Peu importe ce que l’on peut penser de la mise en liberté provisoire de Guy Turcotte, nous vous suggérons ici une définition du 3e critère à considérer dans l’évaluation d’une mise en liberté provisoire, soit la nécessité d’une détention pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice.

R. c. Lamothe, 1990 CanLII 3479 :

Cette notion a déjà fait l’objet de plusieurs études récentes de mes collègues (R. c. McGuire; Assayed c. R., précitées) même si, dans ces espèces, il s’agissait de demandes de libération postérieure à un verdict de culpabilité et de nombreuses autres décisions.  Dans un jugement récent R. c. Lalli-Caffini reflex, (1989) R.J.Q. 161 fort élaboré l’honorable juge Réjean Paul de la Cour supérieure,  faisant  la synthèse de la jurisprudence sur l’intérêt public, alors qu’il ordonnait dans cette  cause l’incarcération du prévenu, notait que ce critère, contrairement à ce que d’aucuns en pensent, paraît désormais bien maîtrisé par la jurisprudence.  La notion d’intérêt public comprend deux éléments. Le juge doit se demander, d’une part, quelle sera la perception du public si le prévenu est remis en liberté et, d’autre part, quelle sera la réaction de celui-ci. Ces deux critères ne m’apparaisse pas devoir se confondre l’un avec l’autre.

 S’agissant tout d’abord de la perception du public, comme on le sait, face aux criminels ou aux criminels en puissance, une large partie du public canadien adopte souvent une attitude négative et parfois passionnée. Il veut se voir protéger, voir les criminels en prison et les voir châtier durement.  Se débarrasser du criminel, c’est se débarrasser du crime.  Il perçoit alors indûment le système judiciaire et celui de l’administration de la justice en général comme trop indulgent, trop mou, trop bon pour le criminel. Cette perception, presque viscérale face au crime, n’est sûrement pas celle sur laquelle le juge doit se fonder pour décider de la remise en liberté. Dans cette hypothèse en effet, les personnes accusées de certains types d’infraction ne seraient jamais remises en liberté parce que la perception du public est négative à l’égard du type de crime commis, alors que d’autres, au contraire, seraient presque automatiquement libérées vu la perception plus neutre ou plus indulgente du public.

 Le droit criminel et son exercice a aussi et doit avoir à l’égard du public une valeur éducative. Le public informé doit comprendre que l’existence de la présomption d’innocence à toutes les étapes du processus pénal n’est pas une notion purement théorique, mais une réalité concrète et que, malgré ce qui peut passer, dans sa perception, pour certains inconvénients quant à l’efficacité de la répression criminel1e, elle est le prix à payer pour une vie dans une  société  libre  et démocratique.  C’est donc à un niveau plus élevé qu’il faut se placer, soit celui d’un public raisonnablement informé de notre système de droit pénal et capable de juger et de percevoir sans passion que l’application de la présomption d’innocence, même au niveau de la liberté provisoire, a pour effet qu’effectivement des gens qui, plus tard, seront trouvés coupables, même de crimes sérieux, auront cependant retrouvé leur liberté entre le moment de leur arrestation et celui de leur procès. En d’autres termes, le critère de la perception du public ne doit pas s’exercer à partir du plus petit commun dénominateur. Un public informé comprend donc qu’il existe au Canada une présomption d’innocence garantie constitutionnellement (art. 11 d) de la Charte) et le droit de n’être pas privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable (art. 11 e) de la Charte).

  S’agissant de la réaction du public, le juge doit se demander si la remise en liberté du prévenu en attendant son procès risque, dans le milieu d’un public raisonnablement informé, provoquer une réaction qui jetterait le discrédit ou l’opprobre sur  l’administration de la justice pénale.  Il convient peut-être de rappeler à cet égard, bien qu’énoncés dans un tout autre contexte, les propos de M. le juge Antonio Lamer dans l’arrêt Collins c. R., (1987) 1 R.C.S. p. 281:

 La notion de déconsidération inclut nécessairement un certain élément  d’opinion  publique  et  la  détermination de la déconsidération exige donc que le juge se réfère à ce qu’il estime être l’opinion de la société en général. Ceci ne veut pas dire que la preuve de la perception du public à l’égard de la considération dont jouit l’administration de la justice, qui, de l’avis du professeur Gibson, pourrait être produite sous forme de sondages d’opinion (précité, aux pp. 236 à 247), sera déterminante sur cette question (voir Therens, précité, aux pp. 653 et 654). La position est différente en matière d’obscénité par exemple, où le tribunal doit évaluer le degré de tolérance de la société, son caractère raisonnable et peut considérer les sondages d’opinion (R. v. Prairie Schooner News Ltd. and Powers (1970) 1 C.C.C. (2d) 251 (C.A. Man.), à la p. 266, cité dans l’arrêt Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine, 1985 CanLII 75 (CSC), (1985) 1 R.C.S. 494, à la p.  513). Il serait peu sage, à mon humble avis, d’adopter une attitude semblable à l’égard de la Charte. En règle générale, les membres du public ne deviennent conscients de l’importance de la protection des droits et libertés des accusés que lorsqu’ils sont eux-mêmes de quelque manière mis en contact plus intime avec le système, soit personnellement, soit par l’expérience de leurs proches ou d’amis.  Le professeur Gibson a reconnu le danger qui peut se présenter si l’on permet à des membres du public mal informés de décider de l’exclusion d’éléments de preuve, lorsqu’il dit, à la p. 246:

  (Traduction) La détermination finale  doit  relever  des tribunaux, parce qu’ils constituent souvent la seule protection efficace des minorités impopulaires et des individus contre les revirements de la passion publique. »

  La dangerosité de l’individu, les circonstances de l’acte reproché, le type d’infraction, la situation de la victime sont, parmi d’autres, des facteurs qui peuvent aider le juge à se former une idée relative de cette réaction. La justice pénale ne doit pas donner prise au scandale.  Elle doit donner l’image d’une justice sereine, impartiale et exemplaire.