*** Mise à jour le 16 février 2019. 

R. c. Blanchard, 2019 CSC 9

En l’absence d’un dossier adéquat sur les questions constitutionnelles que soulève la question de savoir si l’intoxication volontaire est disponible pour l’infraction prévue à 254(5), d’observations étoffées et d’un avis aux parties qui doivent en recevoir un, nous nous abstenons toutefois expressément de décider s’il est permis d’invoquer cette défense.

Le juge Brown — Nous sommes d’avis d’accueillir l’appel. Au procès et durant les plaidoiries orales devant la Cour d’appel, le ministère public a concédé que l’accusé pouvait contester une accusation d’avoir refusé de fournir un échantillon d’haleine en invoquant la défense d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. Compte tenu de cette concession, et soit dit en tout respect, nous estimons que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en soulevant la question du droit d’invoquer cette défense et en la tranchant. Au regard de la concession du ministère public, nous ne sommes pas convaincus que le juge du procès a commis une erreur de droit dans sa compréhension ou son application de la défense d’automatisme. Dans ces circonstances inhabituelles, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’annuler le verdict d’acquittement; nous le rétablissons donc. Ce faisant, en l’absence d’un dossier adéquat sur les questions constitutionnelles que soulève cette question, d’observations étoffées et d’un avis aux parties qui doivent en recevoir un, nous nous abstenons toutefois expressément de décider s’il est permis d’invoquer cette défense.

Opinion du juge minoritaire dans Blanchard 2018 QCCA 1069 : La défense d’automatisme dû à une intoxication volontaire est disponible pour l’infraction prévu à 254(2) C.cr.

[92] Il serait contraire aux règles d’une société libre et démocratique de condamner une personne qui agit involontairement, sauf si une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables, exclut ce moyen de défense. Voilà le résultat de l’arrêt Daviault, auquel répond l’article 33.1 C.cr. Comme tout droit protégé par la Charte, il peut être restreint par une règle de droit, au sens de l’article 1 de la Charte. Pour me répéter, c’est justement l’objectif de l’article 33.1 C.cr. C’est ce que rappelait le ministre de la Justice lors des débats à la Chambre des communes, le 27 mars 1995, (Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 35e lég., 1re sess., vol. 133, p. 1205), de même que la Cour suprême dans R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 575, au paragraphe 35. Une telle restriction à un droit protégé par la Charte ne peut être créée par une cour sous prétexte qu’une infraction « fait partie intégrante d’un ensemble d’infractions visant à réprimander la conduite d’un véhicule moteur à la suite d’une intoxication volontaire », comme le propose mon collègue. D’ailleurs, faut-il rappeler que les éléments essentiels de cette infraction ne comprennent aucunement la consommation d’alcool (ou de drogue), contrairement à la conduite avec capacité affaiblie ou avec une alcoolémie supérieure à la loi, les deux infractions pour lesquelles certains tribunaux ont nié la recevabilité de la défense d’intoxication extrême justement parce que la perpétration d’une infraction ne peut pas, du même souffle, constituer un moyen de défense.

 

R. c. Blanchard, 2018 QCCA 1069

La Cour d’appel du Québec statue sur l’applicabilité de la défense d’automatisme sans troubles mentaux résultant d’une intoxication volontaire à l’alcool dans le cadre de l’infraction d’avoir fait défaut d’obtempérer à un ordre donné par un agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine.

Tout d’abord, la Cour rappelle que la défense d’automatisme sans troubles mentaux s’attaque au caractère volontaire d’une infraction (actus reus) plutôt qu’à son caractère délibéré (mens rea). Ainsi, une telle défense devrait remettre en doute la capacité de l’accusé de refuser, le refus étant alors un acte involontaire, et non la capacité de l’accusé de porter un jugement sur les conséquences de ses actes, le refus devenant alors ici un acte irréfléchi :

[30]        Il n’est pas contesté que la défense d’automatisme sans troubles mentaux s’attaque au caractère volontaire d’une infraction (une composante de l’actus reus) plutôt qu’à son caractère délibéré (une composante de la mens rea). Comme le signalait le juge Bastarache dans R. c. Stone[8]:

[170]   Dans l’arrêt Parks, précité [1992 CanLII 78 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 871], le juge La Forest a qualifié l’automatisme de composante de l’exigence de caractère volontaire, qui, également selon lui, fait elle‑même partie de l’élément actus reus de la responsabilité criminelle (p. 896).  Je partage cet avis et j’ajouterais que c’est le caractère volontaire, et non la conscience, qui constitue l’élément juridique principal du comportement automatique, puisqu’une défense d’automatisme revient à nier l’existence de la composante de l’actus reus, qu’est le caractère volontaire.

