R. c. Boisclair, 2018 QCCQ 5265

Dany Boisclair est accusé d’avoir eu la garde et le contrôle d’un véhicule automobile le 9 juillet 2017 à Granby alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l’alcool et aux mêmes date et endroit, d’avoir eu la garde et le contrôle d’un véhicule avec un taux d’alcool dans le sang supérieur à la limite permise.

Il ne conteste pas avoir eu les capacités affaiblies par l’alcool lorsqu’il est arrêté par les policiers. Il prétend seulement qu’il dormait dans son véhicule et ne jamais avoir eu l’intention de l’utiliser.

 

[3]           QUELQUES FAITS

[4]           Le matin du 9 juillet 2017, les policiers de Granby répondent à l’appel de la conjointe de l’accusé qui est inquiète qu’il ne soit pas rentré la nuit précédente. Avec son téléphone cellulaire, elle a pu le localiser à un endroit relativement précis de Granby. Elle a contacté la répartition et demande qu’on aille vérifier son état.

[5]           Les policiers se rendent dans un stationnement commercial de Granby à proximité de la rue Principale, à l’endroit indiqué. Il est environ 7 h A.M. et le stationnement est vide à cette heure, un dimanche matin.

[6]           Les policiers repèrent le véhicule de l’accusé et constatent que celui-ci est profondément endormi derrière le volant. Après des efforts pour le réveiller, ils constatent que les clés du véhicule sont à ses pieds mais aussi une odeur d’alcool et divers autres symptômes d’intoxication à l’alcool.

[7]           Sommé de fournir un souffle dans un appareil de détection approuvé (« ADA »), l’accusé obtient un résultat d’échec. Amené au poste de police, il fournit deux échantillons d’haleine démontrant des taux de 112 et 107 mg d’alcool par 100 ml de sang respectivement à 7 h 38 et 7 h 58. Entre les deux tests d’haleine, il complète un questionnaire, souvent appelé « scénario de consommation ». Celui-ci est déposé comme pièce P-2.

[8]           Tel est essentiellement la preuve du Ministère public.

[9]           En défense, l’accusé, de même que sa conjointe témoignent.

[10]        Dany Boisclair explique être une personne sérieuse qui ne conduit jamais quand il consomme de l’alcool. C’est une habitude que lui et sa conjointe ont, à savoir que lorsque l’un consomme de l’alcool, l’autre s’abstient et conduit. Autrement, on peut prendre un taxi ou coucher sur place si cela est possible, mais quoi qu’il en soit on évite de s’exposer aux dangers de l’alcool au volant.

[11]        Le 8 juillet 2017, la conjointe de l’accusé travaille mais lui, qui est en congé maladie est à la maison. Au début de la soirée, il décide de se rendre à Granby, question de magasiner les jeux vidéo. Je comprends qu’il semble avoir un intérêt marqué pour ceux-ci.

[12]        Dany Boisclair explique aussi avoir eu de sérieux problèmes de santé, au niveau de son œil gauche et avoir l’habitude de stationner son véhicule à un endroit central pour se déplacer à partir de celui-ci. Il avait donc repéré quelques commerces offrant des jeux, dont une boutique Vidéotron et s’était stationné dans un espace public lui permettant de faire son magasinage à pied. Il indique cesser sa recherche de jeux vidéo vers 22 h mais incidemment, remarquer qu’à l’occasion de cette belle soirée estivale, quelques bars animés se trouvaient aussi dans les parages.

[13]        Il décide de s’y arrêter et consomme de la bière et de l’alcool fort, notamment. Il demeure au bar presque jusqu’à la fermeture puis, comme il a trop bu pour conduire, se rend à son véhicule pour y dormir. Il explique qu’il n’avait pas d’argent pour se payer une chambre d’hôtel, ni pour retourner chez lui – à Sherbrooke – en taxi.

[14]        Il affirme n’avoir eu absolument aucune intention de conduire. Il se sert de son véhicule uniquement comme dortoir. Il compte retourner chez lui au cours de l’avant-midi, lorsqu’il aura dégrisé. Il indique aussi ne pas avoir pu rappeler sa conjointe, la batterie de son téléphone cellulaire étant morte.

[15]        Il est utile de rajouter que la conjointe de l’accusé a aussi témoigné. Ils sont ensemble depuis 22 ans et elle confirme leurs habitudes de non-usage de véhicule par l’un ou l’autre dans l’hypothèse où de l’alcool est consommé. Elle confirme autrement l’essentiel du témoignage de l’accusé.

[16]        Enfin, le « scénario de consommation » produit ne contredit pas le témoignage de l’accusé. Par exemple, à la question « où alliez-vous? », il répond « nulle part je me reposais dans mon véhicule ».

[17]        ANALYSE ET DÉCISION

[18]        En matière d’accusation de garde et de contrôle de véhicule à moteur avec les capacités affaiblies, le Code criminel prévoit une présomption lorsque l’accusé se trouve à la place normalement occupée par le conducteur :

258 (1) Dans des poursuites engagées en vertu du paragraphe 255(1) à l’égard d’une infraction prévue à l’article 253 ou au paragraphe 254(5) ou dans des poursuites engagées en vertu de l’un des paragraphes 255(2) à (3.2) :

  1. a)lorsqu’il est prouvé que l’accusé occupait la place ou la position ordinairement occupée par la personne qui conduit le véhicule à moteur, le bateau, l’aéronef ou le matériel ferroviaire, ou qui aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, il est réputé en avoir eu la garde ou le contrôle à moins qu’il n’établisse qu’il n’occupait pas cette place ou position dans le but de mettre en marche ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire, ou dans le but d’aider à conduire l’aéronef ou le matériel ferroviaire, selon le cas;[1]

[19]        Ce type d’accusation a fait l’objet d’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada qui en définit les contours. Il s’agit de l’arrêt R. c. Boudreault[2].

[20]        Selon cet arrêt, en ce qui est pertinent à la décision que j’ai à rendre et qui concerne Dany Boisclair, je dois vérifier si la conduite de l’accusé à l’égard de son véhicule a entraîné un risque réaliste de danger pour autrui ou un bien.

[21]        Le Juge Fish qui rédige la décision majoritaire, écrit notamment à ce sujet :

[38]           À tout le moins, la présomption doit s’interpréter ainsi : la personne trouvée ivre derrière le volant d’un véhicule ne sera pas pour cette seule raison déclarée coupable d’en avoir eu la garde ou le contrôle si elle convainc le tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de mettre le véhicule en mouvement.  Le juge en chef Dickson l’a clairement dit dans R. c. Whyte, 1988 CanLII 47 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 3, p. 19 : « On ne peut dire que la preuve de l’occupation de la place du conducteur entraîne inexorablement la conclusion que l’élément essentiel de la garde ou du contrôle existe . . . »

[22]        Il écrit aussi :

[49]    (…) De même, l’utilisation d’un véhicule à une fin manifestement innocente ne saurait emporter la stigmatisation d’une condamnation criminelle. (…)

[23]        Tous les dossiers sont différents et chaque affaire est un cas d’espèce.

[24]        Dans le cas présent, il m’apparaît convainquant que l’accusé avait la ferme intention, l’habitude et la discipline de ne pas utiliser son véhicule avant que les effets de l’alcool ne se soient dissipés et qu’en conséquence il ne représentait pas de risque réaliste de mettre en marche le véhicule de manière à entraîner un danger pour autrui ou un bien.

[25]        POUR CES MOTIFS, la défense est acceptée et l’accusé est ACQUITTÉ des deux chefs d’accusation.