Blais c. R., 2018 QCCA 713 

Préalablement à la mise en œuvre du cadre d’analyse de l’article 24(2), il est impératif de s’assurer que les éléments de preuve contestés ont été obtenus « dans des conditions qui portent atteinte » aux droits et libertés garantis.

[32]        Cela dit, le constat selon lequel l’État a, par sa conduite, porté atteinte au droit que garantit à l’appelant l’article 8 de la Charte canadienne n’implique pas qu’il faille dès lors déterminer, en application de l’article 24(2), si les éléments de preuve recueillis postérieurement à la violation doivent ou non être exclus conformément aux critères établis dans l’arrêt Grant[9].

[33]        Préalablement à la mise en œuvre de ce cadre d’analyse, il est impératif de s’assurer que les éléments de preuve contestés ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés garantis[10].

[34]        Cette détermination nécessite l’existence d’un lien étroit entre la violation et la découverte postérieure des éléments de preuve contestés, à défaut duquel l’examen relatif à l’application du remède prévu à l’article 24(2) n’est pas opportun. La démonstration de cette nécessaire connexité est tributaire d’une évaluation de l’ensemble du rapport qui existe entre la violation et les éléments subséquemment découverts[11].

[35]        Bien que la Cour suprême ait recommandé dans les arrêts Therens[12] et Strachan[13] de ne pas trop s’en remettre au lien de causalité, celui-ci n’est pas pour autant écarté de l’analyse.

[36]        Un lien temporel suffit souvent, mais n’est pas toujours déterminant. C’est le cas notamment si le lien entre la violation et l’obtention de la preuve contestée est éloigné ou ténu. Le juge Sopinka souligne à cet égard dans l’arrêt Goldhart :

Le concept du caractère éloigné s’applique non seulement au lien temporel, mais aussi au lien causal. Il s’ensuit que la seule existence d’un lien temporel n’est pas nécessairement suffisante. Conformément à la directive voulant qu’on examine l’ensemble du rapport entre la violation et la preuve obtenue, il convient que la cour examine la force du rapport causal. Si le lien temporel et le lien causal sont ténus tous les deux, la cour peut très bien conclure que la preuve n’a pas été obtenue dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte. Par contre, le lien temporel peut être fort à ce point que la violation de la Charte fait partie intégrante d’une seule et même opération. Dans un tel cas, la faiblesse ou même l’absence d’un lien causal sera sans importance. Une fois les principes de droit définis, la force du lien entre la preuve obtenue et la violation de la Charte est une question de fait. Par conséquent, la possibilité d’appliquer le para. 24(2) sera déterminée cas par cas, comme l’a proposé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Strachan.[14]

[37]        Dans l’arrêt Wittwer[15], l’appelant avait fait, après quatre heures de résistance, une déclaration extrajudiciaire incriminante immédiatement après avoir été confronté par le policier qui l’interrogeait à une déclaration antérieure obtenue de lui en violation flagrante du droit constitutionnel protégé par l’article 10(b) de la Charte canadienne. La Cour suprême devait alors trancher la question de savoir si l’effet de la violation (lors de la première déclaration) s’était totalement dissipé lorsque l’appelant a fait la seconde déclaration après avoir, cette fois, été dûment avisé de son droit à l’assistance d’un avocat, de telle sorte qu’il n’y avait pas lieu de conclure que celle-ci avait été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis. Retenant que la seconde déclaration demeurait viciée par la violation antérieure, le juge Fish souligne au sujet du lien entre la violation et l’obtention de la preuve contestée :

[21]      Les tribunaux appelés à décider si une déclaration est viciée par une violation antérieure de la Charte ont privilégié une approche généreuse et fondée sur l’objet visé. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien de causalité strict entre la violation et la déclaration subséquente. La déclaration sera viciée s’il est possible d’affirmer que la violation et la déclaration en cause font partie de la même opération ou de la même ligne de conduite : Strachan, p. 1005. Le lien exigé entre la violation et la déclaration subséquente peut être [Traduction] « temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois » : R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 189 O.A.C. 376, par. 45. Un lien qui est simplement « éloigné » ou « ténu » ne sera pas suffisant : R. c. Goldhart, 1996 CanLII 214 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 463, par. 40; Plaha, par. 45.[16]

[38]        Dans l’arrêt Machulenko[17], le juge Watt résume ainsi les principes applicables à la détermination du lien étroit entre la violation et l’obtention subséquente d’un élément de preuve :

[72]      To determine whether the nexus requirement has been met, the trial judge must undertake a contextual and case-specific analysis: Simon, at para. 69. Courts have adopted a purposive and generous approach to the nexus requirement: Wittwer, at para. 21. An accused need not establish a strict causal relationship between the breach and the subsequent evidence. The subsequent evidence will be tainted if the breach and the evidence can be said to the part of the same transaction or course of conduct: Wittwer, at para. 21; R. v. Strachan, 1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 S.C.R. 980, at p. 1005. The essential nexus between the breach and the evidence acquired later may be temporal, contextual, causal or the three in combination: Plaha, at para. 45; Wittwer, at para. 21; and R. v. Goldhart, 1996 CanLII 214 (CSC), [1996] 2 S.C.R. 463, at para. 40. Remote or tenuous connections fall short of establishing the necessary nexus: Goldhart, at para. 40; Plaha, at para. 45; and Wittweer, at para. 21.

