La volonté exprimée par la personne détenue d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat déclenche les deuxième et troisième obligations, qui constituent un second volet de mise en application par les policiers.
[33] La première obligation a été décrite comme un volet d’information. La volonté exprimée par la personne détenue d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat déclenche les deuxième et troisième obligations, qui constituent un second volet de mise en application par les policiers. Essentiellement, ceux-ci doivent donner à la personne détenue ou arrêtée une possibilité d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable et ils doivent « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de lui soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[12] tant qu’elle n’aura pas eu cette possibilité raisonnable[13]. Ces obligations sont toutefois subordonnées à certaines exceptions sur lesquelles je reviendrai.
[34] L’inobservation de l’une ou de l’autre de ces obligations entraîne une violation de la Charte[14].
Les policiers doivent faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat.
[38] En principe, les policiers doivent faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat. Ils ont en effet l’obligation d’agir de manière proactive « pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat. »[15] La jurisprudence reconnaît des exceptions en cas d’une règle de droit[16], d’une menace à la sécurité des policiers ou du public[17], ou d’un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération policière en cours puisse être compromise[18]. De plus, ces obligations sont subordonnées à la diligence raisonnable de la personne dans l’exercice de son droit[19].
[39] L’appréciation de la possibilité raisonnable donnée par les policiers à l’appelant d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat et de sa diligence raisonnable dépend du contexte propre à l’affaire[20]. Elle nécessite du juge qu’il tienne compte de l’ensemble des circonstances et qu’il les apprécie globalement[21]. Ces circonstances comprennent non seulement le comportement des policiers, mais aussi celui de l’appelant[22]. Dans cette analyse qui lui revient, le juge des faits se doit d’appliquer ce principe directeur, à défaut de commettre une erreur de droit[23].
[40] La présence d’un téléphone cellulaire est une des circonstances dont le juge doit tenir compte. Toutefois, la présence d’un téléphone cellulaire ne signifie pas que les policiers devraient permettre son utilisation pour appeler un avocat. Comme le souligne notre collègue François Doyon dans R. c. Tremblay[24] :
[50] Je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question.
Le fait qu’il existe une pratique dans ce genre de dossier d’attendre l’arrivée au poste avant de faciliter l’accès à un avocat, et de ne permettre un appel du lieu de l’arrestation que s’il y a un long délai d’attente pour une remorqueuse, est troublant.
[49] Le fait qu’il existe une pratique dans ce genre de dossier d’attendre l’arrivée au poste avant de faciliter l’accès à un avocat, et de ne permettre un appel du lieu de l’arrestation que s’il y a un long délai d’attente pour une remorqueuse, est troublant. Les policiers doivent, dans chaque cas, faciliter l’accès à un avocat à la première occasion raisonnable, ce qui dépend des circonstances propres à chaque situation. Ils doivent envisager la possibilité de permettre à la personne détenue d’utiliser son téléphone cellulaire sur le lieu de l’arrestation et considérer s’il y a de bonnes raisons pour ne pas le permettre, plutôt que de reporter systématiquement l’accès à un avocat à l’arrivée au poste[27]. Ni le juge de première instance ni le juge d’appel ne traitent de cette question. Cela constitue à mon avis une erreur de droit révisable.
L’absence de confidentialité ne me semble pas un motif suffisant pour ne pas offrir à l’appelant la possibilité de faire un appel à un avocat. En principe, la confidentialité appartient à l’appelant qui pouvait préférer avoir une conversation qui n’est pas parfaitement confidentielle, à ne pas avoir le bénéfice des conseils d’un avocat.
[50] Le premier juge invoque plutôt des questions de confidentialité et de sécurité pour justifier la décision de reporter au poste l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat. Toutefois, sa conclusion concernant l’absence de confidentialité lors d’un appel fait à partir d’un téléphone cellulaire dans la voiture de police n’a aucune assise dans la preuve au dossier « et, par conséquent, aucune base permettant d’apprécier le caractère raisonnable de l’omission de faciliter cet accès. »[28] Il s’agit d’une erreur de droit. De plus, l’absence de confidentialité ne me semble pas un motif suffisant pour ne pas offrir à l’appelant la possibilité de faire un appel à un avocat. En principe, la confidentialité appartient à l’appelant qui pouvait préférer avoir une conversation qui n’est pas parfaitement confidentielle, à ne pas avoir le bénéfice des conseils d’un avocat. Il aurait fallu au moins lui offrir la possibilité.
