R. c. Brazeau, 2017 QCCQ 3926

Le requérant a-t-il établi, selon la balance des probabilités, qu’il n’occupait pas le siège du conducteur dans le but de mettre en marche le véhicule au sens de l’article 258 (1)a) C.cr.?

 

 

Le cas échéant, la poursuite a-t-elle prouvé, hors de tout doute raisonnable, les éléments constitutifs de l’infraction de garde ou contrôle décrite à l’article 253(1) du Code criminel?

 

 

   i.        Monsieur Brazeau a-t-il renversé la présomption édictée à l’article 258 (1) a) en établissant qu’il n’occupait pas la place du conducteur dans le but de mettre en marche le véhicule?

[26]        De façon générale, tous les témoins entendus sont crédibles. Monsieur Gagnon confirme l’essentiel du témoignage de monsieur Brazeau. Le Tribunal relève néanmoins quelques contradictions entre leur témoignage. Monsieur Gagnon témoigne que c’était la première fois que monsieur Brazeau lui demandait d’aller le chercher. Monsieur Brazeau indique plutôt que c’était déjà arrivé notamment lorsqu’il a fait sa tentative de suicide survenue deux mois auparavant. Monsieur Gagnon ajoute avoir appris la tentative de suicide de son ami lorsqu’il l’a appelé à sa fête, soit environ une semaine plus tard.

[27]        La crédibilité de monsieur Brazeau est affectée partiellement du fait qu’il a menti au policier quant à sa consommation. Sa justification selon laquelle on lui aurait enseigné, lors de ses études en droit, qu’il ne fallait jamais admettre avoir consommé à un policier est boiteuse et n’est pas crue. D’autre part, étant donné qu’il confirme la plupart des faits avancés par le policier, force est de conclure qu’il est loin de mentir sur toute la ligne.

[28]        Ces éléments, voire ces divergences, ne sont pas suffisants pour écarter en totalité leur témoignage par ailleurs crédible dans leur ensemble.

[29]        Les observations du policier lors de deux visites distinctes à 45 minutes d’intervalle, le recoupement du témoignage crédible de monsieur Gagnon avec celui de monsieur Brazeau convainquent que celui-ci n’avait pas l’intention de conduire. L’absence d’intention de conduire n’est pas un moyen de défense et ne joue que pour réfuter la présomption prévue à l’article 258(1)a) du C.cr.

[30]        Monsieur Brazeau a prouvé de façon prépondérante qu’il n’occupait pas la place du conducteur dans le but de mettre le véhicule en marche. Ainsi, la présomption prévue à l’article 258(1) C.cr. est renversée.

  1.                        La poursuite a-t-elle prouvé, hors de tout doute raisonnable, les éléments constitutifs de l’infraction de garde ou contrôle décrite à l’article 253(1) du Code criminel?

[31]        Dans R. c. Boudreault[1], la Cour suprême précise la notion de garde et contrôle au sens de l’article 253(1) C.cr. L’infraction requiert (1) une conduite intentionnelle à l’égard du véhicule; (2) par une personne dont la capacité de conduire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou dont l’alcoolémie dépasse la limite légale; (3) dans des circonstances entraînant un risque réaliste, et non une infime possibilité, de danger pour autrui ou pour un bien.

[32]        En ce qui concerne le premier élément de l’infraction, il est prouvé hors de tout doute raisonnable. Monsieur Brazeau a pris place intentionnellement dans le véhicule. De façon tout aussi intentionnelle, il a branché son téléphone cellulaire pour recharger la pile afin de recevoir l’appel de son ami. Les actions sont minces, voire anodines, mais constituent tout de même des gestes intentionnels impliquant une utilisation d’une composante du véhicule. Par ailleurs, il y a lieu de retenir qu’il n’a jamais mis le moteur en marche malgré le fait qu’il avait les clefs dans ses poches.

[33]        Le deuxième élément, à savoir que la personne a les facultés affaiblies ou une alcoolémie supérieure à la limite, ne fait pas de doute. Une admission formelle quant à l’alcoolémie a été faite au début du procès et monsieur Brazeau a avoué qu’il était en état d’ébriété avancé.

[34]        Enfin, le ministère public doit prouver, hors de tout doute raisonnable, que monsieur Brazeau se trouvait dans des circonstances entraînant un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.

