R. c. Mailloux, 2017 QCCQ 12161

 

Quant au premier chef, l’accusé demande l’exclusion de l’analyse des échantillons d’haleine. Premièrement, il a été privé de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Deuxièmement, lorsque le droit a finalement été exercé, il n’a pu consulter à l’avocat de son choix. Ces deux manquements contreviennent à l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

ANALYSE ET DÉCISION

1) Les policiers ont-ils privé l’accusé de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat?

[20]        L’article 10b) de la Charte prévoit que chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat.

[21]        La Cour suprême, dans l’arrêt Taylor[7], rappelle que les policiers doivent faciliter l’exercice de ce droit. Cela permet à la personne détenue d’obtenir les conseils juridiques préliminaires et atténue les risques d’une incrimination. Si la personne indique qu’elle veut exercer son droit, les policiers doivent lui donner la possibilité raisonnable de le faire, sauf en cas d’urgence ou de danger. De plus :

[24]   L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention […], et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat. Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances […]. La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.[8]

[22]        En outre, un policier n’est pas légalement tenu de fournir son propre téléphone cellulaire[9].

[23]        Dans le présent cas, les policiers informent l’accusé mais indiquent que le droit sera exercé au poste.

[24]        Or, l’accusé exprime aux policiers son désir de consulter une avocate immédiatement. Il montre son cellulaire qui contient le numéro de téléphone. Sa demande est sérieuse, tel que reflété par sa communication ultérieure au poste. Un délai de 11 minutes s’écoule entre l’arrestation (1 h 47) et le départ pour le poste (1 h 58). L’accusé avait amplement le temps de parler à son avocat, comme le démontre la conversation ultérieure de 5 minutes au poste entre 2 h 18 à 2 h 23.

[25]        Le policier explique le délai pour deux raisons.

[26]        Premièrement, la confidentialité.

[27]        Le juge Marco LaBrie, dans Lauzier[10], rappelle que la confidentialité appartient à la personne détenue qui peut choisir si elle veut exercer son droit sur place.

[28]        Ces principes trouvent ici application. Différentes solutions pouvaient être envisagées pour assurer un certain degré de confidentialité. Par exemple :

▪   Comme le mentionne le juge LaBrie, l’accusé consulte son avocat assis à l’arrière du véhicule patrouille pendant que les policiers attendent à l’extérieur[11].

▪   Selon la même logique, le juge Vanchestein, dans R. c. Whitehead[12], retient que l’accusé peut prendre place dans son véhicule, sans pouvoir le mettre en marche, avec une surveillance extérieure.

[29]        Deuxièmement, la sécurité.

[30]        Dans leur témoignage, les policiers exposent des possibilités théoriques qui ne collent pas à la présente situation. Ainsi, l’accusé collabore du début à la fin. Les symptômes décrits par les policiers sont légers. La preuve ne démontre pas de risque pour la sécurité ni un danger de fuite.

[31]        Au total, en priorisant sur une base théorique la confidentialité et la sécurité, les policiers n’ont considéré qu’une seule option : la consultation au poste, selon une pratique applicable automatiquement. Ils n’ont jamais évalué l’alternative selon la situation en cause : la consultation sur place.

[32]        Dans R. c. Chassé[13], le juge Richard Côté de la Cour du Québec aborde précisément la question des téléphones cellulaires dans le contexte d’une arrestation pour possession de cannabis, d’un refus par les policiers de permettre un appel sur place et d’une indication que le droit serait exercé au poste :

[26]      […], il est de connaissance judiciaire que l’usage du téléphone cellulaire est maintenant très répandu dans la population. Cette réalité ne peut être ignorée lorsqu’il s’agit de mettre en application le droit constitutionnel d’une personne détenue de communiquer avec un avocat. Par conséquent, lorsque comme en l’espèce, la personne détenue demande de communiquer avec un avocat sur les lieux de l’arrestation et que cela peut être fait immédiatement à l’aide de son téléphone cellulaire, dans des conditions sécuritaires et dans le respect de la confidentialité, les policiers doivent accéder à sa demande.

[33]        Selon la même logique, le présent Tribunal conclut qu’il y a atteinte au droit de l’accusé.

2) Les policiers ont-ils privé l’accusé du choix de son avocat?