[73]      As a general rule, a temporal connection between the Charter breach and the acquisition of the evidence will suffice to make out the nexus requirement under s. 24(2). But the temporal connection involves more than simply counting up the time that has elapsed between the two events. What happened between the breach and the evidence collection can colour the significance of the passage of time: Plaha, at para. 49.

[39]        La juge retient, en l’espèce, que « malgré l’obtention subséquente du télémandat de perquisition, l’opération entière est assimilée à une perquisition sans mandat ». Il ressort de ces propos qu’elle considère que les deux entrées dans le logement de l’appelant sont suffisamment liées dans le temps pour constituer une seule et même opération policière.

[40]        L’analyse contextuelle requise pour conclure à l’existence d’un lien étroit exige plus que de simplement constater la proximité dans le temps de deux incursions dans un même lieu. L’essence de l’exercice consiste à déterminer si les fruits de la fouille ont été obtenus « dans des conditions qui portent atteinte à un droit… ». Avec égards, cette analyse a été omise ici, sans doute parce que, de toute façon, la juge considère que les exigences de l’alinéa 11(7) LRCDAS sont satisfaites et que les deux perquisitions sont, à son avis, autorisées par la loi et conformes à l’article 8 de la Charte canadienne.

[41]        L’existence de ce lien étroit est certes tributaire des 90 minutes qui séparent les deux perquisitions du logement de l’appelant, mais également et principalement de ce qui se passe durant ce laps de temps.

[42]        La preuve révèle à cet égard que :

–      les policiers Gouin et Fortier ont reçu l’ordre d’entrer dans le logement à la seule fin de vérifier s’il s’y trouvait un autre occupant susceptible de détruire la preuve;

–      la porte a été déverrouillée à l’aide des clés saisies sur l’appelant lors de la fouille incidente à son arrestation;

–      le policier Fortier est alors entré et s’est assuré qu’il n’y avait personne à l’intérieur pendant que la policière Gouin est demeurée à l’extérieur du logement;

–      le policier Fortier est demeuré à l’intérieur deux ou trois minutes et n’a pas fait de fouille des lieux. En sortant, il a refermé la porte derrière lui;

–      la policière Gouin est demeurée en faction devant la porte et s’est assurée que personne ne pénètre dans le logement;

–      durant ce temps, les démarches se poursuivaient pour obtenir le télémandat les autorisant à fouiller les lieux, qui fut finalement délivré à 16 h 42;

–      les observations visuelles qu’a pu faire le policier Fortier lors de l’inspection sommaire des lieux n’ont pas été utilisées pour obtenir l’autorisation de perquisitionner;

–      la fouille des lieux a débuté à 17 h 55 et s’est terminée à 19 h 30.

[43]        Examinées globalement, ces circonstances ne permettent pas de conclure à l’existence d’un lien qu’il soit temporel, contextuel ou causal ou même une combinaison des trois qui puisse être qualifié de suffisamment « étroit » entre la violation que constitue l’inspection sommaire et non autorisée du policier Fortier et les éléments de preuve recueillis lors de la perquisition exécutée conformément à un télémandat dûment autorisé.

[44]        Nous sommes plutôt en présence de deux événements distincts qui n’ont en commun que leur proximité dans le temps et la nature de l’incursion dans la vie privée de l’appelant qui permettent tout au plus d’y voir un lien très ténu entre eux. Il appert, en effet, que la violation des droits constitutionnels de l’appelant a pris fin dès la sortie du policier Fortier du logement et est sans effet sur les événements subséquents, lesquels aboutissent à l’obtention de la preuve.

[45]        De l’absence d’un lien étroit découle qu’on ne peut conclure que la preuve contestée a été obtenue dans des conditions portant atteinte au droit garanti par l’article 8 de la Charte canadienne.


Concernant les notions de cet article, voir :

R. v. Jarrett, 2021 ONCA 758 (CanLII), at para 44

R. c. Reilly, 2021 CSC 38 et R. v. Reilly, 2020 BCCA 369 (CanLII), at para 66-85


PROFESSOR PETER SANKOFF