R. c. Morrissette, 2018 QCCQ 4960

La poursuite reproche à l’accusé d’avoir conduit sa motoneige alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue et avec plus de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang dans son organisme.  L’accusé demande l’exclusion de la preuve, dont les résultats de l’alcootest, parce que son droit à l’avocat et à la protection contre la détention arbitraire aurait été violé.

 

LE DROIT

[34]        D’une part les termes de l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés sont clairs et ne laissent pas place à l’interprétation. L’accusé a droit de consulter un avocat sans délai et d’être informé du droit de consulter un avocat sans délai et non nécessairement ou automatiquement au poste de police. (Le souligné est de nous).

[35]        La jurisprudence est généralement aussi claire quant au sens à donner au texte de l’article 10b) de La Charte canadienne des droits et libertés. C’est dans l’application factuelle de chacune des affaires que les questions se soulèvent.

[36]        Rappelons qu’un détenu est sous le contrôle de l’État et n’a plus sa liberté. Il doit pouvoir consulter un avocat sans délai s’il le désire et le manifeste parce qu’il y a un risque de s’incriminer alors qu’il a aussi le droit de garder le silence.

[37]        Les trois conditions imposées aux policiers par l’article 10b) de La Charte sont les suivantes :

1)   Informer la personne détenue du droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat.

2)   Donner une opportunité raisonnable à un accusé d’exercer ce droit si la personne le souhaite.

3)   S’abstenir de soutirer des éléments de preuve tant que la personne détenue souhaitant consulter un avocat n’a pu le faire.

[38]        De ces conditions, il découle que les policiers ont l’obligation de faciliter l’accès à un avocat dès que le détenu exprime vouloir le faire, et ce dès la première opportunité réaliste. Dans R. c. Suberu[1], la Cour suprême du Canada, quant au délai d’exécution de ces obligations, affirme ceci : « Permettre qu’un délai sépare le début de la détention du moment où les policiers doivent s’acquitter des obligations prévues par l’al. 10b) créerait un critère imprécis et impraticable d’application du droit garanti par l’al. 10b)”.

[39]        Il revient au Ministère public de démontrer qu’un délai entre le moment où débute la détention et le moment où il peut consulter un avocat est dans les circonstances raisonnable.[2] Pour ce faire, il revient au poursuivant de démontrer l’existence d’obstacle à la réalisation du droit à l’avocat, à l’accès par l’accusé à une consultation auprès d’un avocat, et ce confidentiellement.[3]

[40]        Les principes et règles régissant le droit à l’avocat tel que réaffirmé par la Cour suprême dans l’arrêt Taylor[4] sont clairs et précis notamment en ce qui concerne les obligations des agents de la paix afin de respecter ce droit constitutionnel. Ces principes étaient déjà connus et enseignés depuis longtemps[5].

[41]        Les obligations à être respectées par l’État pour la réalisation du droit à l’avocat d’une personne détenue sont connues par les avocats, les autorités policières et leur application aussi avec la prolifération des téléphones cellulaires en possession d’une très grande partie de la population.

[42]        Les très nombreuses décisions des tribunaux révèlent qu’il y a toujours des circonstances particulières dans chaque affaire auxquelles les principes, quant à eux toujours les mêmes, s’appliquent tant dans l’exercice des fonctions des autorités policières de première ligne que dans leur examen par les tribunaux.

[43]        L’examen de la jurisprudence démontre aussi que l’application des principes n’est pas, elle, statique. Depuis déjà plusieurs années les autorités policières et leurs membres savent ou doivent savoir que si ces principes sont les mêmes, les règles de fonctionnement policières, les façons de faire, elles, doivent s’ajuster en fonction de la réalité et ne peuvent être statiques. En d’autres mots, ce n’est pas parce que l’on fait une chose depuis nombre d’années d’une certaine façon que l’on doit continuer à la faire de la même façon.

