Fontanelli c. R., 2018 QCCA 1692

L’enquête préliminaire sert « de mécanisme de filtrage permettant de déterminer si le ministère public dispose d’une preuve suffisante justifiant le renvoi du prévenu à procès

[20]        Rappelons, avant d’examiner les moyens de l’appelant, que l’enquête préliminaire sert « de mécanisme de filtrage permettant de déterminer si le ministère public dispose d’une preuve suffisante justifiant le renvoi du prévenu à procès »[9]. Le juge fait une « évaluation limitée de la preuve »[10]. Pour renvoyer un accusé à procès, il doit exister « quelque preuve de culpabilité » pour chaque élément essentiel de l’infraction[11]. Le degré de preuve requis est peu élevé : un « soupçon de preuve » suffit[12].

[21]        La décision du juge de renvoyer un accusé à procès mérite une grande déférence[13]. Elle est sans appel[14]. Elle « n’est susceptible de révision par voie de certiorari que pour cause d’absence ou d’excès de compétence »[15]. Le certiorari est accueilli seulement si le juge chargé de l’enquête préliminaire rend une décision erronée sur sa compétence ou s’il commet une erreur de droit manifeste. 

[22]        L’agression sexuelle (art. 271 C.cr.) n’est pas définie dans le Code criminel. L’affaire R. c. Chase[16] de la Cour suprême est l’arrêt-clé en la matière. L’agression sexuelle est définie en ces termes :

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel[maintenant 265(1) C.cr.], qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif : « Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l’agression? ». La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s’est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents. L’intention ou le dessein de la personne qui commet l’acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Si le mobile de l’accusé était de tirer un plaisir sexuel, dans la mesure où cela peut ressortir de la preuve, il peut s’agir d’un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Toutefois, il faut souligner que l’existence d’un tel mobile constitue simplement un des nombreux facteurs dont on doit tenir compte et dont l’importance variera selon les circonstances.[17]

[Renvois omis]

[Soulignement ajouté]

Le fait de dénuder une victime et de couper intentionnellement ses parties génitales constitue une agression sexuelle en l’absence de toute explication contraire

[23]        Selon l’appelant, la preuve ne démontre pas que l’agression est survenue dans un contexte sexuel ou charnel.

[24]        Pour savoir s’il est en présence d’une agression sexuelle, l’analyse du juge ne doit pas se limiter à l’identification de la partie du corps où est infligée une lésion. Il doit examiner la nature du contact et la situation dans laquelle il s’est produit, selon une analyse objective[18]. Les facteurs pertinents sont les parties du corps touchées, la nature du contact, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces. L’intention ou le dessein d’un accusé, si celui-ci était de tirer un plaisir sexuel, peut aussi constituer un facteur pertinent.

[25]        Ici, le contexte sexuel de l’agression est démontré objectivement selon la norme applicable à l’enquête préliminaire, soit un degré peu élevé : la victime a été retrouvée nue, ses parties intimes ont été touchées, des lacérations importantes et répétées sont concentrées sur ses organes génitaux et résultent de gestes posés alors qu’elle était vraisemblablement toujours vivante. De plus, l’agression est survenue dans un lieu privé, la salle de bain.

[26]        Ces éléments sont susceptibles de permettre à un jury convenablement instruit de conclure à la nature charnelle de l’agression. Dans R. c. Muchikekwanape[19], la Cour d’appel du Manitoba a décidé qu’il n’y a pas d’erreur quand, dans ses instructions au jury, le juge du procès dit que le fait de dénuder une victime et de couper intentionnellement ses parties génitales constitue une agression sexuelle en l’absence de toute explication contraire :

65        […] forcibly removing someone’s clothing, leaving them naked from the waist down, and/or intentionally cutting their genitals, in the absence of an explanation indicating otherwise, are acts violating the sexual integrity of the person so attacked. This is especially so given the objective nature of the test and the fact that the desire for sexual gratification is not a necessary element for the finding of sexual assault. The trial judge committed no error when she told the jury that sexual assault was the application of force to another in the context of sexuality and that either of these two acts in this context, if the jury found them to have occurred, amounted to sexual assault.[20]

Le lien temporel et causal entre l’agression sexuelle et le meurtre

[28]        L’appelant remet en question l’existence d’un lien temporel et causal entre les lésions infligées à la victime et son décès.

[29]        Le Code criminel prévoit que le meurtre est de premier degré lorsque la mort est causée en commettant ou en tentant de commettre une agression sexuelle :

231. (1) Il existe deux catégories de meurtres : ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.

 

[…]

 

(5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :

 

[…]

 

b) l’article 271 (agression sexuelle);

 

c) l’article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);

 

d) l’article 273 (agression sexuelle grave); […].

231. (1) Murder is first degree murder or second degree murder.

 

 

[…]

 

(5) Irrespective of whether a murder is planned and deliberate on the part of any person, murder is first degree murder in respect of a person when the death is caused by that person while committing or attempting to commit an offence under one of the following sections:

 

[…]

 

(b) section 271 (sexual assault);

 

 

(c) section 272 (sexual assault with a weapon, threats to a third party or causing bodily harm);

 

 

 

(d) section 273 (aggravated sexual assault); […].

 

[30]        L’expression « en commettant ou tentant de commettre » contenue au paragraphe 231(5) C.cr. a posé des difficultés d’interprétation. Dans l’arrêt R. c. Paré, la Cour suprême a mis fin à la controverse et rejeté l’interprétation stricte de cette disposition. Elle a retenu la théorie « d’une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire »[21].

[31]        L’exigence « d’un lien temporel et causal étroit »[22] ne pose pas de difficultés lorsque l’agression sexuelle a commencé ou a été complétée peu de temps avant le décès. Ici, le rapport médico-légal établit que la victime était encore vivante lorsque ses organes génitaux ont subi d’importantes lacérations[23]. Un jury adéquatement informé en droit est susceptible de conclure que le meurtre et l’agression sexuelle de la victime sont survenus dans une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire[24] :

[64] In R. v. Pritchard, 2008 SCC 59 (CanLII), [2008] 3 S.C.R. 195, at para. 35, Binnie J., writing for the court, paid regard to the underlying philosophy of s. 231(5) when providing guidance on how the temporal and causative link is to be applied:

The temporal-causal connection is established where the [underlying offence] creates a “continuing illegal domination of the victim” that provides the accused with a position of power which he or she chooses to exploit to murder the victim.

[…]

[68] If the two crimes are so “inextricably intertwined that they form a single, continuous transaction”, the requisite connections called for under the “while committing” requirement exist: Muchikekwanape, at para. 77. The “temporal connection” is obvious and the required “causal connection” is generally supplied by the fact that death was caused during what can fairly be seen, in all of the circumstances, as a single transaction, to wit, a sexual killing.

[69] Where the murder and sexual assault are sufficiently intertwined to constitute a single transaction, the underlying principle of s. 231(5)(b) is also clearly honoured. As Fraser C.J.A. put it in Richer, at para. 14:

[W]hen the required linkage is found to exist, it is the two crimes – sexual assault and murder – committed together, regardless of the order, which represents the ultimate exploitation of the position of power over a victim.

[32]        L’appelant appuie sa thèse sur l’arrêt Quesnel rendu par la Cour d’appel du Manitoba. Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel minoritaire, qui interprète la disposition de façon étroite[25]. Cette interprétation a été sévèrement critiquée, notamment par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts Westergard[26] et Niemi[27].