[31]        Or, dans ce cas-ci, l’expertise au soutien de la défense d’automatisme s’attarde au caractère délibéré du comportement de l’intimée[9], plutôt qu’à son caractère volontaire, la conclusion de l’expertise écrite étant la suivante :

Suite à ma rencontre avec Madame Blanchard, suite à mon étude du rapport de police, je suis d’avis que l’état d’intoxication sévère dans lequel se trouvait Madame Blanchard affectait son jugement de façon suffisamment importante pour la faire considérer comme étant alors dans un état d’incapacité de comprendre les enjeux, les conséquences du refus d’obtempérer à l’ordre de passer le test d’ivressomètre. On peut donc parler à bon droit d’une incapacité à former l’intention de refuser de passer le test.

[Soulignement ajouté]

[32]        C’est au jugement de l’intimée et à sa capacité de comprendre les conséquences du refus d’obtempérer que s’attarde l’expert, c’est-à-dire au caractère délibéré de son refus d’obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d’haleine. Cela ressort très clairement de l’extrait suivant du témoignage de l’expert de la défense lors du contre-interrogatoire[10] :

  1. Donc, ce que vous dites, c’est… c’est toujours, aussitôt qu’il y a un refus dans votre cas à vous, c’est irrationnel?
  2. Non.
  3. C’est quoi la différence avec madame Blanchard?
  4. Non, c’est juste un élément de plus dans son cas à elle, parce que c’est elle que j’ai examinée. Pour moi, madame Blanchard, une femme, a une carrière professionnelle qui a des notions importantes de droit, qui a des connaissances de la loi, pour moi, c’est une manifestation d’un trouble de jugement.
  5. C’était la seule?
  6. Ben, c’était la seule…! Le fait d’avoir conduit, c’en est une autre sûrement. Le fait qu’elle décide de mettre une robe de soirée pour …
  7. Donc, un manque de jugement pour vous, c’est irrationnel? Absolument?
  8. Un manque de jugement, si c’est irrationnel? Ben…
  9. Je vous demande qu’est-ce qui est irrationnel, vous dites : « Les manques de jugement de madame Blanchard »?
  10. Oui, la décision qu’elle prend, c’est irrationnel, c’est un… et c’est le reflet d’un manque de jugement, d’une incapacité, à mon point de vue, d’analyser une situation pour arriver à formuler un jugement qui est raisonnable.

[33]        Cette conception de l’automatisme conduit l’expert à conclure qu’il ne s’agit pas d’un phénomène rare. Il se manifesterait chaque jour pour chaque personne. D’ailleurs, selon cette conception, l’intimée serait en état d’automatisme à peu près chaque fois qu’elle consomme de l’alcool[11] :

  1. Vous êtes en mesure de dire que c’est rare des cas d’automatisme?
  2. Ben, c’est rare…! Je ne sais pas si c’est rare, mais ça doit être (inaudible). C’est pas rare dans le sens que de l’automatisme… on en fait tous une certaine forme d’automatisme. Un automatisme, par définition, c’est un comportement dont on n’a pas conscience. Alors, il y a beaucoup de gestes qu’on fait dans la vie courante qui sont des gestes automatiques sans qu’il y ait une pensée derrière. La plupart du temps, c’est un… ce sont des automatismes non pathologiques. C’est… Quand on marche, par exemple, on n’a pas conscience à chaque pas qu’on fait qu’on… qu’il y a une décision derrière ça de prise que, là, on avance le pied gauche, on avance le pied droit à répétition et tout ça. Ça, c’est présent lorsqu’on commence à apprendre à marcher, mais ça disparaît et ça tombe… ça tombe dans le domaine de l’automatisme par la suite.
  3. Donc, des cas d’automatisme, c’est pas rare. C’est ça?
  4. C’est pas rare. C’est sûr que c’est pas rare.

Q, Il y en a plusieurs?

  1. Ben oui.
  2. Dans le cas de madame, c’était au moins… c’était à chaque semaine, vous l’avez dit tantôt?
  3. Probable.

