Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65

L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable

[25] Depuis plusieurs années, la jurisprudence de notre Cour évolue vers une reconnaissance du fait que la norme de la décision raisonnable devrait être le point de départ du contrôle judiciaire d’une décision administrative. En effet, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable est déjà une caractéristique bien établie de l’analyse relative à la norme de contrôle applicable dans les cas où le décideur administratif interprète sa loi constitutive : voir Alberta Teachers, par. 30; Saguenay, par. 46; Edmonton East, par. 22. À notre avis, il y a maintenant lieu d’affirmer que chaque fois qu’une cour examine une décision administrative, elle doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable à l’égard de tous les aspects de cette décision est celle de la décision raisonnable. Si cette présomption vise l’interprétation de sa loi habilitante par le décideur administratif, elle s’applique aussi de façon plus générale aux autres aspects de sa décision.

[30] Si l’expertise spécialisée et ces autres considérations peuvent toutes justifier la délégation du pouvoir décisionnel, une cour de révision n’est pas tenue d’établir laquelle de ces considérations s’applique dans le cas d’un décideur donné afin de déterminer la norme de contrôle applicable. Nous sommes plutôt d’avis que c’est le fait même que le législateur choisit de déléguer le pouvoir décisionnel qui justifie l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable. La Cour a de fait déjà reconnu ce fondement de l’application de la norme de la décision raisonnable aux décisions administratives. Dans l’arrêt Khosa, par exemple, les juges majoritaires ont interprété l’arrêt Dunsmuir comme appuyant la proposition selon laquelle, « sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires » : par. 25. Plus récemment, dans l’arrêt Edmonton East, la juge Karakatsanis a expliqué que la présomption de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable « respecte le principe de la suprématie législative et la décision de déléguer le pouvoir décisionnel à un tribunal administratif plutôt qu’aux cours de justice » : par. 22. Qui plus est, dans l’arrêt CCDP, le juge Gascon a précisé que « le fait que le législateur a confié certains pouvoirs à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires porte à croire qu’il avait l’intention que la déférence s’impose » : par. 50. Autrement dit, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable se justifie à la fois par le respect de ce choix en matière d’organisation institutionnelle et du principe démocratique, ainsi que par la nécessité que les cours de justice évitent « toute immixtion injustifiée » dans l’exercice par le décideur administratif de ses fonctions : Dunsmuir, par. 27.

[32] Cela dit, notre position de départ voulant que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable n’est pas inconciliable avec la primauté du droit. Puisque cette approche repose sur le respect du choix fait par le législateur, les cours de justice doivent aussi donner effet aux indications expresses de ce dernier sur l’application d’une norme de contrôle différente. De la même manière, la cour de révision doit être prête à déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable dans les cas où le respect de la primauté du droit exige une réponse unique, décisive et définitive à la question dont elle est saisie. Nous examinons chacune de ces situations à tour de rôle.

La dérogation à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable compte tenu de l’intention du législateur

[33] La Cour a écrit que le respect de l’intention du législateur « doit nous guider » en matière de contrôle judiciaire : S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 (CanLII), [2003] 1 R.C.S. 539, par. 149. Cette position demeure pertinente. La présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable décrite ci‑dessus a pour objet de donner effet à la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à un décideur administratif plutôt qu’aux cours de justice. Cette présomption peut donc être réfutée si le législateur prévoit l’application d’une norme de contrôle différente, ce qu’il peut faire de deux façons. Premièrement, le législateur peut prescrire expressément, dans une loi, la norme de contrôle applicable aux décisions d’un décideur administratif en particulier. Deuxièmement, le législateur peut indiquer qu’une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable est de mise en prévoyant un mécanisme d’appel à l’encontre d’un décideur administratif devant une cour de justice, ce qui dénote que les normes générales en matière d’appel trouvent application.

(1) Les normes de contrôle établies par voie législative

[35] Ainsi, lorsque le législateur indique que les cours de justice ont l’obligation d’appliquer la norme de la décision correcte lors du contrôle de certaines questions, c’est la norme qu’il convient alors d’appliquer. En Colombie‑Britannique, la législature a fixé la norme de contrôle applicable pour de nombreux tribunaux administratifs en se fondant sur l’Administrative Tribunals Act, S.B.C. 2004, c. 45 : voir art. 58 et 59. Par exemple, elle a prévu que les questions d’interprétation des lois dont est saisi le tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte : ibid., par. 59(1); Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, c. 210, art. 32. Nous sommes toujours d’avis que, dans les cas où le législateur énonce la norme de contrôle applicable, les cours de justice sont tenues au respect de celle‑ci, dans les limites qu’impose la primauté du droit.

