Par Me Félix-Antoine T. Doyon

L’affaire DSK a mis en lumière toute l’importance que peut prendre la crédibilité d’un témoin dans le cadre d’un procès. La crédibilité est effectivement au cœur d’un très grand nombre d’affaires, et au Canada, le jugement de référence est l’arrêt R. c. W. (D.)[1]. Une décision récente de la Cour d’appel   Vollant c. R. 2011 QCCA 1309 – nous rappel les principes applicables.

Contexte

Le mardi 12 avril 2005, Alex Cormier a été découvert mort à son domicile. La victime est à genoux sur le côté du lit de sa chambre avec le haut de son corps étendu sur le lit. Son corps est ensanglanté et couvert de multiples plaies, fractures et contusions. L’autopsie révèle qu’Alex Cormier est décédé d’un traumatisme cranio-cérébral causé par une arme contondante. Au procès, il est reconnu qu’Alex Cormier a été victime d’un meurtre. Seule l’identité du meurtrier est en litige.

Le 21 avril 2005, l’appelant – Éric Vollant – est rencontré par la police comme témoin. Ce dernier relate la relation qu’il a eue avec la victime la journée où le meurtre a été commis. Sa déclaration est exculpatoire. Cependant, le 14 mai 2005, l’appelant est arrêté pour capacités affaiblies et par la suite, dans des circonstances particulières qui l’on amené à se faire transporter à l’hôpital, il déclare en face d’un agent de police la chose suivante : « J’ai tué Alex, toi t’es mon prochain ».

Ensuite, le 11 octobre 2008, soit plus de 3 ans plus tard, un témoin qui avait été rencontré auparavant demande de rencontrer  à nouveau un enquêteur : Mélissa Pinette désire changer sa version drastiquement. Sa première déclaration avait été faite sous la peur et les menaces d’Éric Vollant prétend-elle, et maintenant elle désire dire la vérité! Elle déclare qu’Alex Cormier a été assassiné par Éric Vollant à l’aide d’un bâton de baseball. Elle relate donc en détail la conversation qu’elle a eue avec ce dernier ainsi que les évènements dont elle a eu connaissance. La déclaration faite par madame Pinette n’est pas produite au procès, mais madame Pinette raconte son histoire dans son témoignage principal, lequel est fortement incriminant à l’endroit d’Éric Vollant

La prétention de l’appelant

Éric Vollant fait valoir, entre autres, que sa déclaration du 21 avril 2005 consignée par écrit et produite par la poursuite ainsi que d’autres éléments de preuve visant à la confirmer constituaient une preuve contradictoire à celle de la poursuite et que cette version constituait une défense complète. En présence de deux versions contradictoires, la sienne et celle de Mélissa Pinette, le juge aurait dû donner au jury une directive de type « W. (D.) », ce qu’il n’a pas fait, prétend-il.

La directive de type « W. (D.) »

Quand la crédibilité est importante, le juge du procès doit lire au jury que la règle du doute raisonnable s’applique à cette question. Le juge devrait dire aux jurés que:

(1)   s’ils croient la déposition de l’accusé, ils doivent acquitter;

(2)   même s’ils ne croient pas la déposition de l’accusé mais ont un doute raisonnable, ils doivent l’acquitter;

(3)   même s’ils  n’ont pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé de l’accusé, ils doivent encore se demander s’ils sont convaincus hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé, en vertu du reste de la preuve qu’ils ont acceptée[2].

Cette directive s’applique lorsque, comme en l’espèce, l’accusé ne témoigne pas à son procès, mais sa déclaration exculpatoire antérieure est mise en preuve par la poursuite et cette déclaration constitue une défense complète à l’accusation[3].

La décision

« Mieux vaut dix coupables en liberté qu’un seul innocent en prison »

-William Blakstone

La Cour d’appel donne raison à l’appelant. Elle justifie sa décision en deux temps. Au premier chef, elle a considéré que les affirmations répétées par l’avocat de la poursuite que le témoignage de madame Pinette n’était pas contredit et le rappel qu’en a fait le juge à la fin de sa lecture de l’exposé de la position de la poursuite étaient susceptibles, en l’absence d’une directive précise du juge, de faire oublier aux jurés qu’ils étaient en présence de témoignages contradictoires et qu’ils devaient considérer la déclaration de l’appelant au regard du doute raisonnable[4].

Au deuxième chef, la Cour d’appel est d’avis que certains passages des directives du juge au jury ont pu contribuer à accentuer l’impression que le témoignage de madame Pinette n’était pas contredit, à dissimuler la déclaration exculpatoire de l’appelant et à l’écarter des préoccupations du jury. Par exemple, lorsque le juge du procès s’est adressé au jury, il mentionne la chose suivante : « Certaines des pièces produites peuvent vous aider dans l’élaboration de votre verdict [en l’occurrence la déclaration exculpatoire de l’appelant fait aux policiers le 12 avril 2005], mais c’est dans les témoignages rendus [en l’occurrence le témoignage de Mélissa Pinette] que vous trouverez les réponses aux questions que vous vous poserez. Encore une fois c’est mon opinion et elle ne vous lie en aucune façon »[5].

Par conséquent, en n’instruisant pas le jury de l’existence même d’une version exculpatoire donnée par l’appelant par sa déclaration du 21 avril 2005, le juge a escamoté les deux premières étapes de la démarche R. c. W. (D.). Même s’il s’agissait d’une déclaration écrite produite par la Couronne et en l’absence de tout témoignage de l’appelant au procès, il s’agissait de trancher une question de crédibilité et la version de l’appelant devait faire l’objet d’une explication eu égard à sa crédibilité dans le contexte du doute raisonnable[6]. Ainsi la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès.

 


[1] R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

[2] L’omission de se servir de ce modèle n’est peut-être pas fatale si l’exposé, considéré dans son ensemble, indique clairement que le jury ne peut pas avoir compris quel fardeau et quelle norme de preuve s’appliquent. Quand il y a une erreur dans une directive concernant le fardeau de la preuve, le fait que le juge du procès ait donné des directives correctes sur cette question ailleurs dans son exposé est une forte indication que le jury n’a pas été laissé dans le doute au sujet du fardeau de preuve qui incombe au ministre public.

[3] Supra note 1, au para. 74.

[4] Vollant c. R. 2011 QCCA 1309, au para. 80.

[5] Ibid, au para. 81.

[6] Ibid, au para. 84.