R. c. Truchon, 2017 QCCQ 385

Le défaut par les policiers de respecter la période d’observation de 15 minutes préalable à la prise d’échantillon d’haleine soulève-t-il un doute réel sur le bon fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’appareil?

[57]        Le paragraphe 258(1) du Code criminel établit une présomption d’exactitude et une présomption d’identité lorsque les échantillons d’haleine de l’accusé sont prélevés conformément au paragraphe 254(3).

[58]        En vertu de la présomption d’exactitude, il est présumé que le taux d’alcoolémie de l’accusé mesuré par l’alcooltest correspond exactement à la teneur en alcool dans son sang au même moment.

[59]        La présomption d’identité signifie qu’il est présumé que l’alcoolémie de l’accusé au moment de l’alcooltest est la même que celle au moment de l’infraction reprochée.

[60]        Pour contrer ces présomptions, l’accusé doit apporter une preuve de mauvais fonctionnement ou d’utilisation incorrecte de l’alcootest.

[61]        La Cour suprême, dans R. c. St-Onge Lamoureux[2] insiste sur le fait que l’accusé n’a pas à établir un lien de causalité entre le mauvais fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’appareil et les résultats de l’alcootest.

[62]        La Cour d’appel de l’Alberta, dans R. c. So[3] fait une distinction fondamentale et précise que l’accusé doit soulever un doute raisonnable sur une déficience quant au fonctionnement ou l’utilisation de l’alcootest et que cette déficience doit être en lien direct avec la fiabilité des résultats de l’alcootest.

[63]        La juge Marie Deschamps dans l’arrêt St-Onge Lamoureux[4] explique en ces termes le fardeau de preuve de la défense :

[52] À ce stade de la présentation de la défense, il faut accepter que le juge ne se pencherait sur la preuve du lien entre une défaillance et l’indication d’une alcoolémie supérieure à la limite légale que dans le cas où la personne accusée aurait prouvé le mauvais fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’appareil. À cette étape, si les arguments invoqués par la défense sont futiles ou anodins, ils ne soulèveront pas de doute sur le bon fonctionnement ou l’utilisation correcte de l’appareil, et le moyen de défense ne pourra être retenu. Les faits de l’arrêt Crosthwait illustrent bien une telle situation. Dans cette affaire, la personne accusée avait tenté de mettre en doute le bon fonctionnement de l’appareil en plaidant que le technicien n’avait pas comparé la température ambiante avec celle de la solution avant de faire les analyses. La simple possibilité que l’appareil n’ait pas bien fonctionné ne constituait pas une preuve contraire permettant de douter de la fiabilité des résultats.

[64]        On comprend que la personne accusée doit soulever un doute réel sur le bon fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’appareil.

[65]        Dans la R. c. Ketler[5], le juge conclut que le défaut d’observer pendant quinze (15) minutes n’amène pas un doute sur la fiabilité des résultats. Dans cette affaire, l’accusé prétend avoir utilisé une pompe pour l’asthme et que la médication inhalée amenait une grande quantité d’alcool dans sa bouche pouvant avoir entraîné une erreur de lecture.

[66]        Dans la R. c. Lam[6], le juge Goldstein indique qu’il doit y avoir un lien entre le défaut d’entretien ou l’opération inadéquate de l’appareil d’alcootest au cours de l’administration des tests et la fiabilité des résultats obtenus.

[67]        Dans la R. c. Martial-Dallaire[7], monsieur le juge Champoux de la Cour du Québec fait une distinction entre le défaut d’observation pendant quinze (15) minutes et ce qu’il pourrait survenir pendant le défaut de surveillance.

[68]        Dans R. c. Paquet[8], l’accusé éructe deux (2) fois durant la période d’observation. Il n’a pas bu, mangé, fumé ou régurgité. S’appuyant sur l’arrêt R. c. So[9], la juge Lucille Chabot écrit :

[51]  Pour que l’on puisse retrouver des particules d’alcool dans la bouche de la personne sommée de fournir un échantillon, encore faut-il qu’il y ait présence d’alcool non digéré dans son estomac.

[52] S’il est relativement aisé de conclure ainsi lorsqu’une personne est interceptée dans les minutes suivant sa dernière consommation, il est plus difficile d’adopter le même raisonnement lorsque l’interception a lieu dans un délai beaucoup plus long.

[53]  Dans le présent cas, l’interception a lieu à 10 h 09, le premier test administré à 11 h 27 alors que monsieur Paquet aurait assisté à un party en début de nuit, party qu’il aurait quitté vers 1 h 30 soit près de 10 heures avant le premier test.

[54]  Avec un espace-temps aussi grand, il est ardu d’envisager la possibilité que l’accusé avait encore de l’alcool dans son estomac. Le Tribunal ne possède pas de connaissances d’office quant au délai nécessaire à la digestion de l’alcool, mais après un tel délai, il aurait été certes approprié qu’une personne détenant des connaissances plus spécialisées éclaire la Cour.

[55]  Le rot n’est pertinent que s’il est en conjonction avec la possibilité qu’il ne ramène des particules d’alcool non métabolisées de l’estomac vers la bouche. Cette possibilité n’existera que s’il y a toujours présence d’alcool dans l’estomac. En l’absence de cette preuve, le rot en soi ne revêt aucune pertinence s’il n’est pas en lien avec la présence d’alcool dans l’estomac.

[69]        Si le Tribunal cite un si long extrait de la décision R. c. Paquet[10], c’est que les faits se rapprochent à ceux dans le présent dossier.

[70]        L’accusé prétend avoir fait un rot, ce qui est fort plausible. Cependant, l’accusé prétend aussi qu’il a terminé sa dernière consommation à 18 h 45. Il passe un premier test d’alcoolémie à 0 h 43, soit six (6) heures plus tard. Le Tribunal ne peut conclure que le rot de l’accusé ait une pertinence quelconque sur le résultat des tests.

[71]        La preuve est à l’effet que l’accusé n’a pas bu, mangé, fumé ou régurgité entre le moment de son interception et les tests d’alcoolémie.

[72]        Par ailleurs, le temps d’observation de quinze (15) minutes n’est pas un critère énoncé au Code criminel pour l’application des présomptions d’exactitude et d’identité. Que les policiers aient maintenant la directive d’attendre quinze (15) minutes après la conversation avec l’avocat n’en fait pas une règle.