Murray‑Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10

Pour décider si une loi ou certaines de ses dispositions sont constitutionnellement valides au regard du partage des compétences, les tribunaux doivent d’abord procéder à la qualification de cette loi ou de ces dispositions, puis, sur cette base, à leur classification parmi les chefs de compétence énumérés aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[22] Pour décider si une loi ou certaines de ses dispositions sont constitutionnellement valides au regard du partage des compétences, les tribunaux doivent d’abord procéder à la qualification de cette loi ou de ces dispositions, puis, sur cette base, à leur classification parmi les chefs de compétence énumérés aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867(Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, 2020 CSC 17, [2020] 2 R.C.S. 283, par. 26, citant Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 15).

[23] À l’étape de la qualification, il s’agit de déterminer le caractère véritable de la loi (Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, par. 28, citant Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 26). Dans la jurisprudence de la Cour, cette opération a été décrite comme visant à dégager l’« objet principal » de la loi (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 29), sa « caractéristique principale ou la plus importante » (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), 1992 CanLII 110 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 62‑63), ou encore son « idée maîtresse » (R. c. Morgentaler, 1993 CanLII 74 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 463, p. 481‑482). L’étape de la classification consiste quant à elle à déterminer si le caractère véritable ainsi circonscrit relève de l’un des chefs de compétence du législateur qui a adopté le texte de loi (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 25).

[24] Pour déterminer le caractère véritable d’une loi, les tribunaux examinent son objet et ses effets (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 16). Cette opération essentiellement interprétative ne se veut ni technique, ni formaliste, pour reprendre les mots du regretté professeur Peter W. Hogg (Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 15‑12, cité dans Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569, par. 18). En effet, il est loisible aux tribunaux de prendre en compte, outre les termes employés dans la loi elle-même, les circonstances dans lesquelles celle-ci a été édictée (Ward, par. 17, citant Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 17‑18, et Morgentaler, p. 483).

[25] Aux fins d’analyse de l’objet, les tribunaux font appel à des éléments de preuve intrinsèque, c’est-à-dire au texte même de la loi, y compris son préambule et les dispositions énonçant ses objectifs généraux, ainsi qu’à des éléments de preuve extrinsèque tels que les débats parlementaires et les procès-verbaux de comités parlementaires (Banque canadienne de l’Ouest, par. 27; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 53‑54; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457 (« Renvoi relatif à la LPA »), par. 22 et 184). Dans leur examen des effets de la loi, les tribunaux tiennent compte tant de ses effets juridiques, soit ceux étant directement liés aux dispositions de la loi elle‑même, que de ses effets pratiques, c’est‑à‑dire les effets « secondaires » découlant de son application (Bande Kitkatla, par. 54, citant Morgentaler, p. 482-483).

[26] Cela dit, j’insiste tout de même sur le fait que c’est l’analyse du texte qui est au cœur de l’opération de qualification. Comme le rappelait le juge Kasirer dans le Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, « [e]n fin de compte, c’est la substance même de la loi qu’il faut qualifier, et non les discours prononcés devant le Parlement ou les propos publiés dans la presse » (par. 165).

Les interdictions visant la possession de plantes de cannabis et leur culture à domicile prévues aux art. 5 et 10 de la Loi provinciale constituent un moyen au service des objectifs de santé et de sécurité publiques poursuivis par cette même loi.

[28] À mon avis, les dispositions contestées ont pour caractère véritable d’assurer l’efficacité du monopole étatique, dans un but de protection de la santé et de la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes, contre les méfaits du cannabis. Il s’ensuit que les interdictions visant la possession de plantes de cannabis et leur culture à domicile prévues aux art. 5 et 10 de la Loi provinciale constituent un moyen au service des objectifs de santé et de sécurité publiques poursuivis par cette même loi. À quelques nuances près, ma conclusion à l’étape de de la qualification rejoint celle de la Cour d’appel.

[33] Je tiens également à souligner qu’une lecture des dispositions contestées qui prend en compte le régime au sein duquel elles sont intégrées s’avère cruciale pour distinguer l’objet de la loi des moyens retenus pour le réaliser. Dans Ward, la juge en chef McLachlin mettait d’ailleurs en garde contre le fait de « confondre l’objet de la mesure législative avec les moyens choisis pour réaliser cet objet » (par. 25).

[42] En réalité, l’impossibilité de posséder et de cultiver des plantes de cannabis à domicile sous peine de sanctions pénales a pour effet de diriger les consommateurs québécois vers la source d’approvisionnement sûre que constitue la SQDC. Ces derniers bénéficient ainsi de produits dont la qualité est contrôlée, ainsi que des conseils de préposés à la vente formés aux risques associés à la consommation de cannabis (sur le premier point, voir les art. 29, 44 et 45 de la Loi provinciale et le Règlement déterminant d’autres catégories de cannabis qui peuvent être vendues par la Société québécoise du cannabis et certaines normes relatives à la composition et aux caractéristiques du cannabis, RLRQ, c. C-5.3, r. 0.1; sur le deuxième point, voir l’art. 1 et l’ann. I du Règlement sur la formation relative à la vente au détail de cannabis et sur les renseignements à communiquer à l’acheteur lors de toute vente de cannabis, RLRQ, c. C-5.3, r. 1). Le fait que les consommateurs s’approvisionnent auprès de la SQDC fait également en sorte que ceux-ci sont assujettis à une série d’exigences, dont la plus importante m’apparaît être celle fixant à 21 ans l’âge minimal requis pour y acheter du cannabis.

Aussi désignée sous le terme de « détournement de pouvoir », la notion de « législation déguisée » s’entend d’une loi portant en apparence sur un sujet relevant de la compétence de l’ordre de gouvernement qui l’a édictée, mais qui dans les faits porte sur un sujet ne relevant pas de cette compétence.

[50]  Aussi désignée sous le terme de « détournement de pouvoir », la notion de « législation déguisée » s’entend d’une loi portant en apparence sur un sujet relevant de la compétence de l’ordre de gouvernement qui l’a édictée, mais qui dans les faits porte sur un sujet ne relevant pas de cette compétence (Morgentaler, p. 496). Le recours à des éléments de preuve extrinsèque, pour autant que ceux-ci reflètent l’intention du législateur, est depuis longtemps admis pour trancher le caractère prétendument « déguisé » d’un texte de loi (Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, 1984 CanLII 17 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 297, p. 318‑319).

[53] De tels propos sont toutefois loin d’être suffisants pour conclure à l’existence d’une législation déguisée. Comme le soulignaient les juges Cromwell et Karakatsanis dans Québec (Procureur général) 2015, « [l]es tribunaux sont, à juste titre, réticents à conclure qu’une loi est déguisée » (par. 31). Une application moins restrictive de la théorie du détournement de pouvoir entraînerait un risque que les tribunaux outrepassent leur fonction judiciaire et statuent sur la base de considérations d’ordre politique, manifestant ainsi « leur désapprobation soit du principe directeur du texte législatif, soit du moyen par lequel la loi cherche à l’appliquer » (ibid.).

[57] Vu l’absence totale de preuve d’un dessein législatif dit « inapproprié », et faisant montre de la prudence avec laquelle la Cour a toujours traité les allégations de législation déguisée, je ne peux accepter l’argument de l’appelant. Les dispositions contestées ne représentent pas une tentative déguisée de réédicter les interdictions de droit criminel abrogées par le Parlement.