(2) Les mécanismes d’appel prévus par la loi

[37] Il convient donc de reconnaître que, lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes applicables en appel pour réviser la décision. Ainsi, la norme de contrôle applicable doit être déterminée eu égard à la nature de la question et à la jurisprudence de notre Cour en la matière. Par exemple, lorsqu’une cour de justice entend l’appel d’une décision administrative, elle se prononcera sur des questions de droit, touchant notamment à l’interprétation législative et à la portée de la compétence du décideur, selon la norme de la décision correcte conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8. Si l’appel prévu par la loi porte notamment sur des questions de fait, la norme de contrôle sera celle de l’erreur manifeste et déterminante (applicable également à l’égard des questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un principe juridique facilement isolable) : voir Housen, par. 10, 19 et 26‑37. Évidemment, si le législateur entend prévoir l’application en appel d’une autre norme de contrôle, il lui est toujours loisible d’exprimer son intention en énonçant dans la loi la norme de contrôle applicable.

[50] Nous apportons ici trois précisions sur le rôle que joue le mécanisme d’appel prévu par la loi dans le choix de la norme de contrôle applicable. Premièrement, nous soulignons que les régimes législatifs peuvent accorder aux parties le droit de porter en appel une décision administrative devant une cour de justice en tout temps (c’est‑à‑dire, de plein droit) ou sur autorisation. Si l’obligation d’obtenir une autorisation détermine si un appel à l’encontre d’une décision sera instruit, elle n’a aucun impact sur la norme qui prévaut en appel une fois l’autorisation accordée.

[51] Deuxièmement, nous rappelons que ce ne sont pas toutes les dispositions législatives envisageant la possibilité qu’une cour de justice puisse contrôler une décision administrative qui confèrent dans les faits un droit d’appel. Certaines dispositions reconnaissent simplement que toute décision administrative est susceptible de contrôle judiciaire et traitent de questions de procédure ou d’autres éléments semblables du contrôle judiciaire applicable dans un contexte particulier. Comme elles n’attribuent pas de fonction d’appel aux cours de justice, ces dispositions ne permettent pas de recourir aux normes d’intervention applicables en appel. Parmi ces dispositions figurent les art. 18 à 18.2, 18.4 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales qui donnent à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant des offices fédéraux, accorder réparation le cas échéant et se prononcer sur les aspects procéduraux de ces demandes : voir Khosa, par. 34. Un autre exemple est celui de l’art. 470, dans sa version actuelle, de la Municipal Government Act, R.S.A. 2000, c. M‑26, de l’Alberta, qui ne prévoit pas de droit d’appel devant une cour de justice, mais porte plutôt sur des considérations et des conséquences procédurales [traduction] « [d]ans le cas où la décision d’un comité de révision des évaluations fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire » : par. 470(1).

[52] Troisièmement, nous soulignons que les droits d’appel conférés par la loi sont souvent circonscrits : leur portée peut être restreinte en fonction des types de questions sur lesquelles une partie peut interjeter appel (par exemple, lorsque le droit d’appel ne vise que des questions de droit), ou en fonction du type de décision susceptible d’être portée en appel (lorsque, par exemple, certaines décisions d’un décideur administratif sont sans appel devant une cour de justice), ou bien en fonction de la partie ou des parties qui peuvent porter la cause en appel. La présence d’un droit d’appel circonscrit dans le cadre d’un régime législatif ne fait pas obstacle en soi aux demandes de contrôle judiciaire visant des décisions ou des questions qui ne sont pas visées par le mécanisme d’appel, ni aux recours intentés par des personnes qui n’ont aucun droit d’appel. Dans de tels cas, ce contrôle judiciaire diffère toutefois d’un appel, et la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable lors du contrôle judiciaire ne sera pas réfutée en invoquant le mécanisme d’appel autrement prévu par la loi.

La norme de la décision correcte s’impose lorsque la primauté du droit l’exige

[53] À notre avis, le respect de la primauté du droit exige que les cours de justice appliquent la norme de la décision correcte à l’égard de certains types de questions de droit : les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. L’application de la norme de la décision correcte à l’égard de ces questions s’accorde avec le rôle unique du pouvoir judiciaire dans l’interprétation de la Constitution, et fait en sorte que les cours de justice ont le dernier mot sur des questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige une cohérence et une réponse décisive et définitive s’impose : Dunsmuir, par. 58.

