Caron Barrette c. R., 2018 QCCA 516

En matière de crimes sexuels commis sur des enfants, les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent se voir accorder une importance particulière, sans toutefois que l’on évacue tous les autres objectifs

[40]        En matière de crimes sexuels commis sur des enfants, les objectifs de dénonciation et de dissuasion, ainsi que le prévoit l’article 718.01 C.cr., doivent se voir accorder une importance particulière :

Il est des crimes qui témoignent des valeurs protégées par une collectivité humaine à un moment déterminé de son histoire et qui, à la faveur de l’évolution des sociétés, deviennent finalement périmés. Il en va différemment des crimes d’ordre sexuel commis sur des enfants en bas âge. Même avant que des lois pénales répressives ne sanctionnent ces délits, la protection des enfants constituait l’une des valeurs essentielles et pérennisées par la plupart des sociétés organisées. La fragmentation de la personnalité d’un enfant à l’époque où son organisation naissante ne laisse voir qu’une structure défensive très fragile, engendrera – à long terme – la souffrance, la détresse et la perte d’estime de soi. S’il est une intolérance dont une société saine ne doive jamais s’émanciper c’est bien celle qui concerne les abus sexuels commis sur de jeunes enfants.[37]

[41]        Dans l’arrêt R. c. Bergeron, la juge Bich, au nom de la Cour, précise que ces propos sont transposables aux infractions de nature sexuelle commises sur des adolescents :

[36]      Ces propos sont largement transposables aux adolescents qui, pour n’être plus des bambins, n’en sont pas moins, eux aussi, des personnes vulnérables, à une étape cruciale de leur développement personnel. Leur vulnérabilité réside souvent dans le fait qu’ils paraissent consentir, désirer, s’abandonner même aux abus perpétrés sur leur personne, ce qui en fait des victimes idéales, qui ne résistent pas à l’emprise qu’on exerce sur eux. On ne compte plus les adolescents ou adolescentes, par exemple, qui s’amourachent d’un professeur, d’un entraîneur ou autre personne faisant figure de mentor, et c’est précisément de cette attirance, qui accroît leur fragilité, que les adultes ne peuvent pas et n’ont pas le droit de profiter. L’article 718.01 C.cr. commande donc qu’une attention particulière (« primary consideration ») soit, dans leur cas comme dans celui des petits enfants, portée à l’objectif de dénonciation et de dissuasion.[38]

[Soulignement ajouté]

[42]        La juge Bich prend toutefois le soin de préciser que, dans certains cas, d’autres objectifs pourront prendre le pas sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, tout étant affaire de circonstances :

[37]      L’attention particulière qui s’impose ne donne cependant pas à l’objectif de dénonciation et de dissuasion un caractère absolument déterminant, ni ne dispense-t-il le juge de tenir compte de tous les objectifs, principes et critères propres au processus de détermination de la peine. Il y aura donc des cas où, l’objectif ayant été dûment considéré, d’autres facteurs devront l’emporter.[39]

[Soulignement ajouté]

[43]        Il en va ainsi parce que le principe de proportionnalité énoncé dans l’article 718.1 C.cr., qui constitue un élément central de la détermination de la peine, requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction[40].

[44]        Parlant de la culpabilité morale du délinquant, il importe de citer les auteurs Hugues Parent et Julie Desrosiers car, ainsi que nous allons maintenant le voir, l’analyse du juge est grandement déficiente à cet égard :

[…]      Parler de responsabilité, c’est parler, avant tout, du lien psychologique qui unit l’individu à l’infraction reprochée. Envisagée dans son rapport étroit avec la « culpabilité », il est évident que l’élément de faute influera sur la nature et la durée de la peine à infliger. Après tout, le meurtrier qui assassine froidement sa victime n’est-il pas plus blâmable que celui qui cause la mort d’une personne à la suite d’une bagarre à l’extérieur d’un débit de boisson? L’élément de faute étant à l’origine du reproche adressé à l’accusé, celui-ci nous renseignera sur le degré de culpabilité du délinquant. Bien qu’importante, l’analyse du degré de responsa­bilité du délinquant ne s’arrête pas à la recherche de son « état d’esprit coupable », car derrière l’infraction commise, derrière sa manifestation physique et psychologique, se cache la véritable personnalité du délinquant. D’un examen fondé sur la culpabilité pénale de l’individu, nous passons alors à une analyse centrée sur sa culpabilité morale ou générale. Désormais, tout un ensemble de facteurs et de considérations juridiques et extrajuridiques pénètrent dans la mécanique judiciaire. Derrière la prise en compte des circonstances particulières de l’infraction et des facteurs propres à l’accusé, c’est toute la personnalité du criminel qui se dé­plie, qui s’ouvre à l’analyse judiciaire. Cette prise en compte de la culpabilité pénale et morale de l’offenseur se manifeste dans l’in­dividualisation de la peine et dans la spécificité des sanctions infligées par les tribunaux. En effet, la détermination de la peine, écrit le juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Proulx, est « un pro­cessus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dis­pose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée ». […][41]