[34]        Une conception aussi large et élastique de l’automatisme confond le caractère délibéré des gestes d’un accusé avec le caractère volontaire de ceux-ci. Accepter cette approche à l’automatisme dans le cas de l’intimée conduit à la conclusion que cette dernière aurait toujours une excuse valable pour boire à outrance et conduire car elle se trouverait en état d’automatisme presque chaque fois. En cautionnant l’expertise de la défense, c’est cette approche qui a été retenue par le juge de première instance[12]. Avec respect, une telle approche m’apparaît insoutenable sur le plan du droit et ne saurait être avalisée par cette Cour.

[35]        Contrairement à l’approche retenue par l’expert de la défense et cautionnée par le juge, « les vrais cas d’automatisme sont extrêmement rares », y compris les cas d’ivresse extrême s’apparentant à l’automatisme[13]. Dans le cas d’une infraction de refus d’obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d’haleine — dans la mesure où la défense d’intoxication volontaire menant à l’automatisme sans troubles mentaux serait disponible dans un tel cas, ce qui selon moi n’est pas le cas — c’est à la capacité de l’accusé de refuser d’obtempérer à l’ordre qui est en cause et non pas sa capacité de porter un jugement quant aux enjeux et aux conséquences de ce refus. Le refus doit résulter d’un acte involontaire et non pas d’un acte irréfléchi[14].

[36]        C’est cette distinction importante qu’occulte le jugement de première instance en avalisant une expertise qui confond le caractère volontaire avec le caractère délibéré de l’infraction. Il s’agit là d’une erreur de droit.

S’appuyant également sur des motifs d’interprétation législative, la Cour d’appel énonce clairement qu’une défense d’automatisme à la suite d’une intoxication volontaire n’est jamais applicable pour l’infraction de refus, tout comme elle ne l’est jamais pour l’infraction de conduite avec les capacités affaiblies :

[42]        Les articles 253 à 255 du Code criminelforment un tout cohérent visant à empêcher un fléau social dangereux, soit la conduite d’un véhicule moteur avec les facultés affaiblies par l’alcool ou une drogue. L’infraction de conduite en état d’ébriété fut introduite au Code criminel en 1921 et celle d’avoir la possession ou le contrôle d’un véhicule moteur avec les capacités affaiblies fut établie en 1925. L’invention de l’alcootest en 1952 par Robert Borkenstein a finalement permis de simplifier ces poursuites en introduisant l’infraction du « .08 » en 1969, ce qui a aussi mené à l’infraction de refuser d’obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d’haleine pour les fins de l’alcootest[22].

[43]        Il est reconnu depuis longtemps que la défense d’intoxication volontaire n’est pas disponible à l’encontre des infractions énoncées dans ces articles, y compris à l’égard de l’infraction d’avoir fait défaut d’obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d’haleine[23].

[44]        Pour les raisons qui suivent, je suis aussi d’avis que la défense d’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme sans troubles mentaux n’est pas non plus disponible à l’égard de ces infractions. Je m’explique.

[…]

[53]        Il serait en effet illogique et contradictoire de supposer que le Parlement ait voulu que son objectif de rendre criminel l’affaiblissement des facultés dû à l’intoxication volontaire par l’alcool puisse être contrecarré par une règle suivant laquelle ce même affaiblissement volontaire des facultés puisse servir de moyen de défense efficace contre les infractions mêmes qui tentent de le réprimer, que ce soit au moyen d’une défense d’intoxication volontaire tout court ou au moyen d’une défense d’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme sans troubles mentaux.

[54]        Ne pas reconnaître la contradiction intrinsèque qu’il y a à soutenir que le mal que vise précisément à endiguer l’infraction peut aussi servir de moyen de s’en disculper aboutit à un résultat inacceptable que le législateur n’a pu vouloir compte tenu de la nature même des infractions en cause, lesquelles visent précisément à enrayer la consommation volontaire excessive d’alcool lors de la conduite automobile. Cela mène, comme c’est d’ailleurs le cas en l’espèce, à la conclusion que plus une personne a les facultés affaiblies, plus elle sera susceptible d’être acquittée des infractions énoncées aux articles 253 à 255 du Code criminel, dont celles d’avoir conduit avec les facultés affaiblies ou de refuser d’obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d’haleine pour vérifier son état d’intoxication. Qu’une personne puisse être acquittée des infractions énoncées aux articles 253 à 255 au motif qu’elle a les facultés « trop » affaiblies, voilà une proposition qui m’apparaît franchement inacceptable et contraire à l’objectif même de ces infractions.

Ainsi, si l’intoxication volontaire n’est pas une défense à l’égard d’une infraction parce que cette infraction vise justement à réprimander une telle intoxication, il en découle qu’une intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme ne l’est pas non plus pour ce type d’infraction.