[44]        Ainsi, ce n’est pas parce que la plupart du temps la première opportunité raisonnable se présente à l’arrivée au poste de police que systématiquement l’accusé doit être informé et de fait ne pourra exercer son droit qu’au poste de police.

[45]        Il est même contradictoire d’informer un détenu qu’il a droit sans délai à l’assistance d’un avocat et d’ajouter d’un même trait qu’il ne pourra appeler cet avocat qu’au poste de police s’il le souhaite. Sans plus d’explication, de nuance, l’information alors donnée par l’agent de la paix est inexacte et viciée de sorte que l’accusé ne peut exercer un choix éclairé de répondre s’il veut ou non consulter un avocat sans délai.

[46]        La formule employée par les agents n’a pas à être sacramentelle et si de l’avis des policiers il y a des obstacles à l’exercice du droit sans délai, ils doivent l’expliquer au détenu surtout si on lui a donné l’information contradictoire qu’il avait droit d’appeler un avocat sans délai et qu’il ne pourrait le faire qu’au poste de police. Si à l’offre du droit d’appeler un avocat une personne détenue répond affirmativement elle doit pouvoir le faire dès qu’une opportunité réaliste se présente et les agents de la paix doivent permettre à cette personne d’avoir une consultation confidentielle avec son avocat et non se limiter à se rendre au poste de police sans explication.

[47]        C’est le volet informatif ici qui est vicié et qui entraîne possiblement aussi une violation dans la réalisation du droit à l’avocat comme l’affirme monsieur le juge Laflamme dans R. c. Tétreault[6] : « Le Tribunal considère que la violation est grave en ce que l’accusé a d’abord été induit en erreur par des policiers d’expérience quant au moment où il pourrait exercer son droit ».

[48]        Comment une personne détenue informée de son droit de consulter un avocat sans délai se faisant dire d’un même trait qu’elle ne pourra le faire qu’une fois au poste de police peut être diligente et faire un choix éclairé dans son acceptation ou non de consulter un avocat? On ne peut reprocher à un accusé de ne pas avoir exercé son droit de façon diligente lorsque d’emblée des agents de la paix reportent l’exercice de ce droit à plus tard. Certes, l’opportunité réaliste dépend aussi de la diligence de l’accusé et du contexte de l’intervention policière.

[49]        On sait que même la réalisation du volet informatif du droit à l’avocat peut être retardée s’il faut d’abord maîtriser un détenu violent ou désorganisé ou s’il faut sécuriser les lieux de la détention ou l’arrestation. Bien entendu, il en est de même du volet réalisation du droit à l’avocat.

[50]        Dans le présent cas, la preuve révèle et démontre que tant qu’un véhicule de patrouille n’est pas arrivé pour prendre en charge l’accusé, il est difficile, voire impraticable, de permettre à ce dernier, qui vient d’être arrêté, d’appeler un avocat dans le sentier de motoneige, en forêt à moins que les policiers ne s’écartent du détenu d’une distance telle qu’elle lui permette d’exercer confidentiellement son droit à l’avocat, distance qui dans ce cas serait non sécuritaire comme l’évoque l’agent Lévesque. Mais comment alors exercer correctement la surveillance d’une personne détenue si on lui permet de s’écarter à plusieurs dizaines de pieds des policiers pour lui permettre de parler à un avocat?

[51]        Dans le cas qui nous occupe, c’est la situation qui prévaut en forêt, dans un sentier de motoneige où il fait noir et très froid et où au surplus à tout moment, peuvent surgir une ou des motoneiges.

[52]        D’ailleurs, les policiers expliquent à l’accusé les contraintes et les obstacles qui se présentaient à ce qu’il puisse exercer sans délai dans le sentier de motoneige son droit à l’avocat. Il n’y avait pas, de fait, d’opportunité réaliste à cet endroit de permettre l’exercice du droit compte tenu des contraintes et obstacles.