L’ordre place l’appelant dans une situation très délicate : il doit soit se rendre au poste afin de fournir un élément de preuve susceptible de l’incriminer, soit refuser d’obtempérer, ce qui peut constituer une infraction criminelle et en plus fournit une preuve admissible dont le tribunal peut, dans le cas d’une accusation impliquant la capacité de conduire, tirer une conclusion défavorable. Il devait, tout au moins, ne pas exiger que l’appelant y réponde ou ne pas enregistrer son refus avant qu’il n’ait eu l’occasion de consulter son avocat.
[58] Je doute que l’agent Morneau pouvait, dans le contexte où l’appelant avait demandé de consulter un avocat et qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de le faire, lui donner l’ordre de le suivre au poste afin de fournir un échantillon d’haleine. L’ordre place l’appelant dans une situation très délicate : il doit soit se rendre au poste afin de fournir un élément de preuve susceptible de l’incriminer, soit refuser d’obtempérer, ce qui peut constituer une infraction criminelle et en plus fournit une preuve admissible dont le tribunal peut, dans le cas d’une accusation impliquant la capacité de conduire, tirer une conclusion défavorable[31]. Il devait, tout au moins, ne pas exiger que l’appelant y réponde ou ne pas enregistrer son refus avant qu’il n’ait eu l’occasion de consulter son avocat.
[59] L’alinéa 10b) de la Charte impose l’obligation au policier de ne pas forcer la personne détenue à prendre une telle décision lourde de conséquences légales jusqu’à ce qu’elle ait eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Les seules exceptions sont l’urgence, des circonstances dangereuses ou un manque de diligence de la part de la personne détenue dans l’exercice de ce droit.
[60] J’écarte d’emblée la question de l’urgence. Une majorité de juges de la Cour suprême a décrété que l’existence de la présomption en matière de preuve à l’égard des échantillons d’haleine pris dans les deux heures selon l’ancien sous-alinéa 258(1)c)(ii) C.cr. ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente justifiant que les policiers continuent leur enquête, même si la personne détenue n’a pu exercer son droit à l’assistance d’un avocat[32]. De toute façon, ils étaient à 10 ou 15 minutes du poste et rien dans le dossier ne suggère que permettre à l’appelant de contacter un avocat aurait eu pour résultat d’outrepasser ce délai.
[61] De plus, rien dans le dossier ne suggère qu’il y avait un danger quelconque justifiant la continuation de l’enquête. L’appelant était menotté dans la voiture de police et ne représentait aucun danger.
[62] Enfin, l’appelant a agi avec diligence et n’a jamais renoncé à son droit à l’avocat.
[63] Toutefois, l’appelant ne soutient pas que son droit à l’assistance d’un avocat ait été brimé par le fait que les policiers lui donnent l’ordre de les suivre au poste avant qu’il n’ait pu consulter un avocat. Il fait plutôt valoir que les policiers ont brimé son droit en exigeant qu’il réponde à l’ordre et en enregistrant son refus sans qu’il ait eu l’occasion de consulter son avocat.
[64] Il est vrai que la situation était un peu circulaire : l’appelant veut consulter un avocat, ce qui selon les policiers doit se faire au poste, alors qu’il refuse de suivre les policiers au poste afin de fournir un échantillon d’haleine parce qu’il n’a pas eu l’occasion de consulter un avocat, consultation qui se fera au poste. Plusieurs solutions étaient disponibles. Les policiers auraient pu tout simplement l’amener au poste – l’appelant était arrêté, menotté et assis sur le siège arrière de la voiture de police. Une fois rendu au poste, les policiers auraient pu lui demander de fournir un échantillon d’haleine après lui avoir donné la possibilité d’exercer son droit de consulter un avocat[33]. Ils auraient pu l’inviter à les suivre au poste afin qu’il exerce son droit à l’avocat. Son refus d’obtempérer constituerait alors un manque de diligence de sa part dans l’exercice de ses droits et permettrait aux policiers de poursuivre leur enquête et de lui donner l’ordre de les suivre au poste. Enfin, ils auraient pu lui permettre de communiquer avec un avocat sur place. Dans tous ces cas, l’appelant aurait eu l’opportunité de communiquer avec un avocat avant qu’il ne soit obligé de donner sa réponse définitive à l’ordre formulé.