Il existe un consensus que le consentement de facto d’une jeune victime peut être considéré pour évaluer la culpabilité morale du délinquant de manière à s’assurer que « the punishment must fit the crime ».

[56]        Au terme de cette revue jurisprudentielle, la Cour est d’avis qu’il se dégage un consensus que le consentement de facto d’une jeune victime n’est pas, en soi, un facteur atténuant. Il devrait néanmoins pouvoir être considéré pour évaluer la culpabilité morale du délinquant de manière à s’assurer que « the punishment must fit the crime »[52], faisant ainsi écho au principe fondamental de proportionnalité énoncé dans l’article 718.1 C.cr. Ce fait ne peut pas être complètement évacué de l’analyse.

Une analyse en deux étapes comportant un volet particularisé et un volet général pour déterminer si une peine contrevient à l’article 12 de la Charte

[67]        L’article 12 de la Charte offre une protection contre les peines cruelles et inusitées :

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. 12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

 

[68]        Afin de déterminer si une peine contrevient à cette disposition, une analyse en deux étapes comportant un volet particularisé et un volet général s’impose :

[77]      En résumé, lorsqu’une disposition prévoyant une peine minimale obligatoire est contestée, deux questions se posent. Premièrement, la disposition a-t-elle pour effet d’infliger une peine totalement disproportionnée à l’accusé? Si la réponse est négative, il faut se demander en deuxième lieu si les applications raisonnablement prévisibles de la disposition infligeront à d’autres personnes des peines totalement disproportionnées. […][57]

[69]        La Cour suprême nous enseigne qu’une « règle de droit porte atteinte à l’art. 12 lorsqu’elle a pour effet d’infliger à l’accusé une peine exagérément disproportionnée ou que ses applications raisonnablement prévisibles infligeront à d’autres personnes des peines exagérément disproportionnées »[58].

[70]        La première étape consiste à déterminer quelle est la peine juste et appropriée à infliger à l’accusé si l’on fait abstraction de la peine minimale. Pour ce faire, la juge en chef McLachlin expose qu’il faut appliquer les principes de détermination de la peine :

[40]      Pour déterminer la peine appropriée aux fins de la comparaison qui s’impose dès lors, il faut tenir compte des objectifs de détermination de la peine énoncés à l’art. 718 du Code criminel […].

[41]      Le juge qui détermine la peine doit également tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes, y compris celles énumérées aux sous‑al. 718.2a)(i) à (iv), du principe de l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables (al. 718.2b)), de l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives (al. 718.2c)) et de l’obligation de faire preuve de retenue dans l’infliction d’une peine carcérale (al. 718.2d) et e)).

[42]      Pour concilier ces différents objectifs, le principe fondamental de la détermination de la peine suivant l’art. 718.1 du Code criminel veut que « [l]a peine [soit] proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. »[59]

[71]        Une fois la peine juste et appropriée déterminée, il faut se demander si la peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste[60]. La Cour suprême définit ainsi le qualificatif « exagérément disproportionné » :

[24]      La Cour place la barre haute lorsqu’il s’agit de savoir si une peine constitue une peine cruelle et inusitée. Pour qu’elle soit « exagérément disproportionnée », la peine ne peut être simplement excessive. Elle doit être « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine », de même qu’« odieuse ou intolérable » socialement (Smith, p. 1072, citant Miller c. La Reine, 1976 CanLII 12 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 680, p. 688; Morrisey, par. 26; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 96, par. 14). Plus la variété des comportements et des circonstances qui font encourir la peine minimale obligatoire est grande, plus cette peine est susceptible d’être infligée à des délinquants pour lesquels elle est exagérément disproportionnée.[61]

[Soulignement ajouté]

[72]        À l’issue de cet exercice, si la Cour estime que la peine est exagérément disproportionnée à l’égard de l’accusé, l’analyse doit en principe s’arrêter là[62].