[54] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte peut choisir de confirmer la conclusion du décideur administratif ou de lui substituer sa propre conclusion : Dunsmuir, par. 50. S’il est opportun que la cour de révision tienne compte du raisonnement du décideur administratif — et puisse en fait le trouver convaincant et le faire sien — elle est en fin de compte habilitée à tirer ses propres conclusions sur la question en litige.

(1) Les questions constitutionnelles

[55] L’examen des questions touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces, au rapport entre le législateur et les autres organes de l’État, à la portée des droits ancestraux et droits issus de traités reconnus à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et à d’autres questions de droit constitutionnel nécessite une réponse décisive et définitive des cours de justice. Il faut donc continuer d’appliquer la norme de la décision correcte au moment d’examiner les questions de cette nature : Dunsmuir, par. 58; Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), 1998 CanLII 813 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 322.

(2) Les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble

[58] Outre les questions constitutionnelles, la Cour a reconnu à la majorité dans l’arrêt Dunsmuir qu’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » commande l’application de la norme de la décision correcte : par. 60, citant Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 77, par. 62, motifs concordants du juge LeBel. Nous demeurons d’avis que la primauté du droit exige que les cours de justice tranchent de manière définitive les questions de droit générales qui sont « d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ». Toutefois, au regard des principes qui sous‑tendent de telles questions, il n’est pas nécessaire d’examiner l’expertise spécialisée du décideur pour déterminer s’il faut appliquer la norme de la décision correcte en pareils cas. Comme l’indique le par. 31 des présents motifs, la prise en compte de l’expertise est incorporée au nouveau point de départ adopté dans les présents motifs, à savoir la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable.

[60] La jurisprudence de notre Cour continue de fournir des indications importantes sur ce qui constitue une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Par exemple, on a jugé que les questions de droit générales suivantes sont d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble : lorsqu’une procédure administrative est prescrite par l’application des doctrines de l’autorité de la chose jugée et de l’abus de procédure (Toronto (Ville), par. 15); la portée de l’obligation de neutralité religieuse de l’État (Saguenay, par. 49); le bien‑fondé des limites du secret professionnel de l’avocat (University of Calgary, par. 20); et la portée du privilège parlementaire (Chagnon, par. 17). Il importe par contre de préciser qu’il y a lieu d’interpréter avec prudence ces décisions, puisque l’expertise perd dorénavant sa pertinence lorsqu’il s’agit d’identifier les questions appartenant à cette catégorie : voir, p. ex., CCDP, par. 43.

[61] Nous tenons à préciser que le simple fait qu’un conflit puisse être « d’intérêt public général » ne suffit pas pour qu’une question entre dans cette catégorie — pas plus que ne l’est le fait qu’une question formulée dans un sens général ou abstrait porte sur un enjeu important : voir, p. ex., Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 458, par. 66; McLean, par. 28; Barreau du Québec c. Québec (Procureur général), 2017 CSC 56 (CanLII), [2017] 2 R.C.S. 488, par. 18. La jurisprudence renferme de nombreux exemples de questions que notre Cour n’a pas considérées comme étant des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Mentionnons, entre autres, la question de savoir si un certain tribunal administratif peut accorder ou non un type particulier d’indemnité (Mowat, par. 25); les cas dans lesquels un arbitre peut appliquer une préclusion à titre de réparation (Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 616, par. 37‑38); l’interprétation d’une disposition législative prescrivant le délai pour mener à terme une enquête (Alberta Teachers, par. 32); la portée des droits de la direction prévus dans une convention collective (Pâtes & Papier Irving, par. 7, 15‑16 et 66, les juges Rothstein et Moldaver, dissidents mais non sur ce point); l’application d’un délai de prescription en vertu d’une loi portant sur les valeurs mobilières (McLean, par. 28‑31); la possibilité pour une partie à un contrat confidentiel de porter plainte sous un régime particulier de réglementation (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, par. 60); et la portée d’une exception permettant aux non-avocats de représenter un ministre dans certaines instances (Barreau du Québec, par. 17‑18). Comme ces commentaires l’indiquent et ces exemples le montrent, le simple fait que l’expertise n’occupe plus de place dans la sélection de la norme de contrôle ne veut pas dire que les questions d’importance capitale forment désormais une vaste catégorie fourre‑tout à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