[53]        Par ailleurs, sachant que deux véhicules de patrouille venaient chercher l’accusé, lesquels pouvaient constituer en soi, il faut le dire, un lieu sécuritaire pour avoir une conversation confidentielle sous l’observation constante des agents de la paix, ces derniers ne pouvaient se contenter de dire à l’accusé qu’il pourra exercer son droit au poste de police seulement, ce qui est la façon de faire statique, la procédure habituelle nous disent d’ailleurs les agents de la paix. Cette façon statique d’assurer les volets informatif et réalisation du droit à l’avocat ne tient pas compte de l’évolution d’une situation pendant une aussi longue période prévisible.

[54]        De fait, dans le présent cas, tous les policiers, au nombre de quatre, affirment que l’accusé a toujours collaboré et ne suscitait chez eux aucune crainte malgré une grande nervosité de ce dernier. On laisse l’accusé non menotté pour se réchauffer, courir, sauter sur place et ce dernier prend même des photos de la remorque sur laquelle sa motoneige est installée à l’aide de son cellulaire. Plus encore, l’accusé, sur les lieux, prend le temps d’envoyer un exemplaire de cette photo à des amis par Facebook.

[55]        On ne le menotte pas dans le bois parce que l’on ne le craint pas et l’on retient son portefeuille. À l’arrivée de l’agente Pelletier, l’accusé est assis sur la banquette arrière du premier véhicule de patrouille arrivé sur les lieux, les menottes à l’avant, et on le laisse seul, peut-être même la porte ouverte pendant près d’une quinzaine de minutes, le temps que l’agent Sanscartier arrive et que les policiers s’échangent les informations utiles et nécessaires à leur intervention.

[56]        Ce qu’il est aussi important de noter dans le présent cas, c’est que tous les agents de la paix intervenus dans cette opération étaient conscients qu’il y avait eu et aurait un temps d’attente pour l’exercice du droit à l’avocat et même que ce temps pouvait être long. De fait, il s’écoule deux heures entre l’arrestation, la détention de l’accusé et l’exercice du droit à l’avocat.

[57]        Personne ne semble s’être préoccupé de cet aspect particulier de la situation en lien avec les obligations des policiers découlant du droit de consulter un avocat sans délai.

[58]        Les policiers-motoneigistes qui demandent un véhicule de patrouille se font dire qu’il va y avoir une attente possiblement longue du fait que les patrouilleurs du poste de Nicolet couvrent un accident mortel.

[59]        Les agents Pelletier et Sanscartier savent l’attente qu’ont eue leurs collègues‑motoneigistes et l’accusé dans le sentier de motoneige. Ils en ont discuté ensemble. Et tous savent qu’il faudra au moins trente minutes additionnelles pour arriver au poste de police. Madame Pelletier ajoute que la chaussée est glissante dans des petits rangs de campagne.

[60]        À un moment donné au cours de l’intervention, une remorque est sur les lieux ainsi que quatre agents, dont deux véhicules de patrouille, alors que l’accusé est détenu depuis déjà plusieurs minutes, attendant assis dans le véhicule qu’on l’amène à un poste de police pour subir l’alcootest. Le véhicule de patrouille de l’agente Pelletier se trouve dans un petit chemin qui mène au sentier de motoneige de sorte qu’il n’y a là aucune menace à la sécurité de qui que ce soit ou à la circulation routière. Enfin, le Tribunal ne peut passer sous silence bien entendu, le fait que les agents n’ont pas de souvenir concernant la possession et l’utilisation d’un cellulaire par l’accusé. Cette absence de souvenir est d’autant plus surprenante que l’accusé l’utilise en leur présence dans le sentier pour photographier sa motoneige et c’est d’ailleurs selon lui à ce moment-là qu’on lui a saisi son appareil.