[65] Plutôt que de lui expliquer qu’il aurait la chance de parler à un avocat une fois au poste, l’agent Morneau s’est engagé dans un débat avec l’appelant sur les conséquences de son refus d’obtempérer et a soutiré à l’appelant des éléments de preuve de nature incriminante. Bien qu’il ne l’ait pas interrogé à proprement parler, l’interaction était de nature à déclencher une réponse de la part de l’appelant avant qu’il n’ait pu obtenir les conseils d’un avocat[34].
[66] Somme toute, le problème dans le présent dossier ne réside pas dans la décision de refuser à l’appelant l’accès à un avocat alors qu’il est dans la voiture de police, vu les enjeux de sécurité, mais bien dans celle de forcer l’appelant à s’incriminer avant d’avoir pu parler à un avocat. En conséquence, je suis d’avis que le volet de mise en application imposé par l’alinéa 10b) de la Charte n’a pas été respecté.
Le droit à l’avocat est trop important pour que les tribunaux supputent sur les conséquences de son inobservance.
[78] Dans le cadre de son analyse au fond de l’affaire, le juge rejette le témoignage de l’appelant suivant lequel « il serait allé au poste de police s’il avait parlé avec un avocat »[41], ce qui aurait pu mettre fin à l’imbroglio. En tant qu’ancien policier, l’appelant n’avait, selon lui, « pas besoin de se faire dire par un avocat qu’il devait souffler dans l’appareil après avoir reçu un ordre d’alcootest. »[42]. Si la preuve que l’appelant n’aurait pas agi différemment si les droits que lui garantit l’alinéa 10b) n’avaient pas été violés milite en faveur du maintien de la preuve dans le dossier[43], le tribunal ne doit pas non plus se lancer dans des conjectures sur les conseils qu’un avocat aurait donnés et sur ce que l’appelant aurait fait en pareille circonstance[44]. La jurisprudence reconnaît en effet que bien que « l’éventail des conseils juridiques susceptibles d’être donnés dans [ce] contexte […] soit nécessairement limité, […] il est suffisant pour qu’on puisse dire que les tribunaux ne doivent pas conjecturer sur la nature de ces conseils et sur la question de savoir s’ils influeraient sur l’issue de la cause. »[45]. Le droit à l’avocat est trop important pour que les tribunaux supputent sur les conséquences de son inobservance.
Il est bien établi que lorsque les deux premiers critères militent fortement en faveur de l’exclusion, comme c’est le cas en l’espèce, le troisième critère fera rarement pencher la balance en faveur de l’utilisation de la preuve obtenue en violation de la Charte.
[81] Les infractions de conduite avec les capacités affaiblies représentent en effet un « fléau », et il est reconnu qu’il est dans l’intérêt de la société que ce type d’affaires soit jugé au fond[47]. La preuve que cherche à faire exclure l’appelant est fiable et essentielle pour établir la preuve de l’intimée, et son exclusion mènerait irrémédiablement à l’acquittement de l’appelant. Bien que cela milite en faveur de l’admission de la preuve, il est bien établi que lorsque les deux premiers critères militent fortement en faveur de l’exclusion, comme c’est le cas en l’espèce, le troisième critère fera rarement pencher la balance en faveur de l’utilisation de la preuve obtenue en violation de la Charte. Il ne s’agit pas d’une telle situation[48].
[82] J’estime que l’importance de faire en sorte que pareille conduite à celle de l’agent Morneau ne soit pas cautionnée par les tribunaux milite en faveur de l’exclusion de la preuve. Comme le rappelait la Cour d’appel de la Saskatchewan, « s. 24(2) does not deal just with this case and this offence. It has more far-reaching concerns than this one case presents. »[49].