(3) Les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs

[63] Enfin, la primauté du droit veut que la norme de la décision correcte s’applique à la délimitation des compétences respectives d’organismes administratifs : Dunsmuir, par. 61. Une telle question s’est posée dans l’arrêt Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 360, où le débat portait sur la compétence d’un arbitre en matière de relations de travail pour statuer sur des questions de discipline et de renvoi de policiers qui étaient par ailleurs régies par un régime législatif complet. De même, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39 (CanLII), [2004] 2 R.C.S. 185, la Cour était saisie d’un conflit de compétence entre un arbitre en droit du travail et le Tribunal des droits de la personne du Québec.

[64] Il est rare que les décisions administratives soient contestées pour ce motif. Le cas échéant, toutefois, la primauté du droit commande l’intervention des cours de justice lorsqu’un organisme administratif interprète l’étendue de ses pouvoirs d’une manière qui est incompatible avec la compétence d’un autre organisme administratif. La raison d’être de cette catégorie de questions est simple : la primauté du droit ne saurait tolérer des ordonnances et des procédures qui entraînent un véritable conflit opérationnel entre deux organismes administratifs, de sorte qu’une partie se retrouve aux prises avec deux décisions contradictoires : voir British Columbia Telephone Co., par. 80, motifs concordants de la juge McLachlin (plus tard juge en chef). Les membres du public doivent savoir à qui s’adresser en vue de régler un litige. À l’instar des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, l’application de la norme de la décision correcte s’impose dans ces cas par souci de prévisibilité, de certitude et de caractère définitif du processus décisionnel en droit administratif.

Les autres circonstances qui nécessitent de déroger à l’application de la norme de la décision raisonnable

[69] Dans les présents motifs, nous avons relevé cinq situations où se justifie une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, soit sur le fondement de l’intention du législateur (en l’occurrence, les normes de contrôle établies par voie législative et les mécanismes d’appel prévus par la loi), soit parce que la primauté du droit exige un contrôle selon la norme de la décision correcte (en l’occurrence, les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, ainsi que les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs). Ce cadre d’analyse découle d’un examen minutieux, entrepris après avoir reçu des observations approfondies et procédé à une étude fouillée de la jurisprudence applicable. Pour le moment, nous estimons que les présents motifs couvrent l’ensemble des situations dans lesquelles il convient que la cour de révision déroge à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Comme nous l’avons déjà indiqué, les cours de justice ne devraient plus recourir à l’analyse contextuelle pour déterminer la norme de contrôle applicable ou pour réfuter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. En finir avec cette approche contextuelle fera en sorte, nous l’espérons, que « les parties cessent de débattre des critères applicables et fassent plutôt valoir leurs prétentions sur le fond » : Alberta Teachers, par. 36, citant Dunsmuir, par. 145, motifs concordants du juge Binnie.

[70] Toutefois, nous ne fermons pas définitivement la porte à la possibilité qu’une autre catégorie puisse ultérieurement être reconnue comme appelant une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Notre réticence à qualifier d’exhaustive la liste d’exceptions à l’application de la norme de la décision raisonnable ne doit cependant pas être interprétée comme visant à favoriser l’établissement routinier de nouvelles catégories de situations commandant l’application de la norme de la décision correcte. Cette réticence relève plutôt de la constatation qu’il serait illusoire de déclarer que nous avons envisagé toutes les combinaisons possibles de circonstances dans lesquelles l’intention du législateur ou la primauté du droit pourront commander une dérogation à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. Cela dit, la reconnaissance de tout nouveau fondement pour l’application de la norme de la décision correcte devrait revêtir un caractère exceptionnel et devrait respecter le cadre d’analyse et les principes prépondérants énoncés dans les présents motifs. Autrement dit, toute nouvelle catégorie de questions qui justifie une dérogation à la norme de la décision raisonnable sur le fondement de l’intention du législateur devrait comporter une indication de cette volonté tout aussi solide et convaincante que les indications mentionnées dans les présents motifs (c.‑à‑d. une norme de contrôle établie par voie législative ou un mécanisme d’appel prévu par la loi). De la même manière, la reconnaissance d’une nouvelle catégorie de questions qui commande l’application de la norme de la décision correcte sur le fondement de la primauté du droit ne serait justifiée que dans le cas où le défaut d’appliquer la norme de la décision correcte risquerait d’ébranler la primauté du droit et mettrait en péril le bon fonctionnement du système de justice d’une façon analogue aux trois situations décrites dans les présents motifs.


