Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Vendredi dernier, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Tse, 2012 CSC 16,  a invalidé l’art. 184.4 C.cr. qui permet à un agent de la paix d’intercepter certaines communications privées sans autorisation judiciaire préalable dans les cas où il y a urgence.

184.4 L’agent de la paix peut intercepter, au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, une communication privée si les conditions suivantes sont réunies :

a) il a des motifs raisonnables de croire que l’urgence de la situation est telle qu’une autorisation ne peut, avec tout la diligence raisonnable, être obtenue sous le régime de la présente partie;

b) il a des motifs raisonnables de croire qu’une interception immédiate est nécessaire pour empêcher un acte illicite qui causerait des dommages sérieux à une personne ou un bien;

c) l’auteur de la communication ou la personne à laquelle celui-ci la destine est soit la victime ou la personne visée, soit la personne dont les actes sont susceptibles de causer les dommages.

La décision du plus haut tribunal du pays découle d’une cause qui a été entendue en Colombie-Britannique à la suite d’une affaire de kidnapping et d’extorsion, en 2006.

La décision

Aux paragraphes 10 et 11, la Cour suprême énonce le ratio decidendi de sa décision :

[10]     L’article 184.4 établit un certain nombre de conditions. Correctement interprétées, ces conditions visent à faire en sorte que le pouvoir d’intercepter des communications privées sans autorisation judiciaire ne puisse être exercé qu’en cas d’urgence pour éviter des dommages sérieux. Dans cette mesure, cet article établit un juste équilibre entre les droits garantis à un particulier par l’art. 8 de la Charte et l’intérêt de la société à prévenir des dommages sérieux.

[11]     Nous estimons cependant que l’art. 184.4 est invalide sur le plan de la reddition de compte, parce que le régime législatif ne prévoit aucun mécanisme permettant de surveiller l’exercice, par les policiers, du pouvoir qu’il leur confère. Un aspect particulièrement troublant de l’art. 184.4 tient au fait qu’il n’exige pas qu’un avis soit donné aux personnes dont les communications privées ont été interceptées. C’est la raison pour laquelle nous croyons que l’art. 184.4 viole l’art. 8 de la Charte. Par conséquent, nous sommes d’avis de déclarer cet article inconstitutionnel. À titre de réparation, nous avons conclu à la nécessité de suspendre l’effet de cette déclaration pendant 12 mois, afin de laisser au législateur suffisamment de temps pour rendre l’article conforme à la charte.

À noter que le Projet de loi C-30 (Loi édictant la Loi sur les enquêtes visant les communications électroniques criminelles et leur prévention et modifiant le Code criminel et d’autres lois), déposé à la Chambre des communes le 14 février 2012, assortit l’art. 184.4 d’une obligation de donner un avis après coup. À la section 2.2.1.1.2 du résumé législatif du projet de loi C-30, on peut y lire ce qui suit :

Enfin, comme pour l’interception non consensuelle autorisée par un juge (art. 185 et 186 du Code), l’article 14 du projet de loi prévoit que, dans le cas d’une interception sans autorisation judiciaire faite en raison des circonstances exceptionnelles précisées à l’article 184.4 du Code, le ministre fédéral de la Sécurité publique ou le procureur général d’une province devra aviser la personne ciblée qu’elle a fait l’objet d’une interception, et ce, généralement dans les 90 jours suivant l’interception. Sur demande présentée à un juge, ce délai pourra être porté à trois ans si l’enquête policière se poursuit (art. 196 du Code).

Obiter dictum : La multitude de personnes habilités à employer les mesures extraordinaires prévues à l’art. 184.4 rendrait cette disposition vulnérable sur le plan constitutionnel

L’article 184.4 habilite un « agent de la paix » à intercepter des communications privées, sans avoir obtenu d’autorisation judiciaire, dans des situations d’urgences étroitement circonscrites. La définition du terme « agent de la paix » s’étend à une grande diversité de personnes, dont les maires et préfets, les huissiers employés à l’exécution des actes judiciaires au civil et les gardes et autres fonctionnaires ou employés permanents d’une prison.

Compte tenu notamment du trop grand nombre de personnes autorisées à invoquer l’art. 184.4, la Cour suprême mentionne au paragraphe 57 de sa décision qu’ « [i]l se peut que cette disposition soit vulnérable sur le plan constitutionnel  ».