Par Me Félix-Antoine T. Doyon
Dans R. c. Smith, [2011] A.W.L.D. 2367, la Cour d’appel de l’Alberta a récemment rendu une décision en matière de preuve relativement à des accusations reliées à l’alcool au volant.
Contexte
Madame Smith a été acquittée en première instance de tous les chefs d’accusation qui pesaient contre elle, notamment celui d’ivresse au volant causant la mort. Le Ministère public se pourvoit à l’encontre de cette décision. L’enjeu est le suivant. Suite à l’accident, madame, inconsciente, a été transportée en ambulance vers l’hôpital où on a prélevé des échantillons de sang aux fins de traitements médicaux. Conformément à l’article 30 de la Loi sur la preuve (ci-après LPC)[1], la police a obtenu le rapport de toxicologie, lequel rapportant notamment un taux d’alcoolémie de 230 mg pour cent 100 ml de sang, ce qui constitue presque 3 fois la limite permise par la loi. Le rapport a été admis en preuve, mais le juge de première instance a conclu que ce dernier représentait une preuve selon la prépondérance des probabilités (ci-après PP), alors qu’une preuve hors de tout doute raisonnable (ci-après HTDR) était nécessaire pour un verdict de culpabilité[2].
Question en litige
Est-ce qu’un dossier médical qui a été mis en preuve en vertu de la l’art. 30 de la LPC fait preuve HTDR, et ce, lorsqu’il y a absence de preuve de vive voix établissant les circonstances dans lesquelles le dossier a été préparé?
Décision
Les dossiers préparés dans le cours normal des activités d’une entreprise sont admissibles en preuve, et ce, malgré la règle prohibant la preuve par ouï-dire[3]. La Cour suprême a jugé que « [h]ospital records […] made contemporaneously by someone having a personal kowledge of the matters then being recorded and under a duty to make the entry or record, should be received in evidence as prima facie proof of the facts stated therein »[4].
Dans ce même ordre d’idée – et c’est là que le juge de première instance semble avoir erré en droit – une preuve prima facie peut établir la culpabilité d’un individu en absence de preuve contraire[5]. En l’espèce, le juge de première instance a fondé ses acquittements sur le fait que le dossier médical, en l’absence d’une preuve corroborative des circonstances entourant sa préparation (tel un témoignage viva voce), constituait nécessairement une preuve selon la PP. Autrement dit, même si une preuve orale peut être reçue, cela n’équivaut pas à dire qu’elle est nécessaire dans tous les cas.
Cependant, il est important de mentionner que la défense peut toujours tenter de soulever un doute raisonnable sur la fiabilité de la preuve par tout moyen[6]. De conclure la Cour dans la présente affaire Smith (précitée) au para. 36 :
As also emphasized in Proudlock [précitée] at 548-549, s. 30(1) does not shift the evidentiary burden to the defence. Rather, it simply requires the defence to adduce evidence raising a reasonable doubt if there is nothing which does so in the evidence adduced by the crown. Such evidence could be found, for example, in the type of evidence that s. 258(1)(d.01) of the Criminal Code precludes from use to challenge the accuracy of s. 254 blood tests, including evidence of the amount of alcohol consumed by the defendant. It could include, as is argued here, evidence from eyewitnesses or challenges to the accuracy of expert opinion evidence if that is found by the trial judge to raise a reasonable doubt.
Ainsi donc, le fait d’admettre en preuve un document obtenu dans le cours normal des activités d’une entreprise, tel un dossier hospitalier, n’empêche pas de soulever un doute raisonnable sur la fiabilité du contenu d’un tel document. Cependant, un tel doute raisonnable doit nécessairement émaner d’une preuve entendue, et non de simples spéculations[7].
Conclusion
Pour conclure, en vertu de l’art. 30 de la LPC, des dossiers hospitaliers peuvent être introduit en preuve pour faire preuve de leur contenue selon le critère du HTDR – sans plus – et ce, lorsqu’il y a absence d’autres preuves justifiant de soulever un doute raisonnable chez le juge des faits[8].
Dans la présente affaire, le juge des faits a commis une erreur en droit en ne considérant pas que le rapport toxicologique pouvait être introduit et constituer une preuve HTDR de son contenu. Effectivement, étant donné l’absence d’une autre preuve, il a considéré que le rapport constituait nécessairement une preuve par PP seulement, ce qui a justifié, à tort, ses acquittements. La Cour d’appel a donc ordonné un nouveau procès.
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[1] À noter que «the use of s. 30(1) is limited to records created for purposes other than legal proceeding into which their entry is eventually sought, such as hospital records created in the course of the medical treatment of a defendant » (R. v. Smith, [2011] A.W.L.D. 2367, au para. 27 [ci-après Smith]).
[2] Le juge semble avoir erronément fondé son raisonnement sur la décision R. v. Doerksen, 2009 ABPC 215 (Alta. Prov. Ct.) (Smith supra note 1, au para. 31). Pour le test à savoir si un dossier constitue un document préparé « dans le cours normal des activités d’une entreprise », voir Smith supra note 1, aux para. 20-21.
[3] Voir R. v. Grimba (1977), 38 C.C.C. (2d) 469 (Ont. Co. Ct.), at 471.
[4] Ares v. Venner, [1970] S.C.R. 608, at 626.
[5] Voir R. v. Proudlock, [1979] 1 S.C.R. 525 [ci-après Proudlock].
[6] Voir Proudlock , supra note 5, aux p. 550-551, pour un résumé des principes entourant une preuve prima facie en droit criminel.
[7] Smith supra note 1, au para. 33.
[8] Traduction libre de l’assertion suivante. « In conclusion, hospital records are capable of being admitted as evidence for the proof of their contents sufficient to meet the requirements of proof beyond a reasonable doubt under s. 30 of the CEA, without more, in the absence of other evidence sufficient to raise a doubt in the mind of the trier of fact » (Smith, supra note 1, au para. 32).