*** Ce jugement a été renversé dans R. c. Cyr‑Langlois, 2018 CSC 54.

Voir aussi ici.


Cyr-Langlois c. R., 2017 QCCA 1033

La preuve offerte par l’accusé voulant qu’il n’ait pas été observé pendant au moins les vingt minutes précédant l’administration de l’alcootest pouvait-elle priver le ministère public du bénéfice des présomptions établies par l’article 258(1)c) du Code criminel[1], (C.cr.), tel qu’il se lit depuis l’arrêt R. c. St-Onge Lamoureux[2]?

[38]        Je retiens de ces motifs que l’accusé qui veut écarter les présomptions d’exactitude et d’identité du taux d’alcoolémie doit offrir une preuve tendant à démontrer un problème de fonctionnement ou d’utilisation de l’alcootest susceptible d’en influencer le résultat (suffisamment sérieux pour soulever un doute raisonnable sont les mots employés par la juge Deschamps au paragraphe 59) sans toutefois avoir à démontrer que ce problème a entraîné un résultat inexact dans les faits.

[39]        Ainsi, ce ne seront pas tous les problèmes de fonctionnement ou d’utilisation qui permettront d’écarter les présomptions. Ils devront être suffisamment sérieux pour soulever un doute raisonnable.

[40]        Le problème de fonctionnement ou d’utilisation de l’alcootest que la preuve tendra à démontrer pourra, dans certains cas, être tel que son influence possible sur la fiabilité des résultats sera évidente. Il existe toutefois certains autres problèmes dont l’influence possible ne s’imposera pas d’emblée. En de tels cas, l’accusé devra offrir une preuve additionnelle démontrant que le problème en est un susceptible d’avoir un impact sur la fiabilité des résultats.

[41]        Cette preuve n’est toutefois pas aussi onéreuse qu’une preuve de causalité réelle, l’accusé n’ayant qu’à soulever un doute que le problème est susceptible d’affecter la fiabilité des résultats du test. La nuance peut sembler ténue, mais elle est importante

[42]        Cette preuve pourra être offerte par le biais d’un expert retenu par l’accusé, mais il ne s’agit pas là d’une condition impérative. Le technicien qualifié ayant administré le test pourra certainement l’offrir également.

[43]        Cela devrait surtout se présenter lorsque le problème en est un de mauvaise utilisation de l’alcootest puisqu’il est difficile d’imaginer un problème de fonctionnement de l’appareil qui ne serait pas susceptible d’affecter le résultat.

[44]        Dans tous les cas, il appartiendra au juge d’instance d’apprécier la preuve offerte pour déterminer si elle est suffisante pour créer un doute raisonnable et écarter les présomptions. Pour ce faire, il devra tenir compte d’abord de la nature du problème et, ensuite, des autres faits révélés par la preuve ou par son absence. Un tribunal d’appel ne pourra intervenir que si cette appréciation est déraisonnable[10].

[45]        Il n’appartiendra toutefois jamais à l’accusé, rappelons-le, de démontrer que le mauvais fonctionnement ou la mauvaise utilisation de l’appareil a entraîné un résultat erroné pour que les présomptions soient écartées. Il s’agit là d’une preuve de causalité plus exigeante et surtout, d’une preuve semblable à celle qu’imposait la seconde exigence de l’article 258(1)c) C.cr., déclarée inopérante par la Cour Suprême dans l’arrêt St-Onge Lamoureux.

[46]        Qu’en est-il de la preuve offerte par l’appelant en l’espèce?

[47]        Cette preuve provient exclusivement du témoignage rendu par l’agent Boissonneault, tant lors de son interrogatoire en chef que lors de son contre‑interrogatoire.

[48]        Il est utile, à ce stade, d’en reproduire certains extraits:

LA COUR :

Q : Oui, oui. C’est le sens de la question. Même si la question est plus générale, on va les limiter à ce qui s’est produit ce soir-là concernant monsieur Cyr Langlois. C’est comme je disais, du moment qu’on est arrivé, c’est toujours l’agent Cousineau qui est avec monsieur Cyr. Moi, je le quitte au moment où il rentre dans la salle d’interrogatoire où il va exercer son droit à l’avocat. Moi je quitte, je m’en vais dans la salle qui est juste à côté où il y a une fenêtre qu’on peut voir entre les deux. Moi je procède à mes démarches pour préparer mon appareil, à ce moment-là. C’est l’agent Cousineau qui est toujours avec lui, sauf, évidemment, au moment il parle avec son avocat, où est-ce qu’il est à l’extérieur de cette salle –là.

Q : Donc, vous avez dit juste récemment que lorsqu’il parle avec son avocat ou avocate, l’agent Cousin… – je comprends que…est-ce que l’agent Cousineau est toujours présent?

R : Bien, il est dans la salle d’alcootest avec moi où il y a la vitre entre les deux, où est-ce qu’on peut voir si l’individu a terminé son appel téléphonique.

Q : Donc, est-ce qu’il y a une observation sur l’individu?

R : Écoutez, je me souviens pas s’il y a une observation constante, mais il y a une observation, effectivement…parce que le seul moyen de savoir s’il a terminé son appel, c’est de le voir par la fenêtre. Fait que, effectivement, il le regarde. Je ne peux pas dire qu’il avait les yeux rivés dans la fenêtre du début jusqu’à la fin, mais il est dans la salle et il l’observe par la fenêtre.

Q : Est-ce que vous avez l’information combien de temps monsieur Cyr a parlé avec son avocat?

R : Faudrait que je regarde dans les notes du dossier. C’est ça, je ne le sais pas par cœur.

[…]

Q: O. K. Est-ce que c’est exact qu’on vous enseigne, dans le cadre de votre formation à titre de technicien qualifié, que, comme technicien, vous devez observer le sujet – l’accusé, pendant une période X avant de prélever un échantillon?

R : Bien, d’observer effectivement, au moins 20 minutes entre le moment d’arrestation et puis le premier souffle. Je veux dire l’enquêteur au dossier peut l’observer…

[…]

R : C’est qu’avec de l’alcool résiduel, effectivement, le taux pourrait être différent.

[49]        Le juge d’instance pouvait raisonnablement retenir de cette preuve que l’accusé n’avait pas été observé pendant une période de vingt minutes avant le premier test (ou à tout le moins que la preuve ne révélait pas qu’il l’avait été) et que ce problème dans l’utilisation de l’appareil était pertinent à la question de la fiabilité des résultats. Ce témoignage de l’agent Boissonneault révèle en effet :

1)   Qu’il est enseigné aux techniciens qualifiés que le prévenu doit être continuellement observé pendant au moins 20 minutes avant chaque test;

2)   Que cette observation vise à s’assurer que l’accusé n’a pas fumé, vomi, consommé, éructé ou régurgité;

3)   Que l’une ou l’autre de ces actions peut occasionner un résultat inexact compte tenu notamment de l’alcool résiduel qu’elles peuvent entraîner dans la bouche.

[50]        À défaut d’une preuve supplémentaire permettant de conclure que la possibilité d’un résultat inexact auquel réfère l’agent Boissonneault doit être écartée, le juge d’instance pouvait priver le ministère public du bénéfice des présomptions. Il n’avait pas à exiger plus de la part de l’accusé.