[35]        Dans l’arrêt Boudreault, précité, la Cour suprême traite de la preuve requise de la façon suivante :

[13] (…) En l’absence de toute preuve contraire, la capacité actuelle de conduire en état d’ébriété, ou avec une alcoolémie supérieure à la limite fixée par la loi, présente un risque intrinsèque de danger.  En pratique, pour éviter d’être déclaré coupable, l’accusé devra faire face, sur le plan tactique, à la nécessité de présenter des éléments de preuve tendant à prouver que ce risque intrinsèque de danger n’était pas réaliste dans les circonstances particulières de l’affaire.

[36]        Ce danger doit être réaliste et non être seulement « possible en théorie ». Il n’a pas non plus à être « probable », ni même « sérieux ou considérable ».

[37]        Monsieur Brazeau a le fardeau de prouver que ce risque intrinsèque de danger n’était pas réaliste. Pour ce faire, il doit présenter des éléments de preuve crédibles et fiables tendant à prouver qu’il n’y avait pas de risque réaliste de danger dans les circonstances particulières de l’affaire. L’arrêt Boudreault a déterminé que le risque réaliste peut survenir de trois façons :

[42]      (…) D’abord, une personne ivre qui, initialement, n’a pas l’intention de conduire peut, ultérieurement, alors qu’elle est encore intoxiquée, changer d’idée et prendre le volant.  Ensuite, une personne ivre assise à la place du conducteur peut, involontairement, mettre le véhicule en mouvement.  Enfin, par suite de négligence ou d’un manque de jugement ou autrement, un véhicule stationnaire ou qui n’est pas en état de fonctionner peut mettre des personnes ou des biens en danger.

[38]        La Cour rappelle que « l’utilisation d’un véhicule à une fin manifestement innocente ne saurait emporter la stigmatisation d’une condamnation criminelle. »[2]

[39]        Quant au premier type de risque, il est reconnu qu’une personne ivre, qui n’a pas l’intention initiale de conduire, peut changer d’idée et décider de conduire son véhicule. L’arrêt Boudreault enseigne qu’il faut alors examiner tous les éléments de preuve pertinents et tenir compte de divers facteurs.

[40]        Certes, l’instabilité psychologique qu’éprouvait monsieur Brazeau rend ce risque possible, du moins, en théorie. Un tel niveau est insuffisant, pas plus que l’on peut qualifier le risque de probable, sérieux ou considérable. La preuve révèle que, malgré son état, il renonce à son plan suicidaire, appelle un ami et l’attend. Malgré l’écoulement du temps depuis son appel à l’aide, il ne déroge pas au plan adopté. Pendant ce temps, le véhicule est immobilisé, moteur éteint. Il ne pose aucune action laissant croire qu’il pourrait soudainement changer d’idée. Son plan est bien arrêté : il ne quitte pas les lieux avec son véhicule et il attend monsieur Gagnon. Les échanges en mode BBM lui permettent d’avoir la certitude que son ami s’en vient. Monsieur Gagnon tente de communiquer avec lui à plusieurs reprises alors qu’il est en route vers Gatineau. Il ressort de la preuve que c’est en raison de son arrestation que monsieur Brazeau ne répond pas aux appels. Le témoignage de monsieur Gagnon confirme le caractère sérieux du plan et de sa fiabilité. Le Tribunal accepte ce plan.

[41]        En ce qui concerne le second type de risque, la mise en marche involontaire relève de la pure conjecture. Le véhicule est bien stationné sur une surface plane, et ce, depuis quelques heures. Le policier constate ce fait à deux reprises à 45 minutes d’intervalle. Le moteur n’est pas en marche et aucun instrument n’est en fonction. Les clefs ne sont pas dans le commutateur de démarrage. Rien n’indique que la transmission soit au neutre ou que l’on puisse facilement faire démarrer le véhicule ou le mettre en mouvement. Sous cet aspect, le risque est irréaliste.

[42]        Enfin, rien dans la preuve ne permet de conclure que le véhicule représentait un quelconque risque pouvant mettre des personnes ou des biens en danger par suite de négligence ou d’un manque de jugement ou autrement.

[43]        Somme toute, la preuve ne révèle pas des circonstances pouvant entraîner un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien. Considérant que l’un des éléments essentiels de l’infraction de garde et contrôle d’un véhicule n’a pas été prouvé hors de tout doute raisonnable, il y a lieu d’acquitter monsieur Brazeau.