[34]        La Cour suprême, dans l’arrêt Willier[14], mentionne que l’article 10b) ne prévoit pas expressément le droit à l’assistance de l’avocat de son choix[15]. Toutefois, si un détenu décide d’exercer son droit en parlant à un avocat précis, la disposition accorde une possibilité raisonnable de communiquer avec cet avocat[16]. Les policiers n’ont pas à contrôler la qualité des services juridiques[17].

[35]        Dans le présent cas, l’accusé exprime clairement son intention de consulter Me Bérubé. Les policiers rejettent ce choix sous prétexte que l’avocate ne pratique pas en droit criminel. Ce faisant, ils enfreignent les droits de l’accusé.

[36]        En raison de ces deux atteintes, l’article 24(2) de la Charte doit maintenant être examiné :

Lorsque […] le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[37]        La Cour suprême, dans l’arrêt Grant[18], expose les facteurs d’analyse : l’appréciation de la gravité de la conduite attentatoire de l’État; l’examen de l’incidence de la violation sur les droits; l’appréciation de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond; la mise en balance de l’ensemble de ces facteurs.

[38]        Qu’en est-il dans le présent cas?

[39]        Dans son analyse, le Tribunal s’inspire de la démarche suivie par le juge Pierre Bélisle de la Cour du Québec dans l’affaire Pinard[19], dans le contexte où les policiers informent à tort un accusé que son avocat ne pouvait être rejoint et le dirigent vers un autre avocat de garde.

a) L’appréciation de la gravité de la conduite attentatoire de l’État

[40]        D’une part, le policier lit la carte et offre le droit de consulter un avocat « sans délai », ce qui correspond aux exigences de la Charte. D’autre part, l’accusé exprime son intention de consulter en montrant son cellulaire. Les policiers décident unilatéralement que l’exercice se fera au poste. Ce faisant, ils contredisent la carte qu’ils viennent de lire. De plus, ils ne respectent pas le choix de l’accusé.

[41]        Le Tribunal doit se dissocier de la présente démarche policière.

[42]        La violation milite donc en faveur de l’exclusion de la preuve.

b) L’examen de l’incidence de la violation sur les droits

[43]        Il est vrai que l’obtention d’un échantillon d’haleine est relativement non intrusive[20].

[44]        Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même

[45]        Tel qu’énoncé par la juge Sophie Bourque de la Cour supérieure dans R. c. Gaétani[21], « […] le courant fortement majoritaire de la jurisprudence veut qu’en cas de violation de l’art. 10b) de la Charte […], la preuve auto-incriminante obtenue en violation du droit constitutionnel de l’accusé soit exclue ». Par analogie, cette détermination dans le contexte de l’ADA, trouve ici application.

[46]        L’incidence de la violation milite en faveur de l’exclusion de la preuve

c) L’appréciation de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

[47]        Les résultats des échantillons sont des éléments de preuve fiables. Leur exclusion peut entraîner un acquittement puisque, sans eux, la poursuite peut difficilement démontrer une alcoolémie supérieure à 80 mg. Le fléau que représente la conduite en état d’ébriété démontre l’intérêt de la société à ce que ce type d’accusation soit jugé au fond.

d) La mise en balance de l’ensemble des facteurs.

[48]        Tel que déterminé dans l’arrêt Grant, « Aucune règle prépondérante ne régit cet exercice, qui ne peut manifestement pas être effectué avec une précision mathématique »[22]. L’analyse est de « nature qualitative »[23].

[49]        Le Tribunal ne peut banaliser que l’accusé a été privé de ses droits.

[50]        Comme l’énonce le juge Belisle dans Pinard[24], tout bien considéré, la mise en balance des différents facteurs porte à conclure que l’importance pour les policiers de respecter les droits garantis par l’article 10b) de la Charte l’emporte sur les intérêts de recherche de la vérité du système de justice pénale. L’utilisation des éléments de preuve obtenus serait susceptible, à long terme, de déconsidérer l’administration de la justice.

[51]        Tel que reconnu par la poursuite, l’exclusion de cette preuve conduit à un acquittement.

CONCLUSION

[52]        PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[53]        ACCUEILLE la requête de l’accusé.

[54]        ORDONNE l’exclusion des éléments de preuve obtenus à la suite de la violation, à savoir les résultats de l’alcootest.

[55]        ACQUITTE l’accusé du premier chef (alcoolémie supérieure à 80 mg).