[61]        L’accusé témoigne à cet effet et n’est pas contredit. Sa version est crédible compte tenu notamment des photos déposées à l’appui de sa version (RD-4). Enfin, on ne peut reprocher à l’accusé de ne pas avoir été diligent dans l’exercice de son droit à l’avocat étant donné qu’on lui a dit qu’il ne pourrait le faire qu’au poste de police, même s’il avait répondu vouloir consulter un avocat. D’ailleurs, aussitôt arrivé au poste, après être allé aux toilettes, il parle avec un avocat.

[62]        Pour le Tribunal, il est clair qu’alors que les quatre policiers sont sur les lieux à l’écart de toute circulation automobile avec deux véhicules de patrouille, il y avait là une opportunité réaliste pour l’accusé de communiquer avec un avocat confidentiellement avec son propre cellulaire dont le Tribunal est tout à fait convaincu de l’existence, d’autant que les policiers lors de la lecture des droits de l’accusé lui ont aussi fait part à l’aide de la carte (RD-1) des numéros de téléphone du service de garde ou de l’aide juridique.

[63]        À ce moment précis où se présente cette opportunité réaliste, l’accusé est détenu depuis près d’une heure trente déjà et l’on sait qu’il s’écoulera nécessairement au moins trente minutes additionnelles.

[64]        Le Tribunal est d’autant plus convaincu que l’accusé avait en sa possession un cellulaire comme il l’affirme, que des photos ont été prises par lui et un rapport de l’agente Côté le reconduisant chez lui après l’alcootest, révèle que dans le véhicule de police il parle à quelqu’un avec son téléphone cellulaire (RD-3).

[65]        Certes, les circonstances de cette affaire, comme cela se produit régulièrement d’ailleurs, sont particulières. Elles le sont dès l’arrestation de l’accusé dans un sentier de motoneige où tant la détention de l’accusé que l’attente d’un véhicule de patrouille, le froid, présentent des contraintes multiples, opérationnelles pour les autorités policières. Ces contraintes et obstacles expliquent pourquoi on n’a pas permis à l’accusé de communiquer avec un avocat dans le sentier de motoneige.

[66]        Aucun des agents toutefois ne donne une explication, ne soulève d’obstacles réalistes à ce que l’accusé exerce le droit à l’avocat qu’il avait accepté dans le véhicule de l’agente Pelletier. Dans les circonstances de cette affaire, il est déraisonnable de conclure que le véhicule de patrouille ne constituait pas un endroit sécuritaire pour parler à un avocat puisqu’il l’était pour lui permettre de se réchauffer.

[67]        En même temps, les contraintes rencontrées par les agents de la paix lors de l’arrestation de l’accusé leur imposaient d’être encore plus vigilants dans l’exercice et le respect de leur obligation en regard du droit de l’accusé de consulter un avocat.

[68]        Le Tribunal ne croit pas que délibérément et de mauvaise foi l’un ou l’autre des agents a fait fi de ces obligations relativement au droit à l’avocat.

[69]        Ce que le Tribunal constate cependant c’est une certaine négligence ou un laxisme bien implantés dans les façons de faire policières teintées d’automatismes même dans l’application du droit de consulter un avocat.

[70]        En présence d’un individu qui collabore autant, qui ne présente pas de risque pour la sécurité de qui que ce soit de l’aveu même des policiers et qui veut parler à un avocat, l’identification de l’opportunité réaliste de permettre à l’accusé d’appeler un avocat devait être une préoccupation, plus encore, une obligation pour l’agent de la paix.

[71]        Ce n’est pas, comme l’affirme la Cour suprême du Canada dans Taylor[7], tant la longueur du délai que les raisons qui ont empêché l’existence d’une opportunité raisonnable. Il ne s’agit pas de minimiser ici les difficultés et les contraintes rencontrées par les policiers dans l’exercice de leurs fonctions que nous avons déjà considérées.

