que relate l’appelant a indiscutablement eu lieu, selon la preuve retenue. L’information sur le but du voyage au Maroc n’était pas une information anodine et il ne peut s’agir de paroles prononcées de manière inconsidérée. La discussion a nécessairement dû être d’une certaine durée et surtout, un élément déclencheur a suscité cet échange entre deux étrangers sur un sujet aussi spécifique et personnel. Il ne peut pas s’agir d’un élément secondaire sans importance. Cela est totalement incompatible avec l’agression rapide décrite par la plaignante ou par la preuve en général. Cependant, cette information s’insère dans le récit relaté par l’appelant, à la suite de la « découverte » de l’enfant.
[51] L’appelant fait donc valoir que le verdict est déraisonnable et qu’il le demeure même s’il peut s’appuyer sur la preuve, et ce, en raison d’un vice fondamental du raisonnement qui y mène : sous-al. 686(1)a)(i) C.cr. : R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, par. 77.
Une « cour d’appel conserve le pouvoir d’écarter un verdict fondé sur des conclusions relatives à la crédibilité dans les cas où, après avoir étudié l’ensemble de la preuve et tenu compte des avantages du juge de première instance, elle conclut que le verdict est déraisonnable.
[54] Je constate, comme l’appelant, que la juge excuse rapidement les incohérences qui ressortent de la preuve, tant dans le récit de la plaignante elle-même qu’entre les témoins. Par exemple, la juge neutralise les contradictions sur la déchirure du chandail que portait la plaignante en affirmant que ce fait « n’a pas d’incidence sur l’analyse du consentement de la plaignante à l’activité sexuelle » (Chaouachi, par. 179). On peut se demander pourquoi, puisque cet élément est susceptible d’y jeter un éclairage en appuyant l’absence de consentement, comme le suggère la plaignante. Mais sa pertinence réside davantage, à mon avis, dans l’évaluation de la crédibilité de cette dernière et de la fiabilité de son récit, ce qui ne semble pas retenir l’attention de la juge. En effet, l’absence de déchirure contredit encore une fois une partie du témoignage de la plaignante sur une question au cœur de l’agression.
[55] Il ne m’appartient pas, en appel, de tirer des conclusions de fait. Toutefois, devant la complexité du tableau brossé par la preuve contradictoire administrée, je souscris à l’argument de l’appelant voulant que la juge ait choisi, dans les versions des témoins, les faits de manière à façonner un récit d’agression, qu’elle construit en écartant simplement les faits incompatibles, sans évaluer s’ils soulèvent un doute raisonnable.
[56] C’est également vrai pour les autres déterminations, soit l’introduction par effraction et le vol qualifié. Dans son argumentaire, l’appelant avance que « [e]n définitive, la juge traite ces deux infractions, très sommairement et uniquement en affirmant des conclusions, comme si l’introduction par effraction et le vol qualifié étaient des accessoires indiscutables et inévitables de l’absence de consentement à l’activité sexuelle et, donc, comme si ces infractions étaient d’emblée prouvées hors de tout doute raisonnable. »
[57] La juge ne dit pas que les autres infractions découlent de l’absence de consentement, mais elle affirme que dans la mesure où elle croit la version de la plaignante, alors les autres infractions sont prouvées.
[58] À part le témoignage de la plaignante retenue par la juge, la preuve du vol est ténue. La juge ne soupèse aucunement les éléments apportés par le fils de la plaignante à ce propos. Son témoignage est pertinent tant sur la question de la fiabilité et de la crédibilité du récit de la plaignante que sur les éléments essentiels des infractions. La juge ne tient pas compte non plus du témoignage du policier qui a constaté la présence d’un sac à main ouvert ou renversé sur le côté avec des objets éparpillés sur une table et non sur le lit comme l’affirme la plaignante. L’appelant a raison de dire que la preuve contredit le récit de la plaignante sur plusieurs points qui ne sont pas anodins.
[59] À mon avis, pour les motifs énoncés, j’estime que le verdict est déraisonnable. Le présent dossier illustre bien ce que la juge McLachlin, qui n’était pas juge en chef à l’époque, écrivait dans l’arrêt R. c. W. (R.), soit qu’une « cour d’appel conserve le pouvoir d’écarter un verdict fondé sur des conclusions relatives à la crédibilité dans les cas où, après avoir étudié l’ensemble de la preuve et tenu compte des avantages du juge de première instance, elle conclut que le verdict est déraisonnable » : R. c. W. (R.), 1992 CanLII 56 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 122, 131-132, repris récemment dans H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 401, par. 55. Il n’est pas utile d’aborder les reproches faits à propos d’un raisonnement stéréotypé dans le cadre de ce moyen.
La divulgation des antécédents judiciaires des témoins de la poursuite incombe à cette dernière en application des principes énoncés dans l’arrêt R. c. Stinchcombe.
[62] Quant au quatrième moyen d’appel, la juge a refusé de rouvrir l’enquête après la découverte d’antécédents judiciaires de la plaignante découlant de déclarations de culpabilité en 2011 et 2012 pour des crimes de malhonnêteté. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher ce moyen, il faut corriger l’intimé qui affirme qu’il ne lui appartenait pas de les divulguer. Au contraire, la divulgation des antécédents judiciaires des témoins de la poursuite incombe à cette dernière en application des principes énoncés dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326, p. 337. Ensuite, contrairement à l’intimé qui n’y voit pas de pertinence, cet élément est plutôt important et pertinent puisque la crédibilité du témoignage de la plaignante était au cœur du procès. Enfin, contrairement à la juge, j’estime que l’ordonnance d’absolution reçue par la plaignante pour ses crimes ne modifie pas leur nature, soit la malhonnêteté. Dans tous les cas, l’appelant était en droit d’avoir ces informations pour mener sa défense. N’eût été le résultat du pourvoi que je suggère, j’aurais accueilli ce moyen.