Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Les dernières semaines ont fait ressortir une problématique qui, malheureusement, affecte toujours la société dans laquelle nous vivons. Le problème de l’intimidation a effectivement refait surface ces dernières semaines. Le 14 octobre dernier, Jamie Hubley, un jeune homme de 15 ans, s’est suicidé après des semaines de persécution à son école d’Ottawa. Plus récemment, le suicide de Marjorie Raymond, âgée du même âge, a engendré au Québec un mouvement de sympathie qui ne peut que nous laisser sensibles aux malheurs que certains jeunes vivent quotidiennement. D’ailleurs, certaines personnes ont décidé de s’impliquer à leur façon afin de faire changer les choses, dont notamment cette jeune Thetfordoise, Émilie Rémillard, laquelle a généré beaucoup de fierté chez les gens qui viennent de Thetford Mines, dont moi-même! Par conséquent, je profite de cette tribune pour poser moi aussi un petit geste qui, accumulé à des milliers d’autres, finira par faire changer certaines mentalités.

L’intimidation relève-t-elle d’un comportement criminel?

Dans une perspective qui est propre à un raisonnement juridique, définissons d’abord ce qu’on entend par « intimidation » :

L’intimidation est un problème relationnel dont la solution est, obligatoirement, relationnelle. Il s’agit d’un abus de pouvoir envers ses pairs qui s’exprime de différentes manières selon l’âge de l’agresseur. On parle d’intimidation lorsqu’il y a violence à répétition avec abus de pouvoir de la part de l’agresseur envers l’agressé[1].

À la lumière de ce qui précède, force est de constater que l’intimidation est un concept large. Cependant, la définition mentionne qu’« [i]l s’agit d’un abus de pouvoir envers ses pairs qui s’exprime de différentes manières ». Autrement dit, tel que certains experts le présentent, l’intimidation possède de multiples visages. Je vais donc énoncer quatre formes que peut prendre l’intimidation pour ensuite les associer aux crimes que j’ai brièvement retrouvés au sein du Code criminel. Très rapidement, on se rend compte que tolérer l’intimidation équivaut, bien souvent, à tolérer des comportements illégaux.

Intimidation physique 

L’intimidation physique peut s’exprimer par divers comportements, notamment frapper, pousser ou cracher sur une personne. Selon l’art. 265 du C.cr., ces comportements sont tous considérés comme des voies de fait. Si les tribunaux ont reconnu que de simples paroles qui ne sont pas accompagnées d’un geste ne constituent pas des voies de fait[2], ils ont jugé qu’une menace de violer l’intégrité ou d’appliquer la force à une personne est un acte illégal[3] et que le simple fait de toucher quelqu’un peut constituer une voie de fait[4]. L’intimidation physique peut aussi mener l’agresseur à voler sa victime, ce qui est illégal au sens de l’art. 334 (et 322) du C.cr.. Le « taxage » est même considéré comme étant un vol qualifié au sens de l’art. 344 du C.cr., en ce que la violence est utilisée pour commettre le vol.

Intimidation verbale 

L’intimidation verbale peut se traduire par le fait de menacer une personne de lui infliger la mort ou des lésions corporelles, ce qui est contraire à l’art. 264.1 du C.cr.. De plus, dans des circonstances où les menaces sont faites de façon répétée, il se peut que l’on soit en présence de harcèlement criminel au sens de l’art. 264 du C.cr.. Ainsi donc, même si de simples paroles ne peuvent constituer des voies de fait (tel que nous l’avons vu ci-dessus), celles-ci peuvent tout de même, dans certaines circonstances, relever d’un comportement criminel.

Cyber intimidation 

La cyber intimidation peut s’exprimer par exemple par l’envoie de messages sur Facebook ou Twitter, qui sont destinés à embarrasser et briser la réputation de quelqu’un. À ce sujet, l’art. 301 (et 298) du C.cr. prohibe tout libelle diffamatoire :

298. (1)    Un libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée.

Notons que la Cour suprême a reconnu que de simples insultes ne devraient pas être sanctionnées. Elle a rappelé que seulement les insultes « destinées à outrager » sont criminelles[5], c’est-à-dire des insultes graves.

Intimidation sociale 

L’intimidation sociale peut s’exprimer par divers comportements, moins graves s’ils sont pris individuellement, mais tous aussi destructeurs s’ils sont analysés selon une perspective globale. Par exemple, le fait d’exclure quelqu’un d’un groupe, de commérer ou lancer des rumeurs à son sujet, ou de créer des situations visant à le ridiculiser, peut s’inscrire dans la catégorie de l’intimidation sociale, si ce sont des gestes qui se perpétuent. Si le Code criminel ne punit pas spécifiquement l’intimidation sociale, on retrouve à l’art. 423 du C.cr. un crime intitulé « intimidation », lequel peut trouver application notamment lorsqu’une personne en force une autre à « s’abstenir de faire une chose qu’elle a légalement le droit de faire, ou à faire une chose qu’elle peut légalement s’abstenir de faire ».