L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[74] Dans cette partie de nos motifs, nous fournissons de telles indications. L’approche retenue est axée sur la justification, s’appuie sur une cohérence sur le plan méthodologique, et renforce le principe voulant que « la prise de décisions motivées constitue la pierre angulaire de la légitimité des institutions » : mémoire des amici curiae, par. 12.

A. L’équité procédurale et le contrôle judiciaire sur le fond

[77] Il est de jurisprudence constante que l’équité procédurale n’exige pas que toutes les décisions administratives soient motivées. L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Knight c. Indian Head School Division No. 19, 1990 CanLII 138 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 22‑23; Moreau‑Bérubé, par. 74‑75; Dunsmuir, par. 79. Dans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances : Baker, par. 21. Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, notamment la nécessité de fournir des motifs écrits. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même : Baker, par. 23‑27; voir également Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 (CanLII), [2004] 2 R.C.S. 650, par. 5. Parmi les cas où des motifs écrits sont généralement nécessaires, on compte les situations où le processus décisionnel accorde aux parties le droit de participer, où une décision défavorable aurait une incidence considérable sur l’intéressé, ou encore celles où il existe un droit d’appel : Baker, par. 43; D. J. M. Brown et l’honorable J. M. Evans, avec l’aide de D. Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 3, p. 12‑54.

[81] Les motifs favorisent un contrôle judiciaire valable en mettant en lumière la justification de la décision : Baker, par. 39. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 708, la Cour a réaffirmé que « l’objet des motifs, dans les cas où il faut en exposer, est d’établir “la justification de la décision [ainsi que] la transparence et [. . .] l’intelligibilité du processus décisionnel » : par. 1, citant Dunsmuir, par. 47; voir aussi Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 3, par. 126. Notre analyse prend donc comme point de départ que, lorsque des motifs sont requis, ceux‑ci constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision. En conséquence, la communication des motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux‑ci sur le fond.

B. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte sur le processus décisionnel et ses résultats

[83] Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, par. 50‑51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

[85] Comprendre le raisonnement qui a mené à la décision administrative permet à la cour de révision de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Comme nous l’expliquerons davantage, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision.

[86] L’attention accordée aux motifs formulés par le décideur est une manifestation de l’attitude de respect dont font preuve les cours de justice envers le processus décisionnel : voir Dunsmuir, par. 47‑49. Il ressort explicitement de l’arrêt Dunsmuir que la cour de justice qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » : par. 47. Selon l’arrêt Dunsmuir, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : ibid. En somme, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné.

C. La norme de la décision raisonnable est une norme unique qui tient compte du contexte

[89] Malgré cette diversité, la norme de la décision raisonnable demeure une norme unique, et les éléments du contexte entourant une décision n’altèrent pas cette norme ou le degré d’examen que doit appliquer une cour de révision. Le contexte particulier d’une décision circonscrit plutôt la latitude du décideur administratif en matière de décision raisonnable dans un cas donné. C’est ce que l’on entend quand on affirme que « [l]a raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte » : Khosa, par. 59; Catalyst, par. 18; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 364, par. 44; Wilson, par. 22, la juge Abella; Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII), [2016] 2 R.C.S. 80, par. 57, la juge Côté, dissidente mais non sur ce point; Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32 (CanLII), [2018] 2 R.C.S. 293, par. 53.

D. Les motifs écrits d’une décision devraient être interprétés à la lumière du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils sont fournis

[92] On ne peut pas toujours s’attendre à ce que les décideurs administratifs déploient toute la gamme de techniques juridiques auxquelles on peut s’attendre de la part d’un avocat ou d’un juge et il ne sera pas toujours nécessaire, ni même utile, de le faire. En réalité, les concepts et le vocabulaire employés par ces décideurs sont souvent, dans une très large mesure, propres à leur champ d’expertise et d’expérience, et ils influent tant sur la forme que sur la teneur de leurs motifs. Ces différences ne sont pas forcément le signe d’une décision déraisonnable; en fait, elles peuvent indiquer la force du décideur dans son champ d’expertise précis. La « justice administrative » ne ressemble pas toujours à la « justice judiciaire » et les cours de révision doivent en demeurer pleinement conscientes.

[96] Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant dûment compte du contexte institutionnel et du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines, par. 26‑28. Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses et Alberta Teachers ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.

