L’admissibilité des déclarations antérieures disculpatoires.
R. c. Tremblay, 2010 QCCQ 8669 est une source du principe selon lequel les déclarations antérieures disculpatoires peuvent exceptionnellement être admissible ne preuve.
Analyse
[5] La question de l’admissibilité des déclarations antérieures compatibles fut considérée par la Cour suprême, dans R. c. Stirling, 2008 CSC 10 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 272 où le juge Bastarache, au paragr. 5, soulignait :
[5] Il est bien établi que les déclarations antérieures compatibles sont généralement inadmissibles (R. c. Evans, 1993 CanLII 102 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 629; R. c. Simpson, 1988 CanLII 89 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 3; R. c. Béland, 1987 CanLII 27 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 398). Il en est ainsi parce que, règle générale, on considère que ces déclarations n’ont pas de force probante et qu’il s’agit de déclarations intéressées (Evans, p. 643).
Voir aussi R. c. Rojas, 2008 CSC 56 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 111, paragr. 36-37.
[6] Il existe toutefois plusieurs exceptions à cette règle générale d’exclusion dont celles ayant pour but de réfuter une allégation de fabrication récente (Stirling, précité, paragr. 7) ou de révéler l’état d’esprit de l’accusé au moment pertinent (Simpson, infra, paragr. 8). « Ainsi, on peut vouloir démontrer une telle incohérence dans les propos de l’accusé quelques instants après son arrestation pour en inférer un état d’esprit troublé ou un état d’intoxication » : voir Béliveau, Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 17e éd., 2010, no 1185.
[7] Dans son témoignage, l’accusé relate avoir dit au policier, dans l’auto-patrouille, que ce n’est pas lui qui a conduit son véhicule. Il ne s’agit donc pas d’une fabrication récente puisque la divulgation a été faite quelques instants après son arrestation. D’ailleurs, la poursuite précise qu’elle n’entend pas soulever cet argument.
[8] S’appuyant sur l’arrêt R. c. Simpson, 1988 CanLII 89 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 3, la défense soutient que la déclaration de l’accusé devrait être admise pour prouver son état d’esprit au moment de l’infraction reprochée afin d’établir qu’il n’avait pas l’intention d’assumer la garde ou le contrôle de son véhicule.
[9] Règle générale, la déclaration extrajudiciaire d’un accusé peut être recevable en preuve en sa faveur si elle peut révéler son état d’esprit à un moment donné : R. c. Simpson, précité, paragr. 27. Cette exception a été reconnue par la jurisprudence et la doctrine. Dans Phipson onEvidence (13th ed., 1982), paragr. 7-34, on spécifie :
[Traduction] Chaque fois que l’état physique, les émotions et l’état d’esprit d’une personne doivent être prouvés, des déclarations qui les révèlent, contemporaines ou presque du moment en cause, peuvent être présentées comme preuves.
[Soulignement ajouté]
[10] L’état d’esprit de l’accusé peut donc être établi à l’aide de ses déclarations antérieures. Dans R. c. Béland et Phillips, 1987 CanLII 27 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 398, la Cour suprême, au paragr. 11, l’explique ainsi à propos d’une preuve obtenue par détecteurs de mensonges :
11. […] La preuve obtenue par détecteurs de mensonges serait entièrement intéressée et n’éclairerait pas le Tribunal sur les véritables questions en litige. À supposer, comme l’est le cas en l’espèce, que la preuve qu’on cherche à présenter ne relève d’aucune exception reconnue à l’application de la règle, c’est-à-dire les situations où une telle preuve peut être admise pour réfuter l’allégation de fabrication récente ou pour établir l’état physique, mental ou émotionnel, elle doit être écartée.
[11] Relativement au critère de la contemporanéité, le juge Boilard, dans son Manuel de preuve pénale, réfère, au no 2.008, à deux décisions de la Cour d’appel de l’Ontario qui ont exclu de la preuve des déclarations justificatives parce qu’elles ont été faites dix minutes après l’arrestation ou postérieurement à un entretien avec un avocat :
2.008 – Ainsi, la déclaration exculpatoire faite par l’accusé dans l’automobile de police, dix minutes après son arrestation, sera exclue puisqu’il avait eu le temps de fabriquer ou d’adapter sa version aux circonstances : R. c. Khan, 1982 CanLII 2225 (ON CA), (1982) 66 C.C.C. (2d) 32, p. 42-43 (Ont. C.A.). Pareillement, la déclaration faite par l’accusé à la suite d’une conversation téléphonique avec son avocat est inadmissible puisqu’il s’agit d’auto-corroboration. Dans R. c. Phillips, 1999 CanLII 2449 (ON CA), (1999) 138 C.C.C. (3d) 297, 26 C.R. (5th) 390 (Ont. C.A.), l’on retrouve le commentaire suivant :
“ The trial judge found that this statement was not “an amplification, qualification or explanation” of the earlier comments. In our view, this finding was supported by the evidence. The trial judge properly considered the conversation with the lawyer as one of the factors that was relevant in determining that there was not a sufficient nexus between the statement and the earlier comments to render the statement admissible. Having reached that conclusion, the trial judge then rules, properly in our view, that the statement taken at the detachment was inadmissible under the general rule that an accused cannot adduce self-serving statements made by him through other witnesses. We see no merit in this ground of appeal. ” (par.11)
[12] Par ailleurs, dans un arrêt récent du 23 juillet 2010, soit R. c. Edgar, 2010 ONCA 529 (CanLII), [2010] O.J. no 3152, 2010 ONCA 529 (CanLII), la Cour d’appel de l’Ontario a revisité la règle interdisant l’admissibilité des déclarations antérieures compatibles. Au terme de son analyse, elle a énoncé que les déclarations disculpatoires spontanées faites par l’accusé lors de son arrestation ou peu de temps après peuvent être admises à titre d’exception à la règle générale d’exclusion aux fins de démontrer sa réaction au moment de l’arrestation ou lorsqu’il a été, en premier lieu, confronté à l’accusation, dans la mesure où il témoigne et se prête au contre-interrogatoire. Au paragr. 72, le juge Sharpe s’exprime de la façon suivante :
[72] I conclude, therefore, that it is open to a trial judge to admit an accused’s spontaneous out-of-court statements made upon arrest or when first confronted with an accusation as an exception to the general rule excluding prior consistent statements as evidence of the reaction of the accused to the accusation and as proof of consistency, provided the accused takes the stand and exposes himself or herself to cross-examination. As the English cases cited above hold, the statement of the accused is not strictly evidence of the truth of what was said (subject to being admissible under the principled approach to hearsay evidence) but is evidence of the reaction of the accused, which is relevant to the credibility of the accused and as circumstantial evidence that may have a bearing on guilt or innocence.
[13] Dans cette affaire, l’accusé avait fourni deux déclarations dans les minutes (30 minutes) suivant son arrestation relativement à une accusation de meurtre au second degré. Une troisième déclaration a également été donnée aux enquêteurs à l’hôpital quatre heures après l’arrestation. La Cour d’appel a déterminé que les deux premières déclarations étaient spontanées et contemporaines à l’arrestation alors que la troisième représentait le prolongement des deux premières (paragr. 76). Elle ne voyait pas d’obstacle à leur admissibilité parce que leur contenu n’introduisait aucun fait qui n’aurait pu être scruté pendant le contre-interrogatoire (paragr. 77). La Cour d’appel a cependant refusé d’intervenir parce que la valeur probante de la preuve exclue était faible et qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable que le jury rende un verdict différent (paragr. 81-82).