 

La responsabilité des parents d’un jeune se livrant à de l’intimidation

Laissons de côté – pour une rare fois – le droit criminel, et tournons nous maintenant vers le droit civil. Le Code civil du Québec énonce à son art. 1459 que le titulaire de l’autorité parentale est responsable de la faute commise par le mineur à l’égard de qui il exerce cette autorité, à moins de prouver qu’il n’a lui-même commis aucune faute dans la garde, la surveillance ou l’éducation du mineur. Autrement dit, la loi énonce que les parents seront présumés eux-mêmes fautifs, et ce, même si c’est leur enfant qui a commis la faute.

Il serait donc possible d’imaginer un recours civil à l’encontre des parents d’un jeune agresseur qui a commis de l’intimidation (la faute). Cependant, rappelons qu’un préjudice devrait être démontré, ainsi qu’un lien de causalité (i.e que c’est l’intimidation qui a causé le préjudice). Cependant, il semble – de prime abord – que ce lien de causalité pourrait être difficile à établir de façon prépondérante considérant la nature de la faute. En effet, l’intimidation se déroule généralement sur une longue période et différents acteurs y prennent part. Néanmoins, un tel recours demeure en théorie possible.

Conclusion : L’intimidation est une confession de l’impuissance intellectuelle   

Nul besoin de connaître le Code criminel ou encore le Code civil du Québec pour savoir que l’intimidation va à l’encontre de la moralité sociale. Bien que les gestes d’un agresseur puissent être parfois « légaux », et à certains autres moments, illégaux, rappelons ici que l’intimidation est, dans tous les cas, une confession de l’impuissance intellectuelle. Si on considère cette dernière assertion, force est d’admettre que le silence peut parfois représenter la meilleure des réparties[6] pour une personne qui est en train de se faire intimider[7]! De plus, les témoins doivent se livrer à une dénonciation (tout comme la victime, si possible), car « sous prétexte de tolérance, on devient complaisant »[8]. D’ailleurs, rappelons que la Cour suprême a jugé que « [l]a fouille d’un élève par les responsables d’une école n’a pas à reposer sur des motifs raisonnables et probables. Au contraire, […] ils peuvent effectuer [des] fouille[s] s’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’école a été violée ou est en train de l’être, et que la preuve de cette violation se trouve dans les lieux ou sur la personne de l’élève fouillé »[9]. Autrement dit, la Cour suprême considère que le pouvoir de fouille des intervenants scolaires est plus étendu que celui qui est conféré aux policiers. Cela peut être utile, par exemple, si des intervenants scolaires sont informés que certains élèves ont caché – ou volé – des objets appartenant à une personne victime d’intimidation.

En terminant, voici quelques faits intéressants :

–     Le gouvernement libéral de l’Ontario a récemment déposé un projet de loi qui vise spécifiquement à contrer l’intimidation.

 

–     Selon Statistique Canada, 10% des enfants sont victimes d’intimidation au moins une fois par semaine; 60% ont également été témoins, agresseurs ou victimes d’intimidation.

 

–     Une dénonciation peut valoir la peine. Par exemple,  les médias annonçaient le 6 décembre dernier qu’un jeune de 13 ans, qui se serait livré à de l’intimidation à l’endroit d’un autre adolescent, a été accusé, notamment, de voies de faits et de menaces.

N.B. J’ai utilisé le masculin dans ce billet dans l’unique but de faciliter la rédaction.


[1] Juvonen & Graham, 2011; Olweus, 1991; Pepler & Craig, 2000. Cette information a été tirée du site Internet que vous pouvez retracer en cliquant ici.

[2] Voir R. c. Byrne (1968), 3 C.C.C. 179 (C.A.C-B.).

[3] Voir R. c. Cadden (1989), 48 C.C.C. (3d) 122 (C.A.C-B.).

[4] Voir R. c. Burden (1981), 64 C.C.C. (2d) 68 (C.A.C-B.).

[5] Voir R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439.

[6] À noter que ces termes sont cependant antinomiques.

[7] N’étant absolument pas expert en « intimido-victimologie », je précise que cette opinion m’est personnelle.

[8] Cette réflexion provient de Marie-France Hirigoyen qui est une psychiatre française.

[9] Voir R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393.