DEMANDE DE MODIFICATION DES MESURES ACCESSOIRES AU DIVORCE – CHANGEMENT DE GARDE. Art. 17(1) (b) Loi sur le divorce

 Interprétation libérale du « changement significatif »

Désir de l’enfant âgée de 14 ans

Aliénation parentale

Dans le cas de parents qui sont déjà divorcé, la mère présente une demande de modification des mesures accessoire pour obtenir un changement de garde.

 Le juge de première instance a décidé qu’il n’y avait aucun changement signification et, de surcroit, que l’intérêt de l’enfant ne soutenait pas un changement de garde.

L’enfant de 14 ans est en garde partagée et elle une sœur de 17 ans qui est en garde exclusive avec le père et elle manifeste le désir d’aller rejoindre sa soeur ;

Le juge énumère les critères de la Cour d’appel en matière familiale :

« [6]         En matière de détermination de la garde d’un enfant, la Cour d’appel doit non seulement faire preuve de déférence en regard des conclusions factuelles du juge mais elle doit « observer la plus grande réserve »[1]. En d’autres termes, « [l]’erreur de fait doit être particulièrement importante pour que la Cour s’immisce dans la détermination du juge sur ces sujets »[2]. C’est le juge de première instance qui est « le mieux à même de trancher ces questions parfois déchirantes et dont le sort, quel qu’il soit, porte atteinte à la qualité de liens qui figurent parmi les plus fondamentaux »[3].

Quand au principe de jurisprudence du changement signification qui donne ouverture à une demande de modification de garde, la Cour précise ce qui suit :

[7]         Rappelons aussi que, pour qu’une ordonnance de garde soit révisée, un changement important dans la situation de l’enfant doit survenir[4], mais l’exigence d’un changement significatif doit être interprétée avec davantage de souplesse qu’elle ne l’est en matière d’aliments[5]. Malgré un tel changement, le juge peut néanmoins refuser la modification si elle n’est pas dans le meilleur intérêt de l’enfant. »

[8]         De l’avis de la Cour et avec beaucoup d’égards, le juge se trompe lorsqu’il écrit que la seule circonstance ayant changé depuis l’ordonnance de garde énoncée au jugement de divorce en 2012 est l’âge de l’enfant. Cet élément doit être pris en compte, cela va de soi, mais il y a également une détérioration marquée des relations entre l’intimé et Y et même entre les deux sœurs depuis que l’aînée X a décidé d’aller vivre chez son père.

[9]         Ce changement est majeur, le juge notant que la situation a dégénéré chez l’intimé où les deux sœurs se chicanent fréquemment, lorsqu’elles se parlent. Vu l’interprétation libérale qui doit être donnée au critère du changement significatif en matière de garde, le juge aurait dû conclure à l’existence d’un tel changement significatif.

[10]      Cette détermination est néanmoins sans conséquence puisque le juge a complété l’exercice et s’est penché longuement sur l’intérêt de l’enfant, après avoir effectué une revue exhaustivedu litige qui oppose les parties et met en cause plus particulièrement Y à ce stade. Le juge conclut ainsi son analyse :

[64]      Pour Monsieur, le psychologue Otis avait tout vu et tout anticipé. Il est d’avis que Y[6] est contaminée par toutes ces années d’aliénation parentale par sa mère. Y a maintenant le même comportement que X[7] au temps des expertises du Dr Otis. À cette période, X disait que son père dénigrait sa mère continuellement, ce que Dr Otis n’avait pu objectiver. Par contre, il avait noté l’aliénation parentale du côté de Madame et un clivage chez les enfants. Il avait conclu à la nécessité de la poursuite de la garde partagée afin de maintenir l’image paternelle.

[65]      Avec le suivi thérapeutique, X a évolué et a compris la situation d’aliénation parentale. Elle a décidé de vivre chez son père. Elle est maintenant plus heureuse et épanouie selon Monsieur.

[66]      Chez Monsieur, Y appelle continuellement sa mère. Ce qui ne se produit pas quand elle est chez sa mère. Madame appelle aussi Y à l’école. Après les appels avec sa mère, Y se retire, se distancie et se referme chez Monsieur.

[67]      Quand Y retourne chez sa mère, elle déballe tout ce qu’on dit sur sa mère.

