Cardin c. R., 2024 QCCA 1567

L’exception à la règle du ouï-dire pour les coconspirateurs.

La justification de cette exception était, et demeure, que les déclarations et actes d’une autre personne peuvent avoir une grande valeur probante comme preuve du projet commun ou du dessein commun formé avec l’accusé, ce qui, d’une certaine façon, relève alors de la théorie du mandat.

[11] La règle formulée dans Carter énonce des principes qui s’appliquent lorsque, en rapport avec une accusation de complot, le poursuivant cherche à mettre en preuve contre un accusé les déclarations ou actes d’une autre personne, qui peut être accusée ou non de la même infraction, pour faire la preuve d’un projet commun. Dans un tel cas, cette règle, communément appelée exception à la règle du ouï-dire pour les coconspirateurs, a été adoptée à l’égard de l’infraction de complot à titre d’exception au principe général voulant que les déclarations prononcées et les actes accomplis par une personne ne sont admissibles en preuve que contre cette personne. La justification de cette exception était, et demeure, que les déclarations et actes d’une autre personne peuvent avoir une grande valeur probante comme preuve du projet commun ou du dessein commun formé avec l’accusé, ce qui, d’une certaine façon, relève alors de la théorie du mandat. La justesse de ce raisonnement est évidente dans le cas d’une infraction de complot, car l’actus reus de cette infraction est une entente, laquelle consiste par définition en un dessein commun. Cette exception prévue dans Carter a par la suite été élargie suivant le même raisonnement à toute infraction pour laquelle le poursuivant cherche à introduire en preuve contre un accusé les déclarations ou actes d’autres participants allégués être membres d’une entreprise commune, que ce dessein commun soit relié à une infraction de complot ou une infraction substantielle[32]. Cet élargissement reconnaissait que le raisonnement sous-tendant la règle énoncée dans Carter est applicable dans toute affaire où un projet commun ou dessein commun est en cause.

La méthode dégagée dans Carter exige que le juge des faits réponde à trois questions.

1) Existe-t-il un complot ou un projet commun?

2) Si oui, est-il probable que l’accusé était un participant à ce complot ou à ce projet commun?

3) Si oui, la participation de l’accusé au complot ou au projet commun a-t-elle été prouvée hors de tout doute raisonnable?

Le consensus existant au sein des cours d’appel est que la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à la première étape de l’analyse établie dans Carter, où le juge des faits détermine si, dans une poursuite pour une infraction substantielle, la preuve étaye l’existence d’un projet commun.

[12] La méthode dégagée dans Carter exige que le juge des faits réponde à trois questions :

Existe-t-il un complot ou un projet commun?

Si oui, est-il probable que l’accusé était un participant à ce complot ou à ce projet commun?

Si oui, la participation de l’accusé au complot ou au projet commun a-t-elle été prouvée hors de tout doute raisonnable?[33]

Les deux premières étapes énoncent des conditions qui doivent être remplies pour que la troisième étape puisse s’appliquer.

[22] Le consensus existant au sein des cours d’appel est que la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à la première étape de l’analyse établie dans Carter, où le juge des faits détermine si, dans une poursuite pour une infraction substantielle, la preuve étaye l’existence d’un projet commun[55]. Les arrêts Sutton et Sebbag ont été supplantés sur cette question sans reconsidération formelle de la divergence d’opinions existant dans Sutton. Dans Sebbag, aucune attention n’a été portée à cette question et la Cour ne l’aborde dans aucune autre décision. C’est pourquoi la Cour accepte le point de vue dominant selon lequel, au Québec comme ailleurs, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique lorsque le juge des faits détermine, à la première étape de l’analyse établie dans Carter, si la preuve établit l’existence d’un projet commun pour une infraction de complot ou une infraction substantielle. Cette conclusion se justifie par le consensus existant avant et après Mapara et par le souci d’éviter la confusion et la complexité qu’entraînerait l’application de deux normes différentes selon l’accusation. Elle se justifie également par le fait que, lorsque l’infraction reprochée est une infraction substantielle, l’existence d’un projet commun équivaut à un élément essentiel de la culpabilité une fois les trois étapes de la démarche établie dans Carter appliquées par le juge des faits.

Les arrêts Sebbag c. R., 2004 CanLII 63, et LSJPA – 1915, 2019 QCCA 786, n’ont plus valeur de précédent.

[23] Il s’ensuit que la directive donnée en l’espèce, soit de suivre l’approche privilégiée dans Sebbag, était erronée, et ce même si le juge suivait en cela l’arrêt en question. Il l’a en fait d’une certaine manière reconnu, en indiquant au jury, dans un premier temps, que le fardeau incombant au poursuivant à la première étape de la directive de type Carter était la prépondérance des probabilités, alors qu’il a plus tard affirmé que, à la même étape, la norme exigeait une preuve hors de tout doute raisonnable qu’il y avait un projet commun de commettre une fraude[56]. De plus, bien que cela ne soit pas déterminant, d’autant plus que l’appelant n’était pas représenté au procès, signalons également que ce dernier ne s’est pas opposé à la directive de type Carter formulée par le juge[57].

[31] Pour tous ces motifs, je propose de rejeter l’appel et de déclarer que les arrêts Sebbag c. R., 2004 CanLII 63, et LSJPA – 1915, 2019 QCCA 786, n’ont plus valeur de précédent.