[73]        Dans le cas contraire, il convient d’étudier les applications raisonnablement prévisibles[63]. Dans l’arrêt Nur, la juge en chef McLachlin revient sur cette notion et précise que les situations hypothétiques raisonnables doivent être fondées sur des « situations dont on peut raisonnablement prévoir qu’elles se présenteront », et non sur des situations difficilement imaginables ou n’ayant qu’un faible rapport avec l’espèce, ni sur des situations fantaisistes ou conjecturales[64]. Il faut donc se demander s’il est raisonnablement prévisible que la peine minimale puisse être exagérément disproportionnée à l’égard de certaines personnes.

[74]        Dans le cadre de cet exercice, il est pertinent de référer à la jurisprudence, laquelle indique l’étendue des gestes susceptibles de tomber concrètement sous le coup de la peine minimale[65]. Les caractéristiques du délinquant hypothétique sont également pertinentes au débat[66]. Toutefois, la Cour suprême nous met en garde de ne pas accorder à ce délinquant des caractéristiques personnelles qui inspireraient la plus grande sympathie possible[67].

[75]        Si, à l’issue de l’examen des situations raisonnablement prévisibles, le juge conclut qu’elles infligeront à d’autres personnes des peines totalement disproportionnées, alors c’est que la peine minimale contrevient à l’article 12 de la Charte.

[76]        En tous les cas, il sera possible de justifier cette atteinte conformément au test de l’article premier de la Charte, encore que l’exercice s’annonce difficile[68].

[77]        À la lumière de ces enseignements, la Cour appliquera maintenant ces principes au dossier à l’étude.

La peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement prévue par l’alinéa 151a) C.cr. est inopérante et inconstitutionnelle

[109]     Au moment du prononcé de sa peine, l’appelant s’est vu retrancher par le juge Berthelot les 16 jours de détention qu’il a purgés à la suite du jugement de la juge Bérubé[84].

[110]     L’appelant a ensuite purgé une autre période de 31 jours d’emprisonnement après le jugement du juge Berthelot, avant d’être à nouveau mis en liberté par la Cour d’appel. À ce jour, l’appelant a donc été détenu pendant 47 jours, période qu’il faut déduire de la peine globale de 90 jours que la Cour substitue à celle de 14 mois imposée par le juge.

[111]     Quant à la prétention de l’appelant selon laquelle le juge Berthelot aurait commis une erreur en lui infligeant des peines consécutives sur les chefs d’accusation, la Cour n’est pas en mesure d’intervenir sur ce point en raison de la déférence due au juge de première instance sur cette question[85]. Le juge pouvait raisonnablement conclure que les infractions ont été commises au cours de deux épisodes distincts qui découlent de la rupture entre l’appelant et la victime. Bien que les événements émanent d’une seule et même relation amoureuse, les deux séquences infractionnelles ont été interrompues par une séparation durant laquelle l’appelant a amplement eu le temps de reconsidérer la situation. Or, il a choisi de reprendre la vie commune avec la victime.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[112]     ACCUEILLE l’appel;

[113]     ANNULE la peine prononcée le 23 mai 2017;

[114]     SUBSTITUE une peine discontinue de 90 jours (45 jours sur chacun des deux chefs à purger de manière consécutive, les fins de semaine, du samedi 9h au dimanche 17h) à la peine de 14 mois infligée par le juge de première instance, les autres ordonnances demeurant en vigueur;

[115]     DÉCLARE que la peine qui reste à purger à compter du présent arrêt, eu égard aux 47 jours que l’appelant a déjà purgés, est de 43 jours;

[116]     DÉCLARE que la peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement prévue par l’alinéa 151a) C.cr. est inopérante à l’égard de l’appelant, inconstitutionnelle au regard de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et n’est pas sauvegardée par l’application de l’article premier de la Charte.