[68]      Depuis la demande judiciaire de Madame, Y est plus distante avec son père. Ce dernier a noté un changement d’attitude de sa part. Y se renferme sur elle-même et ne parle plus. Elle est moins affectueuse et il y a moins de complicité. Il craint que Y ne vienne plus chez lui. Dans sa lettre, Y dit qu’elle veut visiter son père « quand elle aura le goût ». Il est inquiet aussi pour Z[8] qui en viendra à prendre parti. Une fracture familiale est en vue selon Monsieur. Les deux sœurs ne se verront plus.

[69]      Dans sa demande de garde exclusive, Madame n’offre aucun accès à Monsieur. Il est clair qu’elle n’entend pas favoriser les contacts père/fille.

[70]      Depuis le jugement du 14 décembre 2016 accordant la garde de X à Monsieur, la situation familiale a dégénéré chez Monsieur : les deux sœurs se chicanent. Alors qu’elles partageaient la même chambre, Monsieur a dû les séparer.

[71]      Y subit la pression de sa sœur relativement à son désir d’aller vivre chez sa mère. Elle se sent narguée par sa soeur. Monsieur devrait intervenir fermement afin d’éviter que cela ne vire au dénigrement.

[72]      À l’époque des expertises, le père était rejeté par les deux filles. Une situation d’aliénation parentale de la part de la mère a été identifiée. Un développement inattendu est survenu à la suite du suivi thérapeutique pour X.

[73]      En ce qui concerne Y, qui a abandonné le suivi thérapeutique, il est difficile de ne pas voir l’aboutissement de l’aliénation parentale : on retrouve le même discours et les mêmes symptômes qu’en 2014.

[74]      La démarche de Y apparaît téléguidée par sa mère. Le désir clair de Y de vivre chez sa mère, déjà manifesté dans les expertises, est le résultat de l’aliénation parentale. Mais cela n’explique pas tout le mal-être que vit Y chez Monsieur où manifestement existe une tension qui épuise l’enfant et la fait s’enfermer dans sa chambre. Monsieur a aussi des devoirs à faire.

[75]      En 2014, Dr Otis avait mis Monsieur en garde contre les propos dévalorisants tenus à l’endroit de Madame devant les enfants. Il avait même prévenu Monsieur que ces débordements verbaux pouvaient exacerber, au lieu de contrecarrer, les attitudes transmises aux enfants par leur mère. C’est exactement ce qui se produit. Bref, Monsieur doit cesser de jeter de l’huile sur le feu et apprendre à se taire. Il semble bien que Monsieur n’ait pas encore compris le message.

[76]      Madame plaide que le désir d’une enfant de 13 ans est largement déterminant. Cela est vrai si le désir de l’enfant correspond à son intérêt supérieur et si le consentement est libre et éclairé.

[77]      Le désir de Y est teinté par le conflit parental et l’aliénation parentale.  Y ne veut pas que sa mère soit abandonnée suite à la décision de X. Elle est prise dans un conflit de loyauté et craint de décevoir sa mère. Elle veut que le conflit entre ses parents cesse et qu’il n’y ait plus de chicane.

[78]      La garde partagée n’a pas mis fin à l’aliénation parentale, mais il est à craindre que la garde exclusive ne mette fin à la relation père/fille.

[11]      L’appelante n’offrait pas à l’intimé de droits d’accès, aux termes de sa requête pour garde exclusive. Il est vrai, toutefois, qu’en conclusion de son témoignage en chef, elle lui a proposé une fin de semaine sur deux, une semaine à la période des Fêtes, deux semaines l’été et une fois de temps en temps selon le désir de l’enfant.

[12]      Rappelons par ailleurs que le désir de Y peut avoir un caractère déterminant à son âge, lorsque la décision est libre et éclairée[9]. Le juge en est bien conscient mais conclut que ce n’est pas le cas et que l’intérêt supérieur de l’enfant commande de conserver le statu quo.

[13]      L’on aura compris que ce litige est complexe, délicat, et demeure conflictuel. L’analyse à laquelle procède le juge et les constats factuels sur lesquels elle repose ne sont pas ébranlés par les arguments avancés par l’appelante. Une erreur susceptible de justifier notre intervention n’est pas démontrée, ce qui ne laisse d’autre choix à la Cour que d’«observer la plus grande réserve ».