E. Une décision raisonnable est à la fois fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision

[100] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[101] Qu’est‑ce qui rend une décision déraisonnable? Il nous semble utile ici, d’un point de vue conceptuel, de nous arrêter à deux catégories de lacunes fondamentales. La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. Il n’est toutefois pas nécessaire que les cours de révision déterminent si les problèmes qui rendent la décision déraisonnable appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie. Ces désignations offrent plutôt un moyen pratique d’analyser les types de questions qui peuvent révéler qu’une décision est déraisonnable.

(1) Une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent

[102] Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Pâtes & Papier Irving, par. 54, citant Newfoundland Nurses, par. 14. Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’«[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Ryan, par. 55; Southam, par. 56. Les motifs qui « ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire » permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision, et [traduction] « ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement » : R. A. Macdonald et D. Lametti, « Reasons for Decision in Administrative Law » (1990), 3 R.C.D.A.P. 123, p. 139; voir également Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 750 (CanLII), par. 57-59.

(2) Une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision

[106] Il est inutile de cataloguer toutes les considérations juridiques ou factuelles qui pourraient réduire la marge de manœuvre d’un décideur administratif dans un cas donné. Néanmoins, dans les sections qui suivent, nous nous penchons sur un certain nombre d’éléments qui sont généralement utiles pour déterminer si une décision est raisonnable. Il s’agit notamment du régime législatif applicable et de tout autre principe législatif ou principe de common law pertinent, des principes d’interprétation des lois, de la preuve portée à la connaissance du décideur et des faits dont le décideur peut prendre connaissance d’office, des observations des parties, des pratiques et décisions antérieures de l’organisme administratif et, enfin, de l’impact potentiel de la décision sur l’individu qui en fait l’objet. Ces éléments ne doivent pas servir de liste de vérification pour l’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable et leur importance peut varier selon le contexte. L’objectif est simplement d’insister sur certains éléments du contexte pouvant amener la cour de révision à perdre confiance dans le résultat obtenu.

(a) Le régime législatif applicable

(b) Les autres règles législatives ou de common law

(c) Les principes d’interprétation législative

(d) La preuve dont disposait le décideur

(e) Les observations des parties

(f) Les pratiques et décisions antérieures

(g) L’incidence de la décision sur l’individu visé

F. Le contrôle en l’absence de motifs

[136] Lorsque l’obligation d’équité procédurale ou le régime législatif appellent la communication de motifs à la partie touchée mais qu’aucuns motifs n’ont été donnés, la décision doit généralement être infirmée et l’affaire, renvoyée au décideur : voir, p. ex., Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine, par. 35. En outre, si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible comme nous l’avons expliqué, la décision sera déraisonnable. Dans de nombreux cas toutefois, ni l’obligation d’équité procédurale ni le régime législatif applicable ne requerra la présentation de motifs écrits : Baker, par. 43.

G. Un mot sur le pouvoir discrétionnaire en matière de réparation

[140] Lorsque la cour de révision applique la norme de la décision raisonnable au moment d’effectuer un contrôle judiciaire, le choix de la réparation doit être guidé par la raison d’être de l’application de cette norme, y compris le fait pour la cour de révision de reconnaître que le législateur a confié le règlement de l’affaire à un décideur administratif, et non à une cour : voir Delta Air Lines, par. 31. Toutefois, l’examen de la question de la réparation doit aussi être guidé par les préoccupations liées à la bonne administration du système de justice, à la nécessité d’assurer l’accès à la justice et à « la volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique qui préside souvent au départ à la création d’un tribunal administratif spécialisé » : Alberta Teachers, par. 55.

[141] Donner effet à ces principes dans le contexte de la réparation signifie que, lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour. Quand il revoit sa décision, le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent : voir Delta Air Lines, par. 30‑31.

[142] Cependant, s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter : D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, par. 18‑19 (CanLII). L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien : voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, 1994 CanLII 114 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228‑230; Renaud c. Québec (Commission des affaires sociales), 1999 CanLII 642 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 855; Groia c. Barreau du Haut‑Canada, 2018 CSC 27 (CanLII), [2018] 1 R.C.S. 772, par. 161; Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205 (CanLII), par. 53‑54; Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45 (CanLII), par. 51‑56 et 84; Gehl c. Canada (Procureur général), 2017 ONCA 319, par. 54 et 88 (CanLII). Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire : voir MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 6, par. 45‑51; Alberta Teachers, par. 55.