R. c. Dupont, 2018 QCCQ 5058

 

Le défendeur subit son procès relativement à des accusations de conduite d’un véhicule avec les facultés affaiblies par l’effet de l’alcool et avec une alcoolémie de plus de 80 mg %. Au début de son procès, il présente, avec succès, une requête afin d’exclure la preuve obtenue à la suite d’une violation de son droit à l’avocat[1]. Dès lors, comme les résultats de l’alcootest sont exclus, un acquittement doit être prononcé sur le deuxième chef d’accusation.   La seule question en litige consiste à déterminer si la poursuite a prouvé, hors de tout doute raisonnable, que le défendeur a conduit un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies par l’effet de l’alcool.

 

  1.      L’ANALYSE

[16]         Il est bien établi qu’une démonstration que les facultés sont le moindrement affaiblies suffit pour prouver l’offense de conduite avec facultés affaiblies[2]. L’infraction n’exige pas une preuve d’intoxication constituant un écart marqué par rapport à un comportement normal. La jurisprudence pullule d’applications de ce principe. Plus récemment, la Cour supérieure, en sa qualité de cour d’appel en matière de poursuites sommaires, réitérait ce principe tout en rappelant que la question fondamentale à se poser n’est pas de connaître l’état d’affaiblissement des capacités, mais celle d’établir si la capacité de conduire un véhicule à moteur est affaiblie par l’effet de l’alcool et/ou d’une drogue. C’est l’habileté à conduire un véhicule qui est en cause[3]. Comme le rappelle la juge Myriam Lachance dans cette affaire, il importe d’analyser la preuve dans son ensemble, c’est-à-dire en tenant compte des observations qui favorisent la thèse de l’affaiblissement de la capacité de conduire par l’effet de l’alcool et celles qui la repoussent.

[17]        En raison des témoignages contradictoires en présence, la crédibilité est un enjeu important.

[18]        Le témoignage du défendeur n’est pas parfait et n’a pas à l’être. Néanmoins, certaines explications apparaissent incongrues au point de porter atteinte à sa crédibilité et à la fiabilité de son témoignage. À titre d’illustration, il témoigne devoir reprendre tous ses effets personnels en quittant la résidence où il est hébergé temporairement alors qu’en contre-interrogatoire, il affirme être retourné à la résidence afin d’échanger ses bottes pour assister à la partie de hockey. Affamé, puisqu’il n’a toujours pas mangé après les quelques consommations au bistro à la suite de la partie de hockey, il ne s’arrête pas au restaurant McDonald’s situé sur sa route près du pont Alonzo-Wright. Il choisit plutôt un établissement relativement éloigné. L’explication de monsieur Dupont quant au fait qu’il s’agit du seul établissement qu’il connaisse laisse perplexe.

[19]        Par ailleurs, la justification quant à son étirement pour recevoir la monnaie au service à l’auto, et presque du même souffle, son affirmation de ne pouvoir ramasser la monnaie échappée tellement il est proche de l’immeuble est néanmoins vraisemblable vu la grosseur et la largeur de la camionnette qu’il conduisait. Il pouvait en effet être suffisamment loin pour donner ou recueillir de l’argent, mais être trop proche pour ouvrir suffisamment sa portière et ramasser la monnaie au sol.

[20]        La procureure lui reproche d’avoir une explication pour tout. Le Tribunal en convient. Toutefois, les explications ou justifications sont, pour la plupart, cohérentes et vraisemblables. Comme le souligne la juge Lachance dans R. c. Jacques[4], un accusé a le droit d’expliquer les symptômes observés par les policiers.

[21]        Malgré ces incongruités, il n’y a pas lieu toutefois d’écarter son témoignage en totalité puisque certains éléments sont confirmés autrement dans la preuve. C’est notamment le cas de sa bonne collaboration pour le test de dépistage, qu’il n’y a rien d’anormal dans la conduite de son véhicule, qu’il commande son repas de façon compréhensible et qu’il n’y a aucun problème dans sa démarche. Les yeux rouges constatés sont compatibles avec les explications qu’il donne quant au fait qu’il a passé sa journée au vent et à la poussière ainsi que l’heure tardive à laquelle le policier a fait ce constat. L’odeur éthylique est compatible avec sa consommation durant la soirée.

[22]        Il est utile de rappeler que notre Cour d’appel proscrit le morcellement de la preuve pour analyser, de façon isolée, chaque symptôme[5]. C’est l’effet cumulatif des symptômes révélés par la preuve qui doit mener à la conclusion, hors de tout doute raisonnable, de l’affaiblissement des capacités de conduire.

[23]        Comme souligné précédemment, il importe d’analyser la preuve dans son ensemble, c’est-à-dire en tenant compte des observations qui favorisent la thèse de l’affaiblissement de la capacité de conduire par l’effet de l’alcool et celles qui la repoussent.

[24]        Les observations favorisant la thèse de l’affaiblissement des facultés sont les suivantes :

  •      Des yeux rouges et vitreux;
  •      L’odeur éthylique provenant de l’haleine;
  •      Il a bu de la bière dans les heures précédentes;
  •      Il a le visage rougi;
  •      Sa dextérité manuelle est problématique en ce qu’il échappe la monnaie rendue suite au paiement de son repas et éprouve de la difficulté à fouiller dans son portefeuille afin de remettre les documents d’usage;
  •      Incapacité à lire le certificat d’immatriculation;
  •      Le défendeur ne voit pas les policiers à sa sortie du stationnement;
  •      Le policier note une difficulté d’élocution;
  •      La préposée du restaurant estime que le défendeur est saoul[6].

[25]        S’il est permis qu’un témoin ordinaire témoigne quant au degré d’incapacité d’une personne, il faut néanmoins que son opinion repose sur des faits concrets et non sur une simple spéculation. En l’espèce, deux éléments forgent son opinion : le visage très rouge et la main tendue qui vacille de gauche à droite lors de la remise de la monnaie. Il est difficile de tirer une telle conclusion à la lumière de ces deux uniques symptômes. D’ailleurs, aucun des policiers ne confirme les symptômes à la base de cette opinion. Les policiers, habitués et formés pour déceler les symptômes d’ébriété chez les conducteurs, n’arrivent pas à une telle opinion aussi tranchée. La difficulté notée par le policier quant à la dextérité fine n’a aucune commune mesure avec le vacillement des mains décrit par madame Perrier. Dans ce contexte, même si la préposée est crédible et honnête, la valeur probante de son opinion est mince.

[26]        Le Tribunal ne retient pas, à titre de symptôme d’affaiblissement des capacités de conduire, la suggestion du ministère public quant à l’incapacité de faire deux choses en même temps soit de chercher et de parler. Il est évident que s’il regarde l’agent lorsqu’il lui adresse la parole – ce qui n’a rien d’anormal – la cessation de la recherche va de soi. Il en est de même pour son départ précipité avant de recevoir son repas et sans ramasser la monnaie échappée. Un comportement anormal ou aberrant ne constitue pas en soi une preuve de l’affaiblissement des capacités de conduire.

[27]        Quant aux observations qui repoussent cette thèse, le Tribunal relève les suivantes :

  •      Lors de la commande du repas, le défendeur s’exprime clairement. La préposée n’a pas à le faire répéter;
  •      Il n’y a aucune observation quant à une conduite anormale du véhicule malgré la distance parcourue avant que le défendeur ne s’immobilise. Il s’arrête dans un stationnement sécuritaire 300 mètres après la mise en fonction des gyrophares. Cette distance n’a rien d’anormale, au contraire. Cette manœuvre est compatible avec la recherche d’un endroit sécuritaire pour s’immobiliser. Il n’y a aucune manœuvre de conduite anormale dans la voie du service à l’auto du restaurant;
  •      Le policier chargé d’observer et noter les symptômes d’ébriété du défendeur ne note rien de particulier à cet égard;
  •      Le défendeur n’éprouve aucune perte d’équilibre, et ce, même au moment d’embarquer et de débarquer du véhicule patrouille;
  •      Les symptômes sont peu apparents au point où l’agent utilise un ADA afin de former ses motifs raisonnables;
  •      Lors de sa libération, les agents le considèrent suffisamment en état pour le laisser marcher, la nuit, sur une longue distance.

[28]        Ces dernières observations permettent de conclure que la preuve d’intoxication est faible au point de soulever un doute raisonnable. Elles convainquent que la capacité affaiblie de conduire un véhicule par les effets de l’alcool n’est pas la seule conclusion rationnelle pouvant être tirée de la preuve.

[29]        Vu l’exclusion de la preuve ordonnée suite à la violation des droits constitutionnels du défendeur;