Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Le 20 octobre dernier, la Cour suprême du Canada a rendu une décision[1]  en matière de pornographie juvénile. Dans son jugement, la Cour a clarifié – entre autres choses – la nature et la portée du moyen de défense en matière de pornographie juvénile, tel qu’il existe depuis 2005.

Le moyen de défense prévu à l’art. 163.1(6) C.cr.

Avant d’examiner les tenants et aboutissants du moyen de défense en question (celui prévu depuis 2005), rappelons le principe selon lequel les tribunaux doivent toujours interpréter les moyens de défense en matière de pornographie juvénile de façon à assurer l’équilibre entre l’importance de la liberté d’expression et la nécessité de protéger les enfants contre la violence.

Alors, le para. 163.1(6) du C.cr. prévoit un moyen de défense en matière de pornographie juvénile s’énonçant comme suit :

(6)           Nul de peut être déclaré coupable d’une infraction au présent article si les actes qui constitueraient l’infraction :

a)            ont un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts;

b)            ne posent pas de risque indu pour les personnes âgées de moins de dix-huit ans.

Il ressort du libellé deux conditions qui doivent être traitées de façon distincte l’une de l’autre. L’accusé doit d’abord invoquer le moyen de défense en s’appuyant sur les faits à même de soulever un doute raisonnable quant à savoir si les deux exigences sont satisfaites, après quoi il incombe au ministère public d’établir hors de tout doute raisonnable que l’une ou l’autre de celles-ci ne l’est pas.

1.         But légitime : alinéa 163.1(6)a)

Le tribunal doit d’abord déterminer si c’est dans l’un des buts énumérés, à savoir l’administration de la justice, la science, la médecine, l’éducation ou les arts, que l’accusé a commis les actes qui lui sont reprochés[2]. Pour ce faire, le tribunal doit, dans un premier temps, se demander s’il subsiste un doute raisonnable quant à savoir si, d’un point de vu subjectif, l’accusé avait un motif valable et de bonne foi d’avoir de la pornographie juvénile en sa possession dans l’un des buts énumérés.

Dans un deuxième temps, le critère de la légitimité est respecté s’il existe un lien objectivement vérifiable entre l’acte reproché à l’accusé et le but qu’il dit poursuivre. De plus, ce but doit être objectivement lié à au moins l’une des activités énumérées. Autrement dit, la personne raisonnable conclurait, eu égard à l’ensemble des circonstances, (i) qu’il y a un lien objectif entre les actes de l’accusé et le but qu’il dit poursuivre, et (ii) qu’il y a un lien objectif entre ce but et l’une des activités protégées (administration de la justice, science, médecine, éducation ou arts). Prenons note qu’en faisant cette évaluation, le tribunal n’est pas tenu d’apprécier la valeur de l’activité scientifique ou artistique en cause. Donc, si le tribunal conclut que l’activité est objectivement liée à un domaine énuméré et qu’elle a été menée sincèrement et de bonne foi, ou qu’il subsiste un doute raisonnable à cet égard, les exigences de l’al. 163.1(6)a) sont alors satisfaites.

(2)       Risque indu : alinéa 163.1(6)b)

Ce deuxième critère ne s’applique qu’après que le tribunal a conclu que l’accusé avait un « but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts (première condition). À cette étape, la question est de savoir quel degré de préjudice sera toléré dans le cas d’une activité menée dans un but légitime. Pour ce faire, le tribunal doit se demander si les actes en cause posent « un risque indu » pour les enfants. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir comment le juge apprécie le risque que ces actes causent un préjudice (physique ou psychologique) à des enfants. La question de savoir si le risque est à ce point important qu’il est « indu » constitue une question de droit, tout comme l’application de cette norme juridique aux faits.

Les termes « risque indu » utilisés à l’al. 163.1(6)b) doivent être interprétés comme signifiant un risque appréciable de préjudice objectivement vérifiable, comme l’exigent les dispositions législatives en matière d’obscénité, plutôt que comme l’expression de l’ancienne approche fondée sur les « valeurs morales de la société ».

En résumé

En conclusion, la Cour suprême résume le moyen de défense comme suit :

À notre avis, la démarche appropriée consiste à traiter les deux volets du moyen de défense comme exigences distinctes l’une de l’autre. L’alinéa 163.1(6)a) énumère les buts qui, à première vue, peuvent servir de moyens de défense, dans la mesure où il subsiste dans l’esprit du juge au procès un doute raisonnable dont il est saisi. L’alinéa 163.1(6)b) prévoit ensuite que si les actes de l’accusé posent un risque indu aux enfants, le moyen de défense prima facie est écarté et il ne peut être invoqué. Le but demeure légitime, mais parce que l’activité en cause pose un risque indu pour les enfants, il ne peut servir de moyen de défense[3].

 

 

 


[1] R. c. Katigbak, 2011 CSC 48.

[2] Par ex. des professionnels de la santé pourraient posséder de la pornographie juvénile dans le but de montrer le matériel à des contrevenants déclarés coupables d’infractions sexuelles dans le cadre d’un programme de traitement.

[3] Supra note 1 au para. 71.