[72]        Néanmoins, depuis le temps que les tribunaux se prononcent sur des allégations de violation du droit à l’avocat dont le texte législatif est pourtant clair tel que réaffirmé par la Cour suprême du Canada[8], le Tribunal croit et conclut que le laxisme, la négligence ou l’absence de rigueur dans le respect de ce droit n’ont plus leur raison d’être alors que bien souvent, le bon sens à lui seul révèlera la présence ou l’absence d’opportunité réaliste ou raisonnable pour permettre à une personne détenue d’appeler un avocat.

[73]        Dans le présent cas, il y a eu violation tant du volet informatif que du volet réalisation du droit à l’avocat.

UTILISATION DES ÉLÉMENTS DE PREUVE OBTENUS À LA SUITE DE LA VIOLATION DU DROIT À L’AVOCAT

[74]        Est-ce que l’utilisation de ces éléments de preuve, notamment l’alcootest, est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice? Appliquant le test de l’arrêt Grant[9] de la Cour suprême du Canada, le Tribunal doit se demander si permettre à la poursuite d’utiliser la preuve recueillie à la suite de la violation du droit à l’avocat donnerait à penser à la population que les tribunaux tolèrent les violations, « les entorses » de l’État au principe de la primauté du droit.

[75]        Pour en décider, le Tribunal doit analyser la gravité de la violation par l’État, l’incidence de cette violation sur les droits de l’accusé et l’intérêt de la société à ce qu’une affaire soit jugée au fond.

[76]        Rappelons qu’il ne s’agit pas ici de sanctionner la conduite de l’État, des policiers, le but de l’exercice étant de ne pas miner la confiance du public en l’administration de la justice.

GRAVITE DE LA CONDUITE DE LA VIOLATION

[77]        Tel qu’énoncé précédemment, le droit fondamental d’une personne détenue d’avoir accès au service d’un avocat, n’est plus à expliquer ou à vulgariser ni pour la population ni pour les représentants de l’État particulièrement les forces policières.

[78]        Le texte législatif parle par lui-même et son interprétation depuis plusieurs années à partir de diverses circonstances factuelles dont la disponibilité du cellulaire en possession de la personne détenue n’en est pas modifiée. La possession d’un cellulaire par une personne détenue qui ne demande pas à parler à un avocat ne change rien au principe. Le détenu doit d’abord accepter l’offre de consulter un avocat et le faire avec diligence.

[79]        La disponibilité d’un ou de plusieurs cellulaires pour un détenu en crise ou arrêté dans des circonstances telles que la sécurité de qui que ce soit est en péril encore une fois ne modifie par les principes et l’interprétation du droit à l’avocat. Dans de telles circonstances, il n’y a pas d’opportunité réaliste de permettre à un individu détenu d’exercer son droit à l’avocat. L’opportunité réaliste dépend de nombreux facteurs et la disponibilité d’un cellulaire n’en est qu’un.

[80]        Il en est de même de l’opportunité de communiquer confidentiellement. Les policiers n’ont pas à demander à un détenu s’il renonce à cette caractéristique de l’exercice du droit de communiquer avec un avocat. Cependant, ils doivent se demander s’il existe une possibilité réaliste de permettre à l’accusé une communication confidentielle.

[81]        Permettre à un détenu calme de communiquer avec un avocat dans un véhicule à l’arrêt dans un lieu sécuritaire, sans clef, sous l’observation constante d’un ou de plusieurs agents situés à l’extérieur du véhicule, eux-mêmes en sécurité, permettra généralement la réalisation de l’exercice du droit à l’avocat en toute confidentialité.

[82]        Évidemment, d’autres circonstances feront en sorte que cette possibilité n’est pas raisonnable, ce qui n’est pas le cas ici.

[83]        La poursuite doit démontrer un obstacle ou un danger réel même si non immédiat. Il n’y a pas de telle preuve ici, à partir de l’arrivée de policiers avec leur véhicule de patrouille respectif.

[84]        Le contre-interrogatoire des agents révèle ce laxisme persistant, ce manque de rigueur et de réel souci de faciliter à l’accusé l’exercice de son droit fondamental.

[85]        Les décisions des tribunaux de première instance et d’appel permettent de constater une sorte d’entêtement de certains, voire plusieurs représentants de l’État, dans cette façon de faire.

[86]        Pour cette raison, même en l’absence de mauvaise foi ou de manquement délibéré la violation est grave et le comportement en cause aussi.

L’INCIDENCE DE LA VIOLATION

[87]        Les policiers n’ont pas tenté de recueillir d’éléments de preuve avant que l’accusé n’ait parlé à son avocat.

[88]        Force est de constater toutefois que la longue détention, par ailleurs légale et justifiée, au surplus pour un accusé très volubile était susceptible pour un tel individu qui n’a pas parlé à un avocat, de ne pas exercer son droit au silence et de donner ainsi l’occasion aux policiers de recueillir des propos incriminants. La violation du droit à un avocat peut aussi rendre la détention illégale.

[89]        Pour le Tribunal, une autre illustration d’un laxisme ou du manque de rigueur des agents dans le présent cas en regard de leur devoir de faciliter à l’accusé l’exercice de son droit est le fait que dès le départ sans y revenir ils mentionnent à l’accusé qu’il ne pourra consulter un avocat qu’une fois rendu au poste de police alors qu’ils savent qu’avant de pouvoir exercer ce droit au poste de police l’accusé sera détenu pendant de nombreuses minutes.

[90]        La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manninen[10] souligne que la bonne foi n’est qu’un des facteurs de l’analyse. Plus la détention est longue avant que les policiers ne permettent l’exercice du droit à l’avocat, plus l’incidence de la violation est importante. Pour employer les qualificatifs de la Cour suprême dans l’arrêt Grant[11] la portée de l’atteinte n’est pas que formelle ou technique ici, mais il s’agit d’une violation attentatoire qui peut amener à penser que les mots ne disent pas ce qu’ils veulent dire et que le droit de communiquer sans délai peut être suspendu même sans raison valable. L’obligation des policiers de faciliter sans délai devient alors secondaire.

L’INTÉRÊT DE LA SOCIÉTÉ À CE QUE CETTE AFFAIRE SOIT JUGÉE AU FOND

[91]        La conduite d’un véhicule à moteur avec la capacité de conduire affaiblie par l’alcool constitue une infraction grave que les gouvernements, la population et les tribunaux ne cessent de dénoncer dans l’exercice de leurs compétences respectives.

[92]        Sur le plan objectif, il ne s’agit pas d’une infraction parmi les plus graves du Code criminel.

[93]        Les résultats de l’alcootest constituent une preuve pertinente et fiable, voire essentielle, pour poursuivre les procédures et établir la perpétration de l’infraction dans la majorité des cas comme dans le présent.

[94]        Ceci étant dit, la présente affaire ne présente pas de circonstances aggravantes. Le taux d’alcoolémie était de 111 milligrammes, l’accusé était seul sur sa motoneige et selon la preuve il n’y a pas eu d’accident ni même de risque d’accident au moment de l’interception.

CONCLUSION

[95]        En pondérant l’ensemble des facteurs, le Tribunal conclut que l’admission de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[96]        Compte tenu de cette décision, il n’est pas nécessaire de décider des deux autres questions en litige soit le caractère arbitraire de la détention de l’accusé et le fait que les échantillons n’ont pas été prélevés, dès que matériellement possible.

[97]        Néanmoins, le Tribunal conclut que les échantillons ont de fait été prélevés dès que cela a été matériellement possible.

[98]        Au contraire de cette prétention, les agents de la paix impliqués dans cette intervention ont fait tout en leur pouvoir compte tenu des circonstances pour que cette exigence soit respectée qui de fait l’a été.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

CONCLUT     qu’il y a eu violation du droit à l’avocat.

EXCLUT        la preuve recueillie à compter de l’arrestation de l’accusé, y compris les résultats de l’alcootest.