R. c. Laroche, 2017 QCCQ 6794

 

QUESTIONS EN LITIGE:

 

1) Le défaut de l’accusé à s’objecter au dépôt du certificat d’analyse le rend-t-il forclos de soulever l’inapplicabilité de la présomption d’identité prévue à l’article 258 (1) c) du Code criminel ?

 

2) Les échantillons d’haleine sont-ils prélevés dès que matériellement possible ?

 

3) La preuve convainc-t-elle hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait les facultés affaiblies par l’alcool ?

 

ANALYSE

[28] Les deux chefs d’accusation doivent faire l’objet d’une analyse différente.

[29] L’accusation en lien avec la conduite avec facultés affaiblies doit être soumise à l’évaluation selon les paramètres de l’arrêt R. c. S.(W.D.)[2], alors que le chef lié à la conduite d’un véhicule avec un taux d’alcoolémie supérieur à la limite légale est strictement soumis à l’évaluation du délai, qui est intimement lié à la présomption d’identité prévue au paragraphe 258 (1) c) du Code criminel.

[30] D’abord, l’applicabilité de la présomption d’identité.

[31] La preuve des résultats d’alcoolémie obtenus fait foi de façon concluante de l’alcoolémie de l’accusé tant au moment des analyses qu’à celui où l’infraction a été commise. Le Tribunal doit déterminer si la défense, en ne s’objectant pas au dépôt du certificat du technicien qualifié et celui de l’analyste, est forclose de plaider la perte de cette présomption d’identité.

[32] D’abord, il est utile de rappeler qu’il n’est pas ici question de Charte, mais plutôt de prérequis à l’applicabilité de la présomption. Le respect des conditions prévues au paragraphe 258 (1) e), f), g), h) et i) et le respect des délais prévus au paragraphe 258 (7) du Code criminel (avis de l’intention de produire) permettent le dépôt des certificats tant du technicien qualifié que de l’analyste, sans pour autant faire naître automatiquement la présomption d’identité.

[33] L’accusé peut ainsi prétendre, malgré le dépôt des certificats, à l’inapplicabilité de la présomption en évoquant, comme dans le cas présent, que le policier n’a pas respecté l’une des conditions, dont celle de prélever l’échantillon d’haleine dès que matériellement possible.

[34] Le fardeau de la Couronne demeure ainsi le même, soit de prouver hors de tout doute raisonnable que les conditions prévues au paragraphe 258 (1) c) du Code criminel sont respectées pour qu’elle puisse bénéficier de la présomption d’identité.

[35] Analysons donc si ce délai est conforme.

[36] Comme l’affirme le juge Alexandre Boucher :

« … l’arrêt Vanderbruggen au par. 13, la poursuite n’avait pas à présenter une preuve parfaite : « there is no requirement that the crown provide a detaileled explanation of what occured during every minute that the accuse dis in custudy. » [3]

[37] Dans la présente affaire, il s’agit d’une soirée fort occupée car c’est la fête de la St-Jean-Baptiste et les régates annuelles de St-Félicien. Une seule patrouille couvre le secteur ce soir-là, les autres étant affairées à d’autres tâches. Ils doivent donc assurer le bon ordre et la sécurité des citoyens sans le soutien des autres patrouilleurs.

[38] Lorsque les policiers interviennent pour cet individu qu’ils soupçonnent de conduire en état d’ébriété, ils doivent agir avec célérité et de façon sécuritaire, ce que la preuve confirme. En effet, les policiers s’activent pour recueillir la preuve, faire l’inventaire du véhicule et organiser le transport de la dame qui accompagne l’accusé tout en protégeant le véhicule automobile de l’accusé qui se trouve au milieu de la voie de circulation, et ce, dans les meilleurs délais compte tenu des circonstances.

[39] Ce délai de 52 minutes ne pouvait donc pas réalistement être abrégé. Les patrouilleurs se sont assurés que le remorqueur appelé se trouvait à proximité et qu’il pouvait accomplir le travail demandé dans un délai raisonnable.

[40] Même constat quant au délai au poste de police qui a servi à compléter l’inventaire du véhicule et ainsi préserver l’intégralité des biens de l’accusé. Il était aussi nécessaire d’assurer le transport sécuritaire de la passagère vu son état.

[41] Enfin, puisque l’obtention de résultats d’alcoolémie fiables est de prime importance dû à la nature de l’enquête, la préparation adéquate de l’appareil constitue une prémisse essentielle pour éviter de les affecter, ce à quoi le policier s’est affairé également dans un délai raisonnable.

[42] À ce sujet, la décision de la Cour suprême, dans St-Onge Lamoureux[4], nous rappelle l’importance du fonctionnement et de l’utilisation adéquats de l’ivressomètre qui, dans le cas contraire, risque d’engendrer une grave problématique de preuve. Peut-on reprocher au technicien de prendre le temps nécessaire pour obtenir une preuve fiable, tel que le requiert la Loi ? Sûrement pas.

[43] Quant aux quelques minutes prises par le policier pour faire les vérifications pour valider l’identité de l’accusé, elles étaient nécessaires pour inscrire correctement ces renseignements au certificat qui, ultimement, serviront de preuve lors du procès.

[44] Quant aux vérifications des antécédents judiciaires, bien qu’il soit exact que leur obtention n’était pas nécessaire dans l’immédiat, elle l’était pour décider ou non de la libération de l’accusé et de la signification d’un avis de peine plus lourde, le cas échéant. Ces quelques minutes ajoutées aux autres n’entraînent pas la perte de la présomption.

[45] Quant au délai entre les deux tests, ils doivent minimalement être espacés de 15 minutes. Ici, le délai est de 21 minutes, délai où le technicien, également patrouilleur, en a profité pour compléter ses rapports. Ce délai est conforme au droit en vigueur et est justifié par l’importance que les notes policières soient prises de façon concomitante afin de préserver la preuve.

[46] Enfin, ajoutons que le confrère policier devait demeurer en présence constante de l’accusé afin d’assurer sa sécurité et éviter tout risque d’interférence dans le processus de prise d’échantillons d’haleine (vomissement, éructation, prise de gomme, etc.). Son rôle étant primordial pour assurer la validité des tests d’haleine, il ne pouvait accomplir d’autres tâches pour abréger les délais.

[47] Conséquemment, le Tribunal conclut que les échantillons d’haleine ont été prélevés dans les meilleurs délais. Le moins élevé des deux tests étant de 91 mg/100 ml de sang, il prouve que l’accusé avait, au moment de la conduite de son véhicule automobile, un taux d’alcool supérieur à la limite légale. Il est donc déclaré coupable du premier chef.

[48] Quant à la conduite avec les facultés affaiblies, le Tribunal est également convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction pour les motifs suivants.

[49] L’accusé admet avoir acheté une caisse complète de trente bières le matin du 24 juin. Cette même caisse est à moitié vide lors de son arrestation, alors qu’il est le seul à avoir utilisé son véhicule et à connaître le contenu de son coffre arrière. Rien dans son témoignage n’explique par qui et comment ces quinze bières ont été consommées, ce qui fragilise son affirmation à l’effet qu’il n’a consommé aucune boisson alcoolisée de la journée.

[50] L’accusé nie la conduite erratique de son véhicule automobile. Pourtant, l’expression qu’il utilise à l’effet qu’il conduisait « quand même bien » laisse croire le contraire et corrobore la version des policiers.

[51] Ses explications en lien avec sa démarche chancelante liée à la fatigue et l’engourdissement sont postérieures à la motion de non-lieu présentée par son procureur, où le Tribunal, lors de sa décision orale, exprime avoir observé le jour de l’audition que l’accusé marchait normalement et sans perte d’équilibre. Ajoutons que la démarche de l’accusé à l’audience est tout à fait normale, même après de longues minutes en position assise.

[52] L’accusé soutient également qu’il a hésité à la lumière de circulation dû au barrage érigé, alors qu’il savait que la route était bloquée bien avant de l’emprunter. Cette explication n’est pas vraisemblable.

[53] De plus, sa version quant à son rythme de consommation souffre d’imprécision, soutenant d’abord qu’il l’a cessée à 0 h 30, alors qu’il soutient finalement avoir sirotée sa deuxième bière jusqu’à son départ du bar, ce qui affecte sa crédibilité.

[54] Enfin, soulignons que l’accusé tarde à donner un échantillon d’haleine convenable dans l’ADA, et ce, malgré les explications précises et répétées du policier. Visiblement, ses capacités de compréhension sont significativement affectées ce soir-là.

[55] Ainsi, le Tribunal conclut que le témoignage de l’accusé n’est pas crédible.

[56] Ceci dit, bien que la version de l’accusé ne soit pas crue et ne soulève pas de doute raisonnable, la preuve de la poursuite doit tout de même convaincre le Tribunal hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit avec les facultés affaiblies par l’alcool.

[57] Le Tribunal retient que l’accusé circule en zigzaguant de la ligne jaune à la ligne blanche. Sa conduite est hésitante et à basse vitesse. Il s’immobilise en plein centre de la chaussée à deux cents mètres du début des manœuvres d’interception. Ses yeux sont rouges et vitreux. Sa démarche est chancelante et il sent l’alcool. Il peine à fournir un échantillon d’haleine malgré les multiples explications données par le policier.

[58] Bien qu’isolément l’un de ses symptômes puisse être insuffisant pour prouver l’affaiblissement de ses capacités par l’alcool, combinés entre eux ils convainquent le Tribunal que l’accusé avait les facultés affaiblies par l’alcool. Comme le souligne la Cour d’appel de l’Ontario, confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stellato[5] :

« Si la preuve de l’intoxication est faible au point de soulever un doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté. En revanche, l’accusé doit être déclaré coupable si la preuve révèle un degré d’intoxication qui varie de minime à grand. »

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59] DÉCLARE l’accusé coupable sur les deux chefs d’accusation.

[60] ORDONNE la suspension sur le deuxième chef considérant la règle s’opposant